"C'est colossal, pourquoi on ne s'en occupe pas ?" : l'Unédic face au chômage des salariés frontaliers, une facture à 800 millions d'euros
Depuis quinze ans, Béatrice Falletti, mère de famille, traverse la frontière tous les matins pour un poste de coordinatrice dans l'export à Genève. L'avantage de travailler en Suisse, dit-elle à "L'Œil du 20 Heures", c'est le salaire : elle gagne 6 000 euros par mois, soit trois fois plus qu'en France. Quand elle s'est retrouvée au chômage il y a deux ans, ses indemnités ont été calculées sur la base de son salaire suisse. "J'avais 3 500 euros de chômage, alors que si j'avais travaillé en France, j'aurais eu à peine 2 000 euros de salaire, explique-t-elle. Ça n'encourage pas à travailler en France."
La France paye cette somme. Il y a 24 ans, pour favoriser la libre circulation des travailleurs, les Etats européens signent un règlement selon lequel un salarié, lorsqu'il trouve un emploi de l'autre côté de la frontière, cotise dans le pays où il exerce. Mais quand il est licencié, c'est le pays de résidence qui l'indemnise. En compensation, la France ne récupère qu'une toute petite partie des cotisations.
Pour certains, les indemnités atteignent des records
Julien, 48 ans, arrive en fin de droits, alors qu'il cherche du travail depuis bientôt deux ans. Responsable marketing à Genève, il gagnait l'équivalent de 15 000 euros brut par mois, doublant ainsi son salaire. "On n'a pas l'habitude de ce genre de sommes", dit-il. "C'est déconcertant au départ."
Quand sa société le licencie, son chômage s'élève à 6 795 euros par mois, à la charge de la France, alors qu'il cotisait en suisse. Nous avons fait les calculs : en deux ans, l'Unédic lui a versé 100 000 euros d'indemnités, quand la Suisse n'aura remboursé que 18 000 euros au titre des cotisations payées par Julien.
"La Suisse y gagne. Cela serait pourtant logique que ce soit la Suisse, pays où je cotise, qui finance mon chômage."
Julien, frontalier au chômageà "L'Œil du 20 Heures"
"Un déséquilibre insupportable"
L'Unédic a publié des chiffres chocs : les 77 000 frontaliers au chômage coûtent à la France 800 millions d'euros chaque année. "C'est énorme et ça se reproduit chaque année, critique Jean-Eudes Tesson, directeur de l'Unédic. Au total, depuis que les accords européens ont été signés, ce sont 9 milliards qui nous manquent aujourd'hui. C'est colossal et pourquoi on ne s'en occupe pas ?"
Depuis 2016, pour rééquilibrer les comptes, la France tente de faire modifier le fameux règlement européen. Un accord provisoire a même été conclu en 2019 pour que le chômage du frontalier soit payé par le pays où l'emploi était exercé. Le texte n'a jamais pu être adopté du fait de l'opposition de certains pays, comme nous le confirme un diplomate français à Bruxelles. "Pour eux, il s'agit d'enjeux financiers colossaux", explique-t-il.
"Le blocage est actuellement mené par trois Etats membres : la Belgique, les Pays-Bas et surtout le Luxembourg, dont 50% de la main-d'œuvre vient d'autres pays d'Europe."
Une source diplomatique à Bruxellesà "L'Œil du 20 Heures"
Au final, quelle est la marge de manœuvre pour la France ? Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du Travail et de l'Emploi a une solution : forcer les transfrontaliers à reprendre un emploi le plus rapidement possible. "Au bout de deux refus d'offres raisonnables d'emploi, on peut être radié de France Travail et ne pas être indemnisé, souligne-t-elle. Maintenant, on va prendre comme salaire de référence, non pas celui du pays où les frontaliers travaillaient, mais celui de la France."
Alors que débutent en France les négociations sur l'assurance-chômage, la ministre demande 400 millions d'économies supplémentaires aux partenaires sociaux. C'est la moitié de ce que coûte chaque année le chômage des frontaliers.
Parmi nos sources :
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