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Loi Travail : "Après le 49.3, la violence a pu devenir une forme de réponse politique"

La loi El Khomri fait son retour à l'Assemblée nationale mardi. Rémy Buisine, qui a suivi depuis le début la mobilisation contre le projet de loi, revient sur les quatre mois de contestation (et de violences) qui ont accompagné le chemin parlementaire du texte.

Article rédigé par franceinfo - Juliette Duclos
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Rémy Buisine, sur la place de la République, à Paris, le mercredi 6 avril. (ELLIOTT VERDIER / AFP)

Dernière ligne droite dans le cheminement parlementaire de la loi El Khomri. Le texte, qui prévoit une réforme en profondeur du Code du travail, revient à l'Assemblée nationale, mardi 5 juillet, après avoir été adopté, dans une version profondément remaniée au Sénat.

La commission des Affaires sociales de l'Assemblée a déjà rétabli la version adoptée le 12 mai via l'article 49.3 de la Constitution, c'est-à-dire sans vote ni débat. Et le texte ne sera plus modifié, a prévenu Jean-Marie Le Guen, ministre des Relations avec le Parlement, quitte à passer à nouveau par un 49.3.

L'adoption définitive du texte marquera la fin de quatre mois d'une bataille sociale et politique, dont Rémy Buisine a été un témoin privilégié. Le jeune homme de 25 ans s'est fait un nom en filmant et en diffusant en direct, avec l'application Periscope, toutes les manifestations contre la loi Travail et les débuts du mouvement Nuit debout. A francetv info, il explique comment il a vu, au fil des mois, la mobilisation se transformer en véritable bras de fer entre le gouvernement et les opposants à ce projet. 

Francetv info : Le dimanche 3 avril, sur la place de la République, votre vidéo a été suivie en direct par 80 000 internautes. Pouvez-vous nous raconter ce qui vous a mené à "périscoper" le mouvement Nuit debout?

Rémy Buisine : Cela fait un an et demi que j’utilise l’application Periscope pour filmer en live des événements, comme la COP21 et les suites de la tuerie au Bataclan. J’avais commencé à "périscoper" dès le début le mouvement social contre la loi Travail, au mois de mars. Mon objectif, c’était de montrer l’ambiance pendant les manifestations : les slogans, les chants, les pancartes… Il n’y avait pas de débordements à ce moment-là.

Mais c’est quand le mouvement Nuit debout a commencé à émerger sur la place de la République que le live streaming m’a semblé réellement important. Pourquoi ? Parce que c’est un mouvement très complexe qu’on ne peut pas résumer en un reportage de deux minutes à la télévision. Quand on est en immersion avec Periscope, on peut aller au cœur du discours. Mais je ne m’attendais pas du tout à avoir autant de gens qui me suivent ce jour-là. C’était un moment très fort, il y a même des personnes qui sont arrivées au cours de la soirée avec des batteries rechargeables pour que je poursuive la diffusion.

Nuit debout, les manifestations contre la loi El Khomri... Vous êtes de toutes les mobilisations. Avez-vous rencontré des réticences de manifestants ou de policiers en filmant ?

C’est arrivé que je sois intimidé par des personnes cagoulées ou des manifestants excédés lors de moments de fortes tensions. Quand il y a des débordements, comme ce qui a pu se passer sur la place de la Nation le 9 avril, on est vite inquiété quand on filme. Les personnes n’ont pas envie d’être filmées en train de jeter des pavés… Mais ce sont quand même des actes isolés, relativement rares. Et je suis moins embêté que les journalistes avec leur caméra : mon matériel est plus discret. Surtout, j'inspire moins de méfiance car je suis un simple citoyen. Mais la violence est devenue omniprésente pendant les manifestations. Le 14 juin, par exemple, je filmais des policiers en civil qui molestaient un photographe. Après ils s’en sont pris à moi en me menaçant et en me gazant pour que j’arrête de filmer.

Avez-vous noté un basculement dans les manifestations, dans les revendications et dans les comportements des manifestants comme des forces de l'ordre ?

Oui, j’ai pu observer une réelle évolution durant ces quatre mois. En mars, au début, c’était très calme. Il y a bien eu quelques débordements, mais c’était relativement isolé et en matinée. A partir du mois d’avril, ça a basculé vers autre chose. Les manifestants cagoulés ont fait leur apparition, alors qu’ils n’étaient pas vraiment présents auparavant et la tension est devenue omniprésente dans les cortèges.

A mes yeux, c’est la manifestation du 9 avril qui marque le début du durcissement de la contestation. Il y avait tout un groupe qui s’en est pris aux forces de l’ordre sur la place de la Nation, en leur envoyant des pavés. Sauf que les policiers étaient attentistes et qu’ils ne répliquaient pas. La deuxième grande évolution, c’est l’apparition des grenades de désencerclement utilisées par les forces de l’ordre. Pour moi, cela a commencé le 28 avril, en tout cas, de façon marquante et ensuite le 1er mai. C’était des moments de très forte tension.

Et ensuite ?

Je pensais que la violence avait diminué mais ça a repris de plus belle le 14 juin. Pendant deux heures, il y a eu des affrontements en pleine rue. On se serait cru dans des scènes de guérilla urbaine, avec des feux et du béton arraché. Avant, c’était les panneaux publicitaires qui étaient ciblés, ou encore les devantures de banques. Il y avait un message politique. Ce jour-là, tout y est passé, c’était vraiment tendu. Les 23 et 28 juin, c’était encore différent, on avait l’impression d’être dans une nasse géante. On avait tous le sentiment d’être parqués par la police.

Comment expliquez-vous cette cristallisation des tensions qui a eu lieu à partir du mois d’avril ?

Il y avait déjà chez certains manifestants un discours révolutionnaire, qui prônait la violence, mais ceux-ci restaient très marginaux. Pour moi, l’élément déclencheur, c'est le recours au 49.3, le 12 mai. On sentait un véritable décalage, car à Nuit debout et dans les manifestations, les opposants au projet de loi débattaient sur des notions comme la démocratie, ils refaisaient le monde. Pendant ce temps, à l’Assemblée nationale, Manuel Valls faisait passer en force une loi contestée. C’est à ce moment-là que tout s'est cristallisé. Pour certains, la violence a pu devenir une forme de réponse politique. Dès lors, j’ai senti que cette frange des manifestants n'essaierait même plus de pacifier les rapports. La mobilisation contre la loi El Khomri est devenu un véritable bras de fer.

Un moment vous a-t-il particulièrement marqué ?

Les dernières manifestations ont été particulièrement émaillées par les violences, mais il ne faut pas que cela occulte le reste. Humainement, il y a des moments très forts à vivre. Je me souviens particulièrement d’une action pour soutenir un cheminot de la gare Saint-Lazare, à Paris. Leur "camarade", comme l'appelaient les manifestants, avait été interpellé [pour violences volontaires sur les forces de l'ordre lors d'un rassemblement contre le projet de loi]. A une heure du matin, près de 1 000 personnes sont arrivées au commissariat où il se trouvait en garde à vue pour demander sa libération. C’était bon enfant, pacifique avec les forces de l’ordre, qui se faisaient doucement charrier dans les slogans [quatre personnes ont toutefois été arrêtées pour des dégradations]. Le cortège est ensuite retourné vers la place de la République, vers 3h30 du matin, alors que la majorité bossait le lendemain.

Après quatre mois à couvrir les manifestations, quels sont vos projets ?

C'est la dernière ligne droite pour la mobilisation. Je vais continuer de suivre les manifestations jusqu'au bout. 

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