L'Islande mise sur la démocratie participative pour sortir de la crise
Les électeurs de cet Etat de 320 000 habitants, plombé par la crise, ont voté pour une nouvelle Constitution élaborée par les citoyens. Mais le Parlement pourrait sérieusement l'édulcorer.
CRISE EUROPEENNE – Les Islandais parviendront-ils à bâtir un nouveau système politique dans leur pays ? Deux tiers d'entre eux (66,3%) ont ouvert une brèche, samedi 20 octobre, approuvant par référendum le projet d’une nouvelle Constitution, selon des résultats publiés lundi.
Les 237 000 électeurs de cette île de l’Atlantique Nord étaient appelés à se prononcer sur six questions jugées cruciales. Toutes avaient un lien avec le contenu du texte, rédigé en 2011 par un comité de 25 citoyens élus et destiné à remettre le pays sur de bons rails après la grave crise financière qu'il vient de traverser.
La révolution des casseroles
Retour en 2009. Les Islandais viennent d'assister à un effondrement économique sans précédent, provoqué par la faillite des trois grandes banques nationales. "L'Islande est passée, du jour au lendemain, du statut d'un des pays les plus riches de la planète à celui d'un Etat en faillite, sous perfusion du Fonds monétaire international", analyse Mediapart. Traumatisés et en colère, les quelque 320 000 insulaires sont déterminés à reprendre l'île en main.
A force de manifestations rythmées au son des casseroles, ils obtiennent la démission du gouvernement conservateur de Geir Haarde, ancien Premier ministre jugé en 2012 pour son rôle dans la faillite de l’Islande. L'idée d'une nouvelle Constitution finit aussi par s'imposer dans les esprits des révolutionnaires.
Un e-mail pour déposer un amendement
Le texte soumis au vote entend "dépoussiérer" celui en place depuis l'indépendance, en 1944, explique Michel Sallé, spécialiste de l'Islande contacté par francetv info. La population juge obsolète la Constitution actuelle et l'accuse d'être à l'origine des dysfonctionnements qui ont entraîné la crise. Le nouveau texte prévoit donc, en premier lieu, de clarifier la répartition des pouvoirs entre l'exécutif, le législatif et le judiciaire. Mais elle répond aussi aux préoccupations actuelles des Islandais, telles la réduction du nombre d'élus au Parlement, la séparation de l'Eglise (luthérienne) et de l'Etat, ou encore la nationalisation des ressources naturelles islandaises.
Désireuse de placer le peuple au centre de ce projet national, l'Islande a choisi de suivre un modèle participatif inédit pour élaborer cette base. Comme l'explique Rue89, vingt-cinq citoyens ordinaires ont été élus, en novembre 2010, pour former une Assemblée démocratique. La majorité est toutefois issue "des élites de la société islandaise", comme des universitaires, des journalistes ou des médecins, relève Le Monde. Ce sont eux qui, pendant quatre mois en 2011, ont rédigé les 114 articles (en anglais) du nouveau texte.
Mais c'est surtout la possibilité, donnée aux Islandais, d'être impliqués dans l'élaboration du texte qui a frappé les esprits. Ainsi, "les Islandais [ont pu], sur une page Facebook, par e-mail ou sur Twitter, proposer des amendements, faire de nouvelles propositions, demander des éclaircissements" sur un texte les concernant directement, explique Rue89.
Vers une Constitution "a minima"
Le référendum de samedi est venu conclure cet exercice de démocratie directe. Le résultat est "positif", juge Michel Sallé, rappelant que le taux de participation s'est élevé à près de 50%. "C'est bien plus que ce que tout le monde pronostiquait", analyse-t-il. Mais cette Constitution a-t-elle réellement une chance d'aboutir ? Rien n'est moins sûr. En tout cas, pas en l'état. D'une part, le référendum de samedi n'a qu'un rôle consultatif ; le Parlement islandais doit donc encore statuer dessus. Deux votes conformes du Parlement sont nécessaires, avant et après des législatives, prévues en avril 2013.
Or, la droite du Parti de l'indépendance, hostile au texte, y est donnée gagnante par la majorité des sondages. Les Islandais sont en effet déçus par l'action de l'actuel gouvernement, qui "a dû appliquer la politique de l'ancien gouvernement et du FMI" pour redresser le pays. "Il n'y a pas eu de vraie révolution", analyse Michel Sallé, qui explique que nombre d'Islandais se sont redirigés vers le parti conservateur, considéré comme une "valeur sûre".
Dans ce contexte, il est probable que la droite "retrouve sa position d'avant la crise" d'ici avril 2013 et "s'approprie" le texte de la nouvelle Constitution, en modifiant de nombreuses dispositions. Pour Michel Sallé, la mise en œuvre du texte pourrait donc "se faire a minima alors que les aspirations des Islandais vont bien au-delà".
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