: Reportage "On a tous les mêmes problèmes" : à Bruxelles, des agriculteurs de toute l'Europe manifestent contre la politique agricole de l'UE
Un grand panache de fumée noire s'élève face au Parlement européen. Des feux de paille et de pneus ont été allumés par des milliers d'agriculteurs de tout le continent, rassemblés sur la place du Luxembourg, à Bruxelles, jeudi 1er février. Face à eux, un cordon de policiers armés de canons à eau protège l'institution. "Ce n'est pas l'Europe que nous voulons", proclame une pancarte posée contre l'un des tracteurs garés dans le quartier européen.
"C'est ici qu'est décidé le futur de l'agriculture dans toute l'Europe", assure Enrico Nada, agriculteur dans le Piémont italien. Emmitouflé dans sa parka jaune, de la couleur du syndicat Coldiretti, il a parcouru plus de 1 000 kilomètres pour faire entendre sa colère devant les institutions européennes. La date et le lieu n'ont pas été choisis au hasard. Les chefs d'Etat et de gouvernement des 27 pays de l'UE se réunissent à Bruxelles, jeudi 1er février, à l'occasion d'un Conseil européen extraordinaire.
Officiellement, ce sommet devait être consacré à l’aide de l'Union européenne en direction de l'Ukraine… mais en réalité, l’agriculture s'est retrouvée au cœur des discussions. Emmanuel Macron s'est notamment entretenu à ce sujet avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Parmi les négociations : l'assouplissement de l'obligation de jachère dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC), la protection face aux importations de volailles ukrainiennes et l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur.
"Les fermiers sont tous d'accord"
"On a tous les mêmes problèmes de revenus, on a tous les mêmes problèmes d'importations déloyales, on a tous les mêmes problèmes de bureaucratie", égrène Cédric Delveaux, dans sa polaire verte siglée du syndicat wallon FWA. Autour de lui flottent des drapeaux de syndicats agricoles italiens, espagnols, portugais, français... "Ça fait chaud au cœur", se félicite l'agriculteur. Il l'assure : "La plupart des thématiques se recoupent dans tous les pays et les fermiers sont tous d'accord !"
"Certains politiques rêvent d'une Europe avec seulement des champs de fleurs pour se promener et des produits agricoles importés."
Cédric Delveaux, agriculteur belgeà franceinfo
"Nous croyons en l'Europe, mais une Europe qui nous protège", acquiesce Jonas Hériteau, jeune maraîcher de 27 ans, installé à quelques dizaines de kilomètres de là, de l'autre côté de la frontière française. "La mise en concurrence au sein de l'Europe crée de la misère pour tous les paysans et fait gagner les industriels", complète cet adhérent de la Confédération paysanne.
A l’origine, cette manifestation était organisée à l’initiative de plusieurs syndicats classés à gauche, engagés dans la Coordination européenne Via Campesina (ECVC). Mais d’autres fédérations, toutes tendances politiques confondues, ont finalement rejoint le rassemblement à Bruxelles. De quoi réaliser une véritable démonstration de force, avec un millier de tracteurs dans la capitale européenne, selon la police belge.
Une concurrence en dehors de l'UE
Avec son drapeau sur le dos, José-Maria Castilla représente, lui, "la FNSE espagnole", l'Asaja. "Il n’y a pas de concurrence déloyale entre Français et Espagnols, nous avons les mêmes normes", assure l'exploitant, en réaction aux images de camions espagnols vidés et pillés dans le sud de la France. "Nous devons lutter contre la vraie concurrence déloyale, celle qui vient d'en dehors de l'Europe, du Maroc ou de Turquie par exemple", préfère-t-il cibler. A ses côtés, un éleveur de porcs portugais opine du chef.
Le temps d'une manifestation, pas question de se tirer dans les pattes entre syndicats. Tous les agriculteurs rencontrés s'élèvent contre les produits importés de pays non européens et qui ne respectent pas les mêmes normes, notamment environnementales. "On ne peut plus produire certains produits à cause de ces normes, alors on les importe !", s'insurge Enrico Nada.
"L'UE doit regarder la merde qu'il y a devant sa porte plutôt que de penser au libre-échange avec le monde entier", ajoute Célestin Samson. Le jeune agriculteur belge, qui élève une soixantaine de vaches laitières, "voudrait simplement" faire son métier : "Aller dans les champs, s’occuper de nos bêtes. Pas faire de la paperasse comme tous les autres agriculteurs européens !" Il ne résiste tout de même pas à un petit clin d'œil aux Français. "On a besoin d'eux, ils aiment bien foutre le bordel !"
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.