Plan "500 000 formations pour les chômeurs" : de bonnes intentions, mais des formations parfois bidon
Après le lancement par François Hollande en janvier 2016 du "plan 500 000 formations", un million de chômeurs sont en formation. Mais les bonnes intentions masquent parfois des dérives.
En décembre 2015, François Hollande annonce un plan qui donnera accès à 500 000 formations aux chômeurs, les grands oubliés de la formation professionnelle. En janvier 2017, ils seront bientôt près d'un million à être en stage. Ce plan est essentiellement financé par l’État, les cotisants salariés et les régions. Mais si l’intention est louable, pour Denis Gravouil, chargé du suivi des chiffres du chômage à la CGT, ce plan ne fait qu'ouvrir "les vannes à des formations bidons". L'actuel plan de formation voit en effet éclore une multitude d'organismes, pas toujours sérieux.
La durée de vie de ces entreprises arrivantes, aux côtés d’organismes plus professionnels, est parfois très éphémère. Michel Menu, le chef du service régional de contrôle à la direction du travail en Ile-de-France constate : "On doit être à 3 500 organismes qui veulent se déclarer en tant qu'organisme de formation. Et il y en a à peu près autant qui disparaissent... Soit parce qu'ils n'ont plus de clients, soit parce qu'ils n'ont rien fait pendant une année et deviennent caduques, soit parce qu'ils ne trouvent pas nécessaire de faire un bilan et deviennent aussi caduques pour non production de bilan."
En dépit de ce constat, Pôle emploi affirme que 60% des stagiaires retrouvent un emploi durable six mois après une formation qualifiante.
Des formations "bidon"
Direction le Centre d'instruction des moniteurs de pilotage automatique (CIMPA), implanté à Signes (Var), qui cumule différentes anomalies dont témoignent plusieurs stagiaires. Tout d'abord, l'entreprise n’a officiellement aucune activité depuis avril 2016 pour les services de contrôle de la formation professionnelle de la région. Le numéro administratif de déclaration d’activité est caduc.
Depuis vingt ans, le CIMPA forme et brevette pourtant des moniteurs-pilotes stagiaires. Sur le papier, ce stage à 14 500 euros est très prometteur. Le directeur Jean-Michel Fabre, unique salarié de la société, annonce un taux de réussite impressionnant : "89% de réussite est le chiffre minimum, 97% pour le meilleur au terme du rattrapage." Le calcul se fonde sur les unités d’examen réussies, mais pas sur le nombre de stagiaires ayant obtenu leur diplôme du premier coup en 2016. Dans les faits, nous avons compté 16 reçus sur 33 stagiaires.
Plus sérieux : les conditions dans lesquelles se déroulent les stages laissent à désirer. Un stagiaire déçu d’avoir raté l’examen témoigne n’avoir rien appris en cours devant son clavier dans un froid polaire avec seulement quelques jours de pratique au volant et beaucoup d'heures passées à laver les voitures dans le garage. Un autre, reçu celui-là, se souvient qu’il était possible de se retrouver débout pendant toute une journée à apprendre à répondre au téléphone.
Plus grave : alors que l’objectif de cette formation est d’apprendre à piloter en toute sécurité, le formateur aurait lui-même commis des infractions au code de la route en se rendant sur un circuit : "Mon convoi part devant, entre 90 et 120 km/h, raconte un stagiaire. Quand vous êtes à 17 voitures, pour ceux qui sont en queue, ça fait accordéon. Je l'ai vu rouler jusqu'à 160 km/h dans des zones limitées à 70. Le type devant moi n'a pas pu redresser l'Austin, il est tombé. Je l'ai retrouvé trois mètres en contrebas, sa voiture posée sur la cime des arbres. On appelle le moniteur au talkie-walkie, il dit : 'Deux personnes restent sur place. Appelez la dépanneuse'. Il ne fait pas demi-tour."
J'ai eu très peur
un stagiaire du CIMPAà franceinfo
Si Jean-Michel Fabre ne nie pas l’existence de ce dérapage, il dément avoir commis des excès de vitesse. Aucune critique n’a jamais été portée par écrit, alors qu’il existe des rapports de stage quotidiens. Et pour cause : les rapports des stagiaires sont censurés par le directeur."Il m'arrive de travailler au stylo rouge, soit parce que le rapport n'est pas rédigé correctement, soit parce qu'il ne relate pas la réalité, explique-t-il. Un objectif doit être défini : pourquoi cet objectif et comment le stagiaire va faire pour l'atteindre. Il doit répondre au minimum à ces trois questions."
Des stagiaires de Pôle emploi grévistes, une première
Envoyés pour huit mois et par Pôle emploi en formation "Titre Professionnel Cuisine" auprès de l'association ISP spécialisée dans les formations aux métiers de l’hôtellerie et de la restauration, des stagiaires se sont mis en grève. La phase pratique les a conduits dans une cuisine-école établie au rez-de-chaussée d’une villa de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne).
Le lieu était insalubre selon le témoignage de Mezidi Khedidja, l’une des stagiaires. "Sous le bar, il y avait un bac plein de crottes de rongeurs, des cafards, la vitre cassée d'une porte toujours en place, du sang sur le mur, sur les escaliers, des toilettes cassées, une cave complètement ouverte, accessible, camouflée avec un canapé", décrit-il.
Côté pédagogie, les stagiaires n'étaient pas mieux lotis. Ils ont été pris en charge dans un premier temps par un formateur qui a reconnu lui-même ne pas être compétent en cuisine. Marc Joulin est serveur de restaurant, il est inscrit à Pôle Emploi depuis deux ans et demi. Les conseillers parviendront à convaincre les stagiaires qu'ils n'ont pas le droit de se mettre en grève. Deux irréductibles seront exclus de la liste des demandeurs d’emploi. La CGT proteste et le journal L'Humanité révèle l’affaire.
L’inspection du travail est saisie via le cabinet de la ministre du Travail Myriam El Khomri. Prévenu à l’avance d’une inspection, Samuel Tshisuaka, le directeur de cette formation, a eu le temps de rénover l'établissement. Aujourd'hui, malgré les photos des stagiaires, il nie l'état dans lequel était la cuisine avant les travaux : "J'ai eu trois contrôles inopinés de financeurs qui m'ont dit : 'C'est agréable, c'est confortable, on peut y travailler'. Appelez le service qualité de Pôle emploi qui est venu voir ! Appelez la direction territoriale qui m'a appelé pour me dire : 'Il n'y a pas d'anomalie'."
Audrey Perocheau, la directrice des formations de Pôle emploi, reconnaît le scandale et assure que des mesures ont été prises : "Nous avons mis l'organisme de formation en demeure. Nous avons arrêté l'envoi de demandeurs d'emploi dans ces formations", explique-t-elle. Les stagiaires sont aujourd’hui dispersés dans des stages de cuisine collective en banlieue parisienne.
Nous avons mis fin à une situation qui n'est pas tolérable
Audrey Perocheau, directrice des formations de Pôle emploià franceinfo
Pourquoi une telle situation ? Depuis l'ouverture des vannes du financement, la tendance est d'attribuer les marchés formation demandeurs d’emploi aux organismes moins-disants, les moins coûteux. ISP vend ainsi des stages cuisine deux fois moins chers que l’AFPA. La qualité s’en ressent.
Malgré la multiplication par cinq des demandeurs d'emploi en formation - de 200 000 à un million en un an - le nombre d'inspecteurs du travail lui n'a pas varié : 146 contrôleurs dans les régions, 22 à Paris, pour 80 000 organismes dans toute la France. Ce sont pourtant les seuls habilités à inspecter une entreprise sans prévenir.
De nouvelles méthodes de formation
Dans le secteur privé de la formation, plus de 70% de salariés sont des personnes souhaitant changer de métier. Peu sont des chômeurs, à peine 10%. On opte de plus en plus pour des formations originales, telles que la sophrologie et l’hypnose. Pour Catherine Alliotta, directrice de l’institut de sophrologie à Paris, il s'agit d'abord de l’expression d’un besoin personnel des salariés. Mais ça ne conduit pas à trouver un emploi à coup sûr.
Les méthodes d'enseignement évoluent également pour s'adapter aux besoins et au temps disponible de chacun. Aujourd'hui, avec son portable, quelques euros payables en ligne et quelques minutes de pause, on peut se former soi-même n'importe où, n'importe quand, en suivant des cours à distance, les Massive Open Online Course (MOOC).
Marie Ducastel, la présidente d’Abilways, conseille une vidéo en ligne facile à assimiler, pour apprendre à se présenter. Cette méthode ne s'adapte pas à tous les métiers, mais elle fonctionne pour réviser son code de la route ou pour apprendre la cuisine et la pâtisserie. Le service public de la formation, l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), premier formateur de demandeurs d’emploi en ateliers (90 000 en 2016) est aussi devenu le premier formateur à distance pour la cuisine et la pâtisserie (100 000 apprenants).
Une source d'évasion fiscale ?
La formation à distance s’intéresse à tous les publics francophones. Elle engendre une évolution liée à la course à la compétitivité. Certains organismes en viennent à réduire ou à redéployer leur personnel en France pour ouvrir des call centers à l’étranger. Ces call centers sont supposés orienter la clientèle francophone vers les formations en ligne.
L'évasion fiscale pourrait se cacher derrière. Michel Menu, de la direction régionale de l’inspection du travail, s'interroge : "Où va cet argent qui quitte la France ? On se pose la question, mais on n'y répond pas. S'il n'y a pas de réelle activité, on va passer par les services fiscaux, des gens qui ont des pouvoirs d'investigations bien plus importants que nous."
"Plan 500 000 formations" : et après l'été 2017 ?
Le plan de financement de ces formations prend fin à l'été 2017. Si les négociations entre financeurs échouent, certaines pourraient s'arrêter. Pour trouver l’argent, le gouvernement a déjà prévu de retirer une prime à l’embauche de 4 000 euros accordée aux entreprises. Mais cela ne suffira pas, explique Yves Barou, président de l’AFPA : "La question de la pérennisation sera posée aux autorités de la France en juin 2017. Il y a eu un effort supplémentaire grâce à un milliard d'euros mis sur la table par les pouvoirs publics. Il faut continuer. Un milliard d'euros chaque année."
L’État compte sur les régions. Il a notamment demandé au plus gros centre de demandeurs d’emploi de France, la région Ile-de-France, de financer 50 000 formations supplémentaires en 2017. Mais Otman Nasrou, le vice-président de la région, n'a pas l'intention de le faire : "La région assumera ce sur quoi elle s'est engagée, c’est-à-dire entre 40 et 50 000 places. Le coût moyen ne peut pas être le même sur les 500 000 et sur le million, sauf si on fait des formations bidons."
Personne ne peut donc prévoir l'avenir des formations d’ici juillet prochain. En pleine campagne présidentielle, le flou est entretenu. La question est piégeuse pour les candidats. S'ils s'expriment en faveur d'une poursuite du plan, on risque de leur reprocher de vouloir augmenter le déficit. Mais proposer l'inverse serait prendre le risque de faire remonter les chiffres du chômage.
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