Pourquoi les inégalités salariales sont plus marquées dans le sport qu'ailleurs
Le média spécialisé L’Équipe, via son magazine hebdomadaire, a publié samedi 24 février le classement des 50 sportifs français les mieux payés (salaires, revenus sponsoring et marketing). Que dégagent les investigations de L’Équipe ? Que disent-elles sur le niveau de redistribution et de répartition des rémunérations ? Quels sont les critères qui déterminent le poids des salaires ?
Le média spécialisé L’Équipe, via son magazine hebdomadaire, a publié samedi 24 février le classement des 50 sportifs français les mieux payés (salaires, revenus sponsoring et marketing). Traditionnel Top 50 dévoilé tous les ans depuis maintenant une quinzaine d’années, cette hiérarchie permet de dévoiler l’état de l’économie des sportifs hexagonaux et des évolutions structurelles et conjoncturelles.
Que dégagent les investigations de L’Équipe ? Que disent-elles sur le niveau de redistribution et de répartition des rémunérations ? Quels sont les critères qui déterminent le poids des salaires ?
Les sports collectifs sur-représentés
Au total, les 50 sportifs français les mieux payés se partagent 430,2 millions d’euros par an. Le premier est le joueur de football de Manchester United, Paul Pogba, avec 22,2 millions de salaire annuel. Il est suivi par le basketteur Tony Parker, avec 19,7 millions d’euros, puis par l’attaquant de l’équipe de France Antoine Griezmann, à 19,1 millions d’euros.
A noter que les sports collectifs sont sur-représentés puisqu’on ne trouve que deux représentants des sports individuels : le champion de rallye Stéphane Ogier, à la 15e place, émargeant à 9,5 millions d’euros par an, et le double champion olympique de judo Teddy Riner, 37e avec 5,5 millions d’euros.
En théorie, la science économique suppose pourtant que les sports individuels sont plus rentables : on y récompense directement l’utilité de l’agent, alors que dans les sports collectifs, c’est la moyenne des utilités individuelles qui compte (à la fois celles des opportunistes et des agents maximisateurs).
Le sport individuel valorise plus les performances personnelles tandis que dans le sport collectif, les résultats sont basés à la fois sur l’individu et l’équipe, sur le groupe dans son intégralité. Et les rémunérations s’en trouvent alors influencées : un très bon joueur dans une mauvaise équipe n’arrivera jamais à être aussi bien payé qu’un très bon joueur dans un sport individuel, qui ne gagne que grâce à ses performances propres.
Par exemple, en 2015, le classement Forbes des 100 sportifs les mieux payés de l’année avait mis aux deux premières places les boxeurs Floyd Mayweather et Manny Pacquiao, avec respectivement 300 millions et 160 millions de dollars de gains. Le premier représentant des sports collectifs, le footballeur Cristiano Ronaldo, gagnait alors moitié moins que le Philippin Pacquiao, avec 79,6 millions.
Où sont les femmes ?
Au-delà de la comparaison "sport individuel, sport collectif", ce qui interpelle lorsqu’on regarde le classement, c’est l’absence unilatérale de sportives. Aucune femme n’apparaît dans le Top 50. D’après L’Equipe, cette absence est malheureusement courante puisque, en treize ans, la gent féminine n’y a été représentée que 9 fois…
Cet état de fait n’est pas propre au cas français. Quand on regarde le classement mondial des sportifs en 2017, sur les 100 premières places, on ne trouve qu’une seule femme, la tenniswoman Serena Williams… à la 51e place (avec 27 millions de dollars engrangés dans l’année).
Comment expliquer cette malheureuse absence ? Comment expliquer cette inégalité sociétale généralisée et internationalisée ?
Le premier élément est économique et médiatique. Sur le marché, le sport féminin ferait, par hypothèse, moins d’argent et moins d’audience que le sport masculin. Résultat : la Ligue de football professionnel française coûte, en droits de retransmission télévisée, 748,5 millions d’euros par an, contre un peu plus d’un million d’euros pour la première division féminine.
Et qui dit moins de valeur économique dit moins de médiatisation, moins de sponsors, moins de partenariats marketing et merchandising. En 2012, 81% des montants investis par les 100 premiers sponsors concernaient le sport masculin, et seuls 3 % le sport féminin.
Seulement, dans les faits, rien ne justifie ces inégalités économiques. Lorsqu’on se penche sur les audiences télévisuelles, on se rend compte que le sport féminin, notamment le football, fait autant voire plus d’audience que le sport masculin.
Un match de Ligue 1 diffusé sur Canal+ ou beIN Sports enregistre, en moyenne, 1 million de téléspectateurs cumulés, contre parfois plus de 2 millions pour des matchs de la Coupe du monde féminine et certains matchs du championnat de France, en clair.
De plus, d’après une étude publiée par Havas Sports & Entertainment en 2013, 70% des Français trouvent le sport féminin aussi intéressant que le sport masculin. La différence salariale n’a donc pas lieu d’être.
Tous logés à la même enseigne ?
En étudiant en profondeur le classement, on constate une répartition et une distribution inégalitaire. Paul Pogba, le sportif le mieux payé, gagne 17,2 millions d’euros de plus que le défenseur du Barça Samuel Umtiti, dernier du top 50, à 5 millions d’euros par an. Le salaire moyen (entre les 50 sportifs) s’affiche à 8,6 millions d’euros, alors que la médiane (qui coupe en deux parties égales l’effectif des sportifs) n’est qu’à 6,9 millions d’euros.
En statistiques, on admet que le groupe étudié est inégalitaire lorsque la moyenne n’est pas égale à la médiane. Et si cette dernière est inférieure à la moyenne, les inégalités se situent en haut de l’échelle. Autrement dit, les très très riches gagneraient énormément, et les "moins" riches se partageraient équitablement leurs gains.
En utilisant des outils d’analyse plus pointus, le coefficient de Gini (meilleur indicateur de mesure des inégalités) apparaît à 0,36 contre 0,29 dans le reste de la société française. Dans une situation d’égalité parfaite, cet indice est égal à 0.
La répartition des salaires des 50 sportifs français les plus riches est donc plus inégalitaire que dans la société elle-même. Par comparaison, ce niveau de 0,36 se retrouve dans les sociétés britannique et états-unienne. Même chez les riches, il y a des écarts importants.
Comment expliquer ces rémunérations ?
Reste maintenant à expliquer et à comprendre ces salaires aussi élevés. Au-delà de la question de l’inflation, la hausse des salaires est multifactorielle.
Premièrement, la mondialisation et l’internationalisation du sport ont provoqué une augmentation considérable de la valeur des droits télévisés : 1 milliard d’euros en moyenne dans le foot européen, 2,1 milliards d’euros pour la NBA (le championnat de basket nord-américain), 1,5 milliard pour les Jeux olympiques, etc.
Ensuite, cette inflation des droits a attiré de nouveaux investisseurs étrangers, les "sugar daddies" Ces derniers, russes, chinois, qataris, émiratis, etc., ont injecté énormément d’argent (d’abord dans un but symbolique avant lucratif) et soutenu les budgets du sport.
Puis, toujours à travers la mondialisation, le nombre de fans a augmenté, ce qui a permis une hausse considérable des recettes. Plus de fans à travers le monde, ce sont plus de ventes de maillots, de goodies, de places, de billets… donc plus d’argent à dépenser et à redistribuer aux acteurs.
D’ailleurs, dans un sens très marxiste, le sportif est à la fois un "bourgeois" et un "prolétaire". Il est le propriétaire des moyens de production et de sa force de travail. C’est lui, et lui seul, qui crée le spectacle et attire les foules de consommateurs. Il n’y a pas d’intermédiaire ou de donneur d’ordres.
La rémunération se base sur la capacité de production du sportif, dont le salaire correspond parfaitement au fruit des ventes. Ainsi, puisque le salaire est négocié en fonction du niveau réel, ceux qui gagnent le plus présentent une productivité marginale supérieure à la moyenne et, par le jeu de la concurrence, poussent continuellement leur contrat à la hausse.
Karl Marx, père du communisme et de la lutte des classes, justifie ici le niveau des rémunérations des sportifs. C’est parce qu’ils rapportent et qu’ils sont bons qu’ils sont bien payés : "De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins."
Les datavisualisations de cet article ont été réalisées par Diane Frances.
Pierre Rondeau, Professeur d'économie, Sports Management School
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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