Discrimination à l'embauche : quatre questions sur la méthodologie de l'étude publiée par le gouvernement
Une enquête commandée par le gouvernement a dévoilé jeudi le nom de sept entreprises françaises, mises à l'index pour "présomption de discrimination à l'embauche". Mais la plupart d'entre elles contestent les résultats et la méthodologie de ce testing.
C'est ce qui s'appelle du "name and shame". Une pratique qui consiste à pointer du doigt une société. Le gouvernement a révélé, jeudi 6 février, les noms de sept entreprises épinglées pour discrimination à l'embauche.
Une annonce qui fait suite à la publication d'une étude menée par quatre chercheurs, qui ont réalisé un testing sur des dizaines de grandes entreprises françaises. Six d'entre elles se sont immédiatement déclarées "indignées" par les "faiblesses manifestes de la méthodologie utilisée, qui aboutit à des conclusions erronées". Voici comment a été réalisée cette étude.
Sur quelles entreprises françaises portait cette étude ?
L'étude a été conduite par des chercheurs de l'université de Paris-Est-Créteil. Elle a été commandée par les ministères du Travail, du Logement et le secrétariat aux Droit des femmes. Une première version de cette étude avait été révélée par France Inter début janvier sur un plus grand échantillon (103 entreprises) et aucun nom d’entreprise n'était alors sorti. Les résultats publiés jeudi portent sur un échantillon réduit de 40 grandes entreprises, testées entre octobre 2018 et janvier 2019.
Les entreprises ont été choisies parmi les plus grandes sociétés françaises. "Nous avons constitué un échantillon par choix raisonné, de façon à sélectionner des entreprises de grande taille, diversifiées par secteurs d'activité et recrutant activement", justifient les chercheurs. Parmi elles, plusieurs entreprises dont l'Etat français est actionnaire ont été retenues, comme Air France ou Renault. Elles ont été sélectionnées au sein de secteurs divers. On trouve ainsi le géant pharmaceutique Sanofi, des sociétés du monde des médias (Lagardère, M6 Métropole Télévision) ou encore des enseignes de la grande distribution (Carrefour, Casino).
Quelles ont été les méthodes employées ?
Pour savoir si ces entreprises ont des pratiques de recrutement discriminantes, les chercheurs ont combiné quatre méthodes de test.
Ils ont répondu à des offres d'emploi en envoyant un CV et une lettre de motivation. Dans certains cas, les scientifiques ont simplement sollicité des informations sur une offre d'emploi. Des candidatures spontanées leur ont également été adressées, accompagnées encore une fois d'un CV et d'une lettre de motivation. Enfin, ils ont envoyé des courriers pour solliciter des informations générales sur la procédure de candidature ou sur l'existence d'emplois vacants au sein de l'entreprise.
A chaque fois, deux courriers ont été envoyés : l'un provenant d'un candidat dit de "référence" et l'autre d'un candidat "potentiellement discriminé". Au total, 5 329 tests ont été réalisés, ce qui correspond à l'envoi de plus de 10 000 candidatures et demandes d'informations. Selon les chercheurs, cette solution permet de combiner des "méthodes différentes qui présentent chacune des avantages et inconvénients, mais dont la combinaison permet d'atteindre l'objectif souhaité".
Quels critères de discrimination ont été testés ?
La discrimination dans cette étude est analysée au travers de deux critères : le lieu de vie des candidats et leur origine. Les chercheurs ont analysé "la réputation du lieu de résidence" en créant deux profils différents : ceux dont l'adresse se situe dans et hors d'un quartier prioritaire de la ville (QPV).
Mais l'étude se focalise surtout sur le second critère, "l'effet de l'origine supposée française ou étrangère, pour des candidats de nationalité française". Là encore, les chercheurs ont créé deux profils types : "un candidat français qui signale par son prénom et son patronyme une origine française" et "un candidat français qui signale par son prénom et son patronyme une origine maghrébine". Pour les premiers candidats, ils ont retenu des noms comme Julien Legrand ou Emilie Petit. Pour les seconds, ils ont par exemple sélectionné Mohammed Chettouh ou Jamila Benchargui.
Un succès au test signifie que le candidat a par exemple reçu un accusé de réception, une demande d'information complémentaire ou encore une déclaration explicite d'intérêt pour son profil. A l'inverse, la candidature échoue lorsqu'elle est considérée comme hors profil, qu'il est indiqué qu'il n'y a pas d'opportunité d'emploi dans l'entreprise ou qu'elle reçoit un e-mail automatique d'absence.
Résultats : un candidat dont le nom a une consonance maghrébine a 25% de chances en moins d'obtenir une réponse qu'un candidat avec un nom à consonance européenne, indiquent les ministères. Les chercheurs constatent que les résultats sont moins clairs pour le critère du lieu de résidence. Le taux de succès du candidat habitant dans un quartier prioritaire est de 12,94%, contre 13,56% pour un candidat qui vit en dehors.
Dans le détail, les chercheurs mettent en évidence une discrimination significative dans sept entreprises : Air France, AccorHotels, Altran, Arkéma, Renault, Rexel et Sopra Steria.
Que dénoncent les entreprises incriminées ?
Dans un communiqué commun, dès jeudi soir, les entreprises incriminées pointent d'abord du doigt l'utilisation de la méthode de testing par candidatures spontanées, alors que leur processus de recrutement est très centralisé. En effet, beaucoup de grandes sociétés françaises passent désormais par des sites qui recensent les offres de l'entreprise et où les candidats doivent remplir un formulaire de candidature pour postuler. Il n'est donc pas étonnant que les candidatures et demandes spontanées aient un faible taux de réponse. Or Air France indique n'avoir été testée que par ce biais.
Aujourd'hui, c'est sur la base de sept candidatures spontanées, envoyées en dehors de nos canaux de recrutement, que le rapport conclut à la présomption de discrimination !
Air Franceà BFMTV
D'autre part, les candidatures et demandes spontanées concernaient des postes d'hôtesse d'accueil ou de technicien de maintenance, éloignés du cœur de cible des entreprises testées. Ces emplois sont d'ailleurs parfois sous-traités par ces sociétés. Une limite que les chercheurs anticipent dans leur étude. "Cela a pu conduire à ce que les candidatures ne soient pas traitées par les services de recrutement mais ont été ignorées par le manager ayant reçu un mail de candidature spontanée", indique une "note d'avertissement" en préambule de l'étude.
Enfin, toutes les entreprises n'ont pas toutes été testées le même nombre de fois, ce qui interroge sur la représentativité de l'étude. L'une d'elles l'a été 232 fois, contre seulement 32 fois pour une autre.
En publiant l'étude, le gouvernement en a d'emblée reconnu les limites, pointées par les sociétés mises en cause. "Quand vous avez ce type d'étude, vous avez toujours des biais méthodologiques", a concédé Julien Denormandie, vendredi, sur franceinfo. Le ministre chargé de la Ville et du Logement a annoncé qu'un nouveau testing "avec un cahier des charges prenant en compte les marges de progrès identifiées sur la première étude" serait effectué.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.