Colère des agriculteurs : cinq questions sur l'accord entre l'UE et le Mercosur contre lequel se bat la France
La plus grande zone de libre-échange de la planète verra-t-elle le jour ? Alors que la colère gronde chez les agriculteurs français, mais aussi européens, l'accord commercial en discussion depuis vingt-cinq ans entre l'Union européenne (UE) et le Mercosur demeure incertain. Les conditions "ne sont pas réunies" pour conclure les négociations, a reconnu mardi la Commission européenne. Mais les pourparlers entre les 27, d'une part, et un bloc latino-américain qui comprend l'Argentine, le Brésil, l'Uruguay, le Paraguay et bientôt la Bolivie, d'autre part, vont continuer, a assuré Bruxelles mardi 30 janvier, à l'avant-veille d'un Conseil européen dans la capitale belge.
Les discussions entre l'UE et le Mercosur ont abouti en 2019 à un texte, mais la France, opposée à certaines conditions négociées, a milité contre sa ratification par les 27. Mardi, Emmanuel Macron a rappelé la position ferme de Paris à l'égard de cet accord, dont les règles ne sont pas "homogènes avec les nôtres". Le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a promis mercredi d'engager un "bras de fer" avec Bruxelles. On vous explique pourquoi ce texte suscite tant de débats.
1 Que dit l'accord UE-Mercosur ?
Concrètement, l'accord prévoit d'accroître les échanges commerciaux entre les deux marchés communs en supprimant 91% des taxes imposées aux produits européens qui traversent l'Atlantique et 92% des taxes imposées aux produits qui font le chemin inverse.
Du côté des exportations des 27, les droits de douane sur les voitures européennes (qui s'élèvent à 35%, selon le site de la Commission), les pièces détachées (14% à 18%), les équipements industriels (14% à 20%), la chimie (jusqu'à 18%), l'habillement (jusqu'à 35%) ou les produits pharmaceutiques (jusqu'à 14%) doivent être supprimés. Les pays du Mercosur accepteraient par ailleurs d'ouvrir leurs marchés publics aux entreprises européennes.
En contrepartie, l'UE doit faciliter l'accès à son marché aux pays du Mercosur désireux d'écouler sucre, éthanol, volailles et bœufs. Ces pays latino-américains pourraient exporter vers l'Europe quelque 99 000 tonnes de viande bovine bénéficiant de droits de douane à 7,5%, et obtiendraient des quotas supplémentaires de 180 000 tonnes pour le sucre et de 100 000 tonnes pour les volailles.
2 Quelle est la position de la France ?
Pour apposer sa signature, la France demande l'ajout de clauses contraignantes qui protègent notamment les agriculteurs et éleveurs européens de la concurrence déloyale et limitent les importations de partenaires moins-disants en matière d'environnement. "Un accord avec les pays du continent latino-américain n'est pas possible s'ils ne respectent pas (...) les mêmes contraintes environnementales et sanitaires que l'on impose à nos producteurs", plaidait en février Emmanuel Macron dans les allées du Salon de l'agriculture.
Face à l'opposition de la France, rejointe en 2020 par l'Autriche et les Pays-Bas, la Commission européenne a proposé, au printemps 2023, de joindre à l'accord une annexe portant principalement sur le climat, la biodiversité et la déforestation. Le Mercosur a dénoncé un "protectionnisme vert" et a présenté ses propres exigences, comme la création d'un fonds pour aider les pays en développement à préserver l'environnement.
3 Comment les pays du Mercosur jugent-ils les conditions portées par la France ?
Les discussions sont restées au point mort de 2019 à 2023, année du remplacement au Brésil du président d'extrême droite Jair Bolsonaro par son rival de gauche, Lula. Mais pour ce dernier, certaines clauses autrefois négociées ne sont guère plus satisfaisantes aujourd'hui. Ainsi, les pays du Mercosur estiment que l'ouverture des marchés publics sud-américains aux entreprises européennes provoquerait une concurrence déloyale au bénéfice de l'UE.
Lula a également fustigé le "protectionnisme" d'Emmanuel Macron en matière d'agriculture. "C'était la même chose avec Chirac, Sarkozy, Hollande, tous deviennent protectionnistes quand on discute de leurs produits agricoles", s'est-il agacé, en décembre.
4 Que réclament les agriculteurs français et les écologistes ?
Toutes tendances confondues, de la FNSEA, syndicat majoritaire, à la Confédération paysanne, les agriculteurs français demandent un moratoire sur les accords de libre-échange. Le Premier ministre, Gabriel Attal, a beau avoir répété l'opposition de la France à la signature d'un accord avec le Mercosur, elle "ne s'implique pas pour arrêter" les négociations, dénonce Véronique Marchesseau, secrétaire générale de la Confédération paysanne, citée par l'AFP.
"Certains experts vont défendre l'idée que l'accord UE-Mercosur pourrait favoriser un léger verdissement de l'agriculture à l'échelle internationale puisque le Brésil voudra s'adapter à des critères environnementaux", note pour l'AFP Aurélie Catallo, directrice du volet France du programme "Politiques agricoles et alimentaires" de l'Institut du développement durable et des relations internationales.
Elle pointe aussi une revendication de circonstance : "Tant que les accords se faisaient principalement avec des pays offrant plus d'opportunités pour la France, pour exporter par exemple une production structurellement excédentaire comme le lait, c'était : 'Vive le libéralisme agricole !'" Maintenant que les accords se nouent avec d'autres puissances, comme le Brésil, "les calculs ne sont plus les mêmes".
Comment l'accord peut-il se traduire dans nos assiettes ?
Un rapport de 2023 de la Fondation pour la nature et de l'Institut Verblen pour les réformes économiques relève qu'un tiers des substances actives autorisées dans les pesticides au Brésil, géant agricole du Mercosur, sont interdites dans l'UE. Quant aux mesures dites "miroirs", qui permettent aux 27 d'interdire l'importation de produits traités dans des pays tiers avec des pesticides interdits dans l'UE, elles ne sont pas systématiques et ne sont pas renforcées par l'accord existant.
Or, les assiettes des Européens contiennent déjà des produits importés des pays du Mercosur qui ne correspondent pas aux normes en vigueur sur le vieux continent. "Les produits contenant des résidus d'imidaclopride [un insecticide de la famille des néonicotinoïdes] tels que les canneberges, les haricots ou le houblon bénéficient même d'une tolérance accrue à l'importation", même si ce produit est interdit dans l'UE, s'alarme la Fondation pour la nature et l'homme. Elle note par ailleurs que de nombreux pesticides interdits par les 27 sont fabriqués en Europe, avant d'être exportés en Amérique latine et de revenir dans nos assiettes via les importations.
De même, le rapport de la commission d'évaluation chargée d'évaluer les conséquences de l'accord (lien PDF), remis en 2020 au Premier ministre, relève que les limites maximales de résidus de pesticides sont, au Brésil, "dans la plupart des cas plus hauts" que les normes européennes et françaises.
Selon une étude du Pesticide Action Network (lien PDF), des résidus de pesticides interdits ou strictement réglementés ont été retrouvés dans 12% des aliments échantillonnés en provenance du Brésil et à destination de l'UE : plus de la moitié des pommes (77%), du riz (60%) et des haricots (53%) étaient concernés. Indépendamment des efforts exigés des agriculteurs français et européens.
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