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Reportage Opération Wuambushu à Mayotte : un mois après la démolition du bidonville Talus 2, ses anciens habitants vivent "éparpillés" et "sans espoir"

Article rédigé par Robin Prudent - Envoyé spécial à Mayotte
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
L'emplacement de l'ancien bidonville Talus 2, à Koungou (Mayotte), le 20 juin 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)
Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, est en visite dans le 101e département français samedi et dimanche. L'occasion de faire un point d'étape sur la lutte contre l'habitat insalubre, confrontée aux difficultés de relogement des familles issues des bidonvilles.

Au bord de la route nationale qui fait le tour de Mayotte, Adidja, 33 ans, tente de vendre quelques bananes aux habitants du quartier de Majicavo, dans le nord de l'île. Derrière elle, une colline semble comme scalpée, laissant apparaître une terre rouge aux allures de plaie encore à vif. C'est ici que s'étendait depuis des décennies l'un des plus grands bidonvilles de Mayotte, Talus 2. "Cela faisait onze ans que j'y vivais, affirme cette mère de trois enfants. On a appris à la télévision le jour où ils allaient détruire nos maisons. J'étais dévastée".

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Le 22 mai, les pelleteuses ont démoli les 162 cases en tôle du quartier, lançant, dans les faits, l'opération Wuambushu voulue par Gérald Darmanin afin de lutter contre l'habitat insalubre, l'immigration illégale et l'insécurité à Mayotte. Un mois plus tard, le ministre de l'Intérieur revient dans le 101e département français, samedi 24 et dimanche 25 juin.

Adidja, une ancienne habitante de Talus 2, à Koungou (Mayotte), le 17 juin 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Face à la colline balafrée, Adidja détourne le regard. "Je suis fatiguée", souffle la trentenaire. En plus de son banga familial – le nom des maisons en tôle à Mayotte – elle et son mari ont perdu ce jour-là une petite épicerie qu'ils tenaient dans le quartier. Depuis plusieurs mois, ils savaient que leur vie était en sursis. L'arrêté de démolition du bidonville a été pris en décembre 2022 après une enquête sociale sur place. La justice a finalement donné son feu vert mi-mai, une fois assurée que des offres de relogement avaient bien été réalisées.

"Ils sont venus nous proposer des logements pour trois ou six mois, sans pouvoir apporter nos affaires et loin des écoles de nos enfants, c'est indigne. On préfère encore se démerder", balaie Adidja. Sa famille vit désormais "éparpillée" chez des connaissances. "Il n'y a pas d'avenir ici, pas d'espoir", tranche-t-elle.

Près de la moitié des familles relogées

Adidja et sa famille ne sont pas un cas isolé. Sur les 96 familles expulsées qui habitaient dans le bidonville Talus 2, 70 ont reçu une proposition de relogement – réservée aux personnes présentes légalement sur le territoire. Seules 44 ont accepté l'offre de la préfecture. "Nous avons relogé environ 250 personnes, c'est énorme", se félicite de son côté Psylvia Dewas, chargée de la résorption de l'habitat insalubre auprès du préfet. Lors des démolitions précédentes, le taux de relogement était souvent bien plus faible.

Des logements pour les familles du bidonville de Talus 2, à Koungou (Mayotte), le 20 juin 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

A quelques kilomètres de l'ancien bidonville Talus 2, des constructions modulaires en préfabriqué entourées de hauts murs et de barbelés accueillent quelques-unes de ces familles relogées. Parmi elles, Toianti et deux de ses enfants ont été les premiers arrivés. Des tongs et des claquettes sont entreposées devant la porte de l'unique pièce de leur logement. "Ici, c'est stable, je suis tranquille avec mes enfants, alors qu'à Talus 2, c'était compliqué", souffle la quadragénaire, enveloppée dans un châle à fleurs.

Assis sur le sol en plastique bleu, son fils acquiesce en relevant les yeux de son téléphone portable. "Ça m'a fait mal au cœur quand ils ont détruit mon quartier mais je préfère habiter ici, au moins il n'y a pas de danger", lance Nastaoui. Sa nouvelle maison est aussi plus calme pour réviser son brevet, qui a lieu dans quelques jours.

Nastaoui, un ancien habitant de Talus 2 relogé, à Koungou (Mayotte), le 20 juin 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Tous ne sont pas de leur avis. A la porte d'à côté, Chamsia regrette sa vie d'avant. Avec son mari et leurs trois enfants, ils vivent à cinq dans la chaleur étouffante de l'unique pièce privée qui leur est louée pour une centaine d'euros par mois. "On nous a foutus dans une chambre, sans que l'on puisse prendre nos affaires, ce n'est pas du tout adapté à une famille ici", se lamente la mère de 44 ans. Avec ses douleurs au pied, elle a bien du mal à transporter sa marmite en métal de la cuisine commune du rez-de-chaussée jusqu'à leur pièce à l'étage.

"Nous sommes comme condamnés ici. Je n'arrive pas à imaginer ma vie de demain."

Chamsia, ancienne habitante de Talus 2

à franceinfo

Des rideaux à fleurs ont été tendus pour séparer le coin nuit des enfants et celui des parents. Mais faute de place, les matelas sont superposés la journée avant d'être étalés tous les soirs. A côté, une armoire déborde de vêtements de toutes les couleurs. "On demande juste des chaises, une table et peut-être un canapé, glisse Chamsia. On nous avait promis une machine à laver..."

Chamsia, une ancienne habitante de Talus 2 relogée à Koungou (Mayotte), le 19 juin 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

"J'ai eu le cœur déchiré"

Certaines familles relogées n'auront même pas le temps de s'installer véritablement dans leur nouvelle habitation. Plusieurs d'entre elles n'ont pu obtenir que des hébergements d'urgence ou d'insertion pour une durée de trois ou six mois, renouvelable. C'est le cas d'une cinquantaine de personnes qui habitent désormais gratuitement à une dizaine de kilomètres de leur ancien quartier, à Tsoundzou 2. Une distance qui peut vite devenir un obstacle insurmontable, sans voiture ni transports collectifs sur l'île.

"Tout ce qu'on nous proposait était trop loin de l'école de mes frères et sœurs", explique Soihibou, l'aîné d'une fratrie de neuf enfants qui a passé toute sa vie, avec ses parents, dans les cases en tôle de Talus 2. Alors, après vingt-cinq ans de vie en communauté, la famille a préféré emménager chez un cousin du quartier, malgré la promiscuité. "Il nous a laissé le salon, où dorment mes parents et les plus petits, explique le jeune homme en tongs jaunes et tee-shirt bleu. Je dors avec mes cousins, alors qu'avant, on avait plusieurs maisons pour toute la famille". Selon la préfecture, tous les enfants et adolescents de Talus 2 sont toujours scolarisés dans leur établissement, malgré des temps de transport parfois plus longs.

Soihibou, un ancien habitant de Talus 2 à Koungou (Mayotte), le 17 juin 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Certains habitants ont trouvé refuge juste de l'autre côté de la route nationale fraîchement goudronnée, dans la mosquée blanche et verte du quartier. La famille d'Anicha, elle, a fait quelques centaines de mètres en direction de la forêt tropicale pour trouver une nouvelle maison. Mais la blessure est encore intacte. "Je suis venue en vacances ici et la destruction a commencé, explique la Française qui vit désormais dans l'Hexagone. J'ai eu le cœur déchiré en voyant mon petit frère pleurer." Cette mère de deux enfants aimerait ramener le reste de sa famille avec elle à Orléans (Loiret), mais ses parents, qui possèdent seulement une carte de séjour, doivent rester à Mayotte.

"Le travail est titanesque"

Tous les habitants de Talus 2 le savent : qu'ils soient relogés temporairement ou non par les services de l'Etat, tous devront trouver une nouvelle habitation dans un futur proche. Mais où ? Le 101e département français manque cruellement de logements salubres et abordables. Ici, la moitié de la population vit avec moins de 300 euros par mois, selon l'Insee, et un tiers habite dans des cases en tôle, selon la préfecture. "On est en train de chercher un endroit pour s'installer, mais il faut beaucoup économiser pour construire une maison en briques", lance Soihibou.

"J'aimerais qu'on achète un terrain pour s'installer correctement avec une maison solide, pas une maison de tôles."

Soihibou, ancien habitant de Talus 2

à franceinfo

Ce rêve sera peut-être réalisable dans le quartier pour les familles les moins précaires. Quelques jours après que les bangas ont été déblayées de Talus 2, un nouveau chantier s'est déjà installé sur la colline. "Après avoir stabilisé la zone, nous voulons construire 50 logements et des commerces", assure le maire de la commune, Assani Saindou Bamcolo.

Le maire de Koungou, Assani Saindou Bamcolo, sur sa commune, à Mayotte, le 19 juin 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Une volonté de maire bâtisseur saluée par la préfecture. "Les opérations de décasage permettent de maîtriser le foncier. Ensuite, il faut que les mairies aient la volonté de construire du logement et qu'elles trouvent des gens qualifiés pour les constructions", énumère Psylvia Dewas. Un début encourageant selon l'experte du logement, dépêchée sur l'île en février 2022, même si elle reconnaît que "toutes les familles de Talus 2 ne retrouveront pas une maison" dans ce nouveau quartier en construction. "Le travail est titanesque."

Bientôt de nouvelles démolitions

Le long de la route nationale, les tôles ondulées des bidonvilles grignotent toujours la végétation. Un mois après la première démolition dans le cadre de l'opération Wuambushu, le chemin semble encore long avant d'atteindre l'objectif des 1 000 logements insalubres détruits voulu par le préfet. Pas question d'y renoncer pour autant, d'autant que la date de fin de l'opération n'a jamais été révélée.

Un bidonville détruit à Koungou (Mayotte), le 19 juin 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Lundi 19 juin, quelques jours avant la visite de Gérald Darmanin sur l'île, une nouvelle démolition de bangas a ainsi débuté, à quelques kilomètres de Talus 2. "Pour mener à bien une opération complète, il faut quatre à six mois", justifie le préfet, Thierry Suquet, en polo et baskets. Le rythme pourrait s'accélérer en juillet. "Cette semaine, nous signons notre dixième arrêté de démolition et nous en avons au moins cinq autres en préparation", assure le représentant de l'Etat, entre les pelleteuses en action. A l'écart du groupe, le maire de Koungou glisse discrètement un mot à la responsable de la lutte contre le logement insalubre à la préfecture. Un autre bidonville de la commune pourrait bientôt être sur la liste des démolitions.

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