: Reportage "On sait quand on part, pas quand on rentre" : sur l'A6, les agriculteurs prêts à bloquer "aussi longtemps qu'il le faudra"
"Voilà, c'est le début du blocage de l'A6 et on espère rester plusieurs jours." Il est un peu plus de 14h30, lundi 29 janvier, quand un Manitou dépose les premières bottes de paille sur l'autoroute, aux abords de Villabé (Essonne). A l'appel de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs du grand bassin parisien, une centaine de tracteurs sont stationnés en pleine voie, à quelques dizaines de kilomètres de Paris. "On va installer deux murs de paille à l'entrée et à la fermeture du convoi", explique Thierry Desforges, un responsable de la FNSEA. Pour des raisons de sécurité, d'abord. Mais pas que.
"Ça symbolise aussi le mur administratif devant lequel on se trouve."
Thierry Desforges, agriculteur dans l'Essonneà franceinfo
Tout le week-end, des fichiers Excel ont circulé pour organiser les tours de garde sur le blocage et pour lister le matériel nécessaire sur place. Les agriculteurs récitent leur partition et en moins d'une heure, un chapiteau est monté, avec une tireuse à bière, un barbecue et des frigidaires. A côté, des bennes accueillent des groupes électrogènes, quand d'autres transportent des palettes de bois, prêtes à être brûlées pour réchauffer les manifestants la nuit. Il y a même des toilettes de chantier et un Algeco. Un vrai camp de base, en somme, bricolé en plein cœur d'une double rangée de tracteurs, en amont et en aval.
"L'APRR [Autoroutes Paris-Rhin-Rhône] et les forces de l'ordre sont là pour sécuriser", avait rassuré Nicolas Galpin, président de la commission apicole de FNSEA, lors d'un dernier briefing de sécurité communiqué au point de ralliement, sur la coopérative d'Anvernaux. "On n'est pas dans notre campagne et on craint un peu les intrusions. Il peut y avoir des 'gilets jaunes', des taxis en colère ou autre. Donc fermez à clé vos tracteurs." Chaque agriculteur a dû remplir une fiche "blocage de la capitale" avec ses informations personnelles, ensuite collée sur le pare-brise.
Le convoi est parti sur les coups de 14 heures, dans un concert de klaxons, avec des gendarmes tout au long du parcours. Les ponts grouillent de curieux et quelques camions klaxonnent par solidarité. Par mesure de sécurité, et alors que le drame de Pamiers est encore dans toutes les têtes, les tracteurs sont stationnés sur les deux voies de gauche, les voitures sur la voie lente et la bande d'arrêt d'urgence est laissée libre. "On se pose sur l'A6 et on y reste, aussi longtemps qu'il le faudra", déclare Philippe Vandenhende, un céréalier venu avec sa fille Elodie, qui doit reprendre l'exploitation familiale. "Hors de question qu'on aille à Rungis", ajoute-t-il, à l'unisson de son syndicat, la FNSEA.
Mais tout le monde ne partage cet avis. Adrien Collin arrive d'Orveau (Essonne) pour dénoncer les taxes sur le gazole non routier (GNR), l'interdiction de certains produits phytosanitaires et les normes imposées aux exploitations. En somme, pour exprimer un "ras-le-bol général". Il transporte un barbecue et du bois dans sa petite benne, car "on s'est déjà mobilisés vendredi dernier et on s'est un peu caillés". Ce céréalier, qui roule pour la Coordination rurale, souhaiterait "quand même aller plus haut", en direction de Paris, et ne pas s'arrêter au blocage de l'A6.
"La décision de venir était facile à prendre"
A moins, peut-être, que le second paquet d'annonces gouvernementales ne convienne pas à la base. "On compte en rester au blocage pour le moment, mais on essaiera d'aller plus haut [vers Paris] si les réponses ne nous conviennent pas", avertit pour sa part Matthieu Ode, représentant des Jeunes Agriculteurs dans le département. "On sait quand on part, mais on ne sait pas quand on revient." Et parce qu'il faut bien sourire un peu, il a monté six gros klaxons sur le côté de son pare-brise, afin de faire le maximum de bruit. Comme beaucoup de participants, il attend également de connaître le résultat d'une réunion des ministres de l'Agriculture de l'Union européenne, prévue jeudi à Bruxelles.
"On vient pour trois ou quatre jours minimum, mais ça pourra durer plus longtemps si besoin. On a encore plein de collègues dans les fermes, laissés en réserve. Ils viendront si ça se passe mal."
Nicolas Cochepin, exploitant agricoleà franceinfo
Plusieurs élus locaux ont exprimé leur solidarité avec les manifestants. La mairie centriste de Mennecy, Jean-Philippe Dugoin-Clément, a ainsi fourni des conteneurs aux agriculteurs pour assurer la propreté des lieux.
Alexis Izard et Marie Guévenoux, députés de la majorité, sont également venus sur le blocage en mission déminage. "Gabriel Attal a annoncé des contrôleurs en plus pour les négociations entre distributeurs et agriculteurs [dans le cadre de la loi Egalim]", les a notamment interpellés un représentant agricole. "Mais ça veut dire quoi ? Que jusque-là, on fermait les yeux ?" La discussion s'est poursuivie pendant plusieurs minutes, dans le calme, Alexis Izard convenant que "cette équipe était trop petite" pour assurer sa mission.
Si le blocage s'est déroulé sans accrochage, et en bonne intelligence avec les autorités, les agriculteurs somment désormais le gouvernement de répondre à leurs multiples revendications. "Macron, réponds !" réclame une banderole en tête de cortège. Le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, et celui des Jeunes Agriculteurs, Arnaud Gaillot, ont une nouvelle fois l'occasion de les exprimer auprès du gouvernement, lundi soir, puisqu'ils sont reçus par le Premier ministre Gabriel Attal et le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau.
"Eleveurs, céréaliers, maraîchers, arboriculteurs... Nous sommes tous concernés. La décision de venir ici était facile à prendre", résume Hugo Augé, un céréalier tout juste rentré de sa semaine de vacances annuelle. "J'ai failli moi-même être bloqué et j'ai dû anticiper mon retour", plaisante-t-il. Cet exploitant s'est établi à son compte en 2017, avant de faire partie, la même année, des 1000 jeunes agriculteurs invités par Emmanuel Macron à l'Elysée. "On avait été parqués par région et on n'avait pas eu le droit de poser de questions", se souvient-il. "Mais cette fois, si on reste comme des pantins et que ça ne bouge pas, les choses risquent d'être moins calmes. L'objectif, ce n'est pas tant de bloquer l'autoroute que Paris."
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