Mon patron est chinois... et alors ?
Travailler pour un chef d'entreprise chinois, ce n'est pas forcément si différent. Quoique. Découvrez le troisième et dernier volet de notre série sur les investissements chinois en France.
Lorsqu'il a quitté Orange pour l'entreprise chinoise ZTE, Philippe Mercier, 50 ans, ne s'attendait pas à déclencher de telles réactions chez ses anciens collègues. "Quand je leur disais que je partais pour une société chinoise, la moitié d'entre eux avait l'impression que j'allais faire le Vendée Globe", plaisante-t-il. Avant d'ajouter : "Il y avait beaucoup de Français qui me disaient que je passais à l'ennemi."
Alors que de plus en plus d'entreprises chinoises s'installent dans notre pays, dans un climat de méfiance, voici le troisième volet de notre série sur les investissements chinois.
"Ces Chinois, ils sont partout"
Le regard des autres, des proches et des collègues, est la première chose qui change quand on commence à travailler pour une entreprise chinoise en France. "Il y a ce choc : 'Tu te rends compte, ces Chinois, ils sont partout, ils nous achètent'", s'amuse Jean-Baptiste Soula, 41 ans, le directeur du château Latour-Laguens, une propriété viticole de Saint-Martin-du-Puy (Gironde) achetée par le groupe chinois Longhai en 2008.
"La question qu'on me pose à chaque fois, c'est : 'Comment c'est de travailler avec les Chinois ?' Ma réponse, c'est que travailler avec les Chinois, je ne sais pas ce que c'est, poursuit celui qui a déjà travaillé pour des Égyptiens, des Arméniens et des Espagnols. "Moi, je sais ce que c'est de travailler avec la Chinoise qui possède le château et mes collègues chinois", nuance-t-il. Et de balayer d'un revers de main les clichés sur le manque d'honnêteté que certains, dans la profession, prêtent aux Chinois. "Des gens qui n'ont pas de parole, j'en connais plein à 5 km de rayon autour de moi. Je n'ai pas eu besoin d'aller en Chine", poursuit-il.
Assistants chinois et barrière de la langue
Au-delà des clichés et des appréhensions relayés par les proches, le premier bouleversement est linguistique. "La barrière de la langue est gênante parce qu'on aimerait pouvoir être en lien direct avec la propriétaire", reconnaît Jean-Baptiste Soula. Si chez ZTE la communication se fait en anglais ou en français, elle passe, dans la plupart des vignobles bordelais rachetés par des propriétaires chinois, par l'assistant chinois de l'équipe.
Ainsi, au château Bellefont-Belcier, un grand cru classé Saint-Emilion racheté en novembre 2012, le principal changement n'est pas le drapeau de la République populaire de Chine, qui flotte aux côtés des drapeaux français et européen à l'entrée du domaine, ni la présence d'un carton vide de Maotai, un alcool de riz très prisé en Chine, dans un coin du château. Non, le principal changement, c'est l'embauche de Xuan Fei, 25 ans, pour épauler Emmanuel de Saint-Salvy, le directeur de la propriété. "Je m'occupe de la communication entre la Chine et le château", explique la jeune femme.
Cette ancienne étudiante d'une école de commerce bordelaise apporte bien plus que de simples compétences linguistiques. "C'est très important d'avoir Fei parce qu'on n'a pas toujours la même façon de penser. Il y a des choses qui nous paraissent évidentes et qui ne le sont pas pour M. Wang et vice-versa", explique Emmanuel de Saint-Salvy. Par exemple, quand il dit quelque chose, est-ce qu'on doit l'appliquer à la lettre ? Est-ce qu'on doit proposer ?"
Pour certaines de ces propriétés viticoles, l'arrivée d'un investisseur chinois s'est également traduite par de substantiels investissements. "Au château Latour-Laguens, en cinq ans, ils ont fait ce qu'un autre investisseur aurait mis au moins une dizaine d'années à faire", estime Stéphane Toutoundji, l'œnologue conseil du château. Un tiers de la vigne a été arrachée et replantée, l'ancien cuvier a été refait à neuf et le château est en cours de rénovation. Au final, "je pense qu'elle aura dépensé le double de l'achat [évalué à 1,2 million d'euros] en investissement", souligne Jean-Baptiste Soula.
"Il va te falloir deux ans pour me comprendre"
Entre Français et Chinois, réflexes et manières de travailler ne sont pas toujours les mêmes et peuvent provoquer des incompréhensions. "Au moment où j'ai signé avec Lin Cheng [le vice-président chinois de ZTE Europe et Amérique du Nord], il m'a dit 'maintenant, il va te falloir deux ans avant que tu me comprennes'", se souvient Philippe Mercier, qui a intégré l'entreprise en mars 2012.
Ces différences ne se limitent pas à la table de ping-pong installée dans le sous-sol du siège. "La première chose qui m'a surpris en arrivant, c'est l'absence d'organigramme", explique ce cadre dirigeant qui a découvert un organigramme pas "aussi figé et formel" que dans une société occidentale, et des postes peu définis. "Il y a une forme de flexibilité, de souplesse. En gros, on définit son propre poste", explique-t-il.
Le rapport au temps est également différent. "Ici, on peut très bien faire l'impasse sur un dossier pendant un an", constate Philippe Mercier. Habitué à négocier avec des partenaires chinois lorsqu'il travaillait pour Orange ou l'Américain HP, le quinquagénaire se dit impressionné par la capacité de ses collègues à aller "jusqu'au bout, bien plus loin qu'un Occidental" dans des négociations difficiles. S'il est plutôt satisfait de toutes ces nouveautés, Philippe Mercier reconnaît que ce mode de fonctionnement peut être "éprouvant au quotidien" pour un Français. "Vous avez du chaud, du froid, plusieurs fois dans la même journée", résume-t-il en confiant qu'il a hésité à arrêter l'expérience à la fin de l'été 2012.
L'art de la sieste
Quelques différences se glissent enfin dans le quotidien au bureau. "Il est près de 14h, vous arrivez dans un bureau pour discuter avec quelqu'un, tout est noir, il y a de la musique, raconte Philippe Mercier. Vous vous dites 'ils sont passés où ?'. En fait, ils sont en train de dormir." Si la pratique n'est pas aussi ancrée qu'au siège de la maison mère, à Shenzhen, certains salariés chinois de ZTE France font la sieste tous les jours, de 14h à 14h30.
Les méthodes de management peuvent se révéler radicalement différentes. Et le cadre de raconter la première fois où il a remarqué des photos d'employés aux murs d'un site chinois de ZTE. "Je pensais que c'était à l'américaine, l'employé du mois. En fait pas du tout, on met en avant ceux qui ont fait des erreurs afin que d'autres ne les commettent pas", détaille-t-il. Lorsque l'entreprise est arrivée en Europe, des mails remplissant la même fonction circulaient au sein de l'entreprise avant que les DRH européens ne mettent en garde contre l'illégalité de la méthode.
Mais les Français n'ont pas le monopole de la surprise ou de l'incompréhension. "Quand les chefs chinois demandent de faire quelque chose, les Chinois ne disent pas non. Mais les Français oui", témoigne Isa Tao Xuewen, 34 ans, directrice financière de ZTE France. Si elle reconnaît qu'il y a parfois besoin d'échanger, elle estime que "quelque fois, ce n'est pas la peine de discuter". Francophile, résidant en France depuis 1979, Lin Cheng, le vice président Europe et Amérique du Nord du groupe, est bien placé pour apprécier le décalage entre les cultures professionnelles françaises et chinoises. "Des exemples de différences culturelles, il y en a tous les jours. Vous pouvez écrire trois livres là-dessus", plaisante-t-il.
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