Croissance nulle en France : est-ce que cela va durer ?
Selon les chiffres de l'Insee publiés jeudi, la croissance française a stagné au premier trimestre 2014. Analyse avec Michel Dévoluy, membre des Economistes atterrés.
Un PIB "stable", à 0%, et une consommation des ménages en recul de 0,5%. Alors qu'elle était de 0,2% au dernier trimestre 2013, la croissance a été nulle durant les trois premiers mois de 2014, d'après les chiffres publiés par l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), jeudi 15 mai. Malgré les nouvelles méthodes de calcul de l'Insee, qui devaient permettre aux chiffres d'être réévalués à la hausse, la croissance ne parvient pas à atteindre les prévisions, qui la fixaient à 0,1%.
Michel Dévoluy est professeur d'économie à l'université de Strasbourg et membre des Economistes atterrés, un collectif qui prône notamment des alternatives à l'austérité. Pour lui, la baisse de la consommation n'est pas un phénomène temporaire.
Francetv info : Faut-il s'inquiéter de la croissance zéro observée au premier trimestre ?
Michel Dévoluy : Ces chiffres sont peu encourageants, mais ils ne sont pas surprenants. Ils sont le résultat de la politique d’austérité menée par la France. On ne peut pas, d’un côté, déprimer l’économie par des mesures de réduction des dépenses publiques, de gel des salaires et des traitements, et en même temps espérer une reprise économique. C’est tout l’enjeu de la politique économique du gouvernement, qui estime que si l’Etat est plus vertueux, l’économie sera relancée. Il y a des corollaires à cette politique : les consommateurs consomment moins, et l’Etat aussi. Les entreprises, parce qu’on leur demande moins d’investissements, produisent moins.
La baisse de la consommation, responsable en grande partie de cette stagnation de la croissance, va-t-elle durer ?
Sans doute, surtout dans le contexte actuel de gel des salaires. Tant que l’on continuera de dire aux Français qu’ils auront moins de revenus, même dans la perspective d’une baisse des impôts, ils consommeront forcément moins. Cette diminution de la consommation traduit à la fois un manque objectif de pouvoir d’achat et une crainte de l’avenir.
En Europe, la France est-elle en train de devenir la mauvaise élève de la croissance ?
Sans avoir à juger si nous sommes de bons ou de mauvais élèves, nous avons simplement besoin que notre économie soit soutenue. Nous sommes en retard parce que nous cherchons trop à être compétitifs sur les marchés internationaux en cassant nos prix. On est en train de se "tiers-mondiser", au lieu de décider de développer des politiques ambitieuses et des industries dynamiques, innovantes, et protectrices de l’environnement.
Nous ne sommes pas sur une bonne trajectoire, mais ce n’est pas la faute de l’Europe. L’Europe, c’est nous. Nous avons nous-mêmes édicté ces règles, même si elles sont stupides en période de crise. D'ailleurs, nous risquons bien de ne pas respecter l'une d'entre elles : l’engagement de la France de réduire son déficit public à 3% du PIB à la fin de 2015 ne pourra pas être tenu.
Comment faire pour que la croissance française redécolle ?
Le problème n'est pas spécifiquement français. Les solutions se jouent aussi au niveau de l'Union européenne. L’Europe est à mi-chemin entre une structure intergouvernementale, avec des politiques sociales, fiscales et budgétaires différentes en fonction des Etats, et une structure fédérale, avec sa monnaie, et son marché unique. Les Etats européens, à travers le traité de Lisbonne ou celui qui a introduit la règle d’or [qui contraint les gouvernements à un déficit budgétaire inférieur à 0,5% de leur PIB], ont cru bon d’imposer des règles strictes en matière budgétaire. Mais en faisant cela, ils se lient les mains, et suppriment tous les leviers de manœuvre.
Ils pensent aussi que, pour être compétitifs, ils doivent mener des dévaluations internes : réprimer les coûts et les salaires. Mais tout cela déprime l’économie. La seule solution consiste à faire un grand pas vers un vrai gouvernement économique, avec un Parlement européen qui prenne des décisions. Il faut sortir des traités actuels qui nous cadenassent avec la stabilité et les politiques budgétaires, le dynamisme économique et la demande, et qui imposent d’avoir des salaires et des coûts du travail les plus faibles possibles. C’est socialement destructeur, et c’est un désenchantement.
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