Le pacte budgétaire ? "Innovant, mais inapplicable"
Pour l'économiste Eric Heyer, la notion de "déficit structurel", au cœur du texte, n'a pas été assez précisée.
CRISE EUROPEENNE - C'est un texte qui déchire la majorité. Adopté mercredi 19 septembre en Conseil des ministres, le projet de loi sur le traité budgétaire européen oblige les lois de programmation des finances publiques à limiter le déficit dit "structurel" à 0,5% du produit intérieur brut (PIB) à moyen terme. Le texte divise au sein même du PS et d'Europe Ecologie-Les Verts. Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, s'est senti obligé d'appeler à un "vote massif" de sa majorité en faveur de cette loi.
Les opposants au texte, dont une partie de la gauche et notamment Jean-Luc Mélenchon, estiment que ce traité est un nouvel instrument conduisant à l'austérité. Est-ce vraiment le cas ? L'analyse d'Eric Heyer, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
FTVi : Les détracteurs du pacte budgétaire européen estiment qu'il va institutionnaliser l'austérité. C'est aussi votre avis ?
Eric Heyer : Non. Au contraire, il va permettre à l'Etat d'augmenter ses marges de manœuvre face à la crise. La grande nouveauté, c'est que la loi encadre seulement le déficit structurel, hors aléas de la conjoncture, uniquement lié au fonctionnement de l'Etat et des administrations publiques. Mais en cas de crise, comme c'est le cas en ce moment, elle n'interdit pas de laisser jouer les stabilisateurs automatiques [par exemple, l'indemnisation chômage] pour soutenir la croissance. C'est en cela que cette "règle d'or" est intéressante et innovante.
Pourquoi "innovante"?
Aujourd'hui, les politiques d'austérité agissent sur le déficit public, sans distinguer le déficit structurel du déficit conjoncturel. Or nous sommes en bas de cycle. Résultat, la rigueur budgétaire empêche un vrai rebond de l'activité et casse le peu de croissance qu'il nous reste. Les objectifs fixés sont donc impossibles à tenir.
Vous voulez dire que François Hollande ne tiendra pas sa promesse de revenir à un déficit de 3% en 2013 et à l'équilibre en 2017 ?
C'est un engagement très contraignant, qui vise le déficit conjoncturel et qui, en voulant réduire trop vite ce déficit, qui se situe actuellement autour de 4,5%, pourrait bien aboutir à l'augmenter. Trop de rigueur, trop vite, cela aboutit à l'effet inverse. C'est en cela que le pacte budgétaire représente une amélioration : la nouvelle règle est en fait moins contraignante que l'objectif fixé par François Hollande ! Le président de la République s'est imposé comme objectif de courir le 100 m en 10 secondes. Avec la nouvelle loi, ce serait plutôt 60 m en 10 secondes. C’est un objectif plus raisonnable et on est sûr d'arriver vivant au bout de la course...
Mais comment distingue-t-on le déficit structurel du déficit conjoncturel ?
C'est tout le problème. D'abord, le déficit structurel peut être fortement révisé a posteriori. Le calcul de ce déficit peut donc fortement varier dans le temps. Il sera alors très difficile de mettre une règle sur une évolution aussi sujette à révision. On pose une limite à ne pas franchir, qui est de 0,5% du PIB... mais si cette ligne blanche évolue et que l'on se rend compte qu'elle a été dépassée, ce sera infernal car il faudra procéder à des ajustements.
Le deuxième écueil, c'est qu'il faudra s'accorder sur ce qui est structurel ou non. Ce sera sans doute sujet à de nombreux débats et appréciations.
Alors à quoi sert cette loi ?
C'est une bonne question... Elle est intéressante, mais inapplicable. Pour moi, c'est surtout un moyen de rassurer l'Allemagne, en lui donnant des gages qui vont permettre à la France et aux autres Etats de l'Union européenne d'obtenir des avancées sur d'autres dossiers.
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