"C'est possible autrement" : dans l'Orne, des agriculteurs racontent comment ils ont arrêté le glyphosate
Dans cette région agricole de Normandie, plusieurs cultivateurs et éleveurs ont recours à d'autres techniques que l'utilisation du pesticide le plus vendu au monde. Franceinfo est allé à leur rencontre.
Quelques mauvaises herbes n'ôteront pas à Alain Davy son sourire. Il y a trois mois, l'agriculteur a bien effectué trois passages de désherbage mécanique dans ce champ, mais des plantes envahissantes jonchent encore ses hectares de maïs. "Il faut accepter qu'il en reste un peu !", dit-il en inspectant sa parcelle. Certes, le désherbage mécanique est "moins efficace" qu'un herbicide, mais Alain Davy ne regrette rien. Il y a douze ans, ce cultivateur et éleveur bio de Pointel (Orne) a fait un pari osé : cesser toute utilisation de glyphosate, classé "cancérigène probable" par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et retrouvé dans des produits de consommation courante.
La molécule est présente dans de nombreux désherbants, comme le Roundup, produit par la très contestée firme Monsanto. Des documents internes montrent que le géant de l'agronomie "a fait paraître des articles coécrits par ses employés et signés par des scientifiques pour contrer les informations dénonçant la toxicité du glyphosate", affirme Le Monde, mercredi 4 octobre. Toxicité aujourd'hui au cœur du débat : si la France envisage l'interdiction du pesticide, l'UE tarde à prendre une décision, reportant à chaque fois son vote, aujourd'hui programmé lundi 27 novembre. Car de nombreux agriculteurs défendent toujours le glyphosate, craignant une diminution de leurs rendements en cas d'interdiction. Pourtant, à Pointel, des cultivateurs comme Alain Davy assurent que des alternatives sont possibles.
"C'était de l'inconscience pure et dure"
Si aujourd'hui, 100 hectares de cultures et de prairies garanties sans engrais ni pesticides entourent l'exploitation d'Alain Davy, cela n'a pas toujours été le cas. L'agriculteur le reconnaît lui-même : il a utilisé non seulement du glyphosate, mais bien d'autres produits chimiques, pendant près de dix ans. "Et je ne vais pas vous mentir, j'en utilisais beaucoup", raconte-t-il dans son salon, un bol de café bio à la main. Pendant des années, il n'a mis aucune protection lorsqu'il manipulait du Roundup et le pulvérisait dans ses champs.
C'était de l'inconscience pure et dure. On a été endoctrinés.
Alain Davy, agriculteurà franceinfo
Et puis, il y a eu le déclic, en 2005, lors d'une réunion avec le syndicat d'eau potable d'une commune voisine. Face à une centaine d'agriculteurs, le syndicat, inquiet, annonce la présence de pesticides dans l'eau, à des niveaux deux à trois fois supérieurs aux normes. "Ça m'a choqué qu'on retrouve les pesticides que j'utilisais, reconnaît Alain Davy. Je me suis dit : 'il faut que je change mon fusil d'épaule'." Avec neuf agriculteurs, le producteur crée un Civam, un centre accompagnant les agriculteurs dans le changement de leur système de production. L'objectif ? Utiliser moins de pesticides et d'engrais, et être davantage autonome. Alain Davy tire alors un trait sur le glyphosate.
Du chimique au mécanique
"Arrêter les pesticides, ce n'est pas évident, reconnaît-il. Produire autrement, je ne savais pas faire." Pour pouvoir se passer de l'herbicide, l'agriculteur doit en effet revoir complètement son modèle. De 76 hectares de culture, il passe à 16 seulement. A la place, il resème beaucoup de prairies, ce qui lui permet d'avoir moins de mauvaises herbes. Il mise aussi fortement sur une rotation plus fréquente des cultures, pour les empêcher de repousser. Et pour les plus résistantes ? A l'extérieur de sa maison, l'agriculteur désigne une imposante bineuse bleue, avec laquelle il désherbe désormais mécaniquement.
La nouvelle méthode fonctionne. Certes, Alain Davy produit en moyenne 20% de moins qu'avant. Mais en n'utilisant plus d'herbicides, ses coûts ont baissé de façon "phénoménale", ce qui compense largement la baisse des rendements. Et surtout, l'effort est collectif. Alain Davy a acheté ses outils de désherbage mécanique avec neuf autres agriculteurs des environs. Les copropriétaires se partagent leur utilisation pour rentabiliser leur investissement et se donner ainsi les moyens de ne plus toucher aux pesticides. La transition n'est pas simple. "Moi j'y crois, assure pourtant l'éleveur. Désormais, je suis bien dans mes baskets !"
"Il reste utile à petites doses"
Utiliser du glyphosate, "il n'y a pas le choix !", rétorque Florent Leportier, 25 ans, au volant de son tracteur. Sur la route de Faverolles, parmi des centaines d'hectares de céréales et d'herbes, il désigne la bordure d'un champ. C'est là, sur des parcelles comme celle-ci, qu'il utilise encore quelques doses du pesticide controversé, même si ici, "tout le monde sait que ça va être interdit". Le jeune agriculteur a tout de même pris les devants : depuis plus de dix ans, son père et lui ont réduit leur consommation de cet herbicide.
Ce jour-là, Florent Leportier vient prêter main-forte à l'un de ses amis, Côme Delaunay. Une fois sortis de leur tracteur, les jeunes hommes sont largement dépassés par les hauts plants de maïs. N'est visible que la goulotte de l'ensileuse, l'outil de récolte, qui hache et jette la production broyée dans un tracteur. Ici aussi, Côme Delaunay consomme encore du glyphosate. Environ 40 litres par an – très peu, selon lui – pour lutter contre les plantes vivaces. "Il reste utile à petites doses", explique l'agriculteur de 30 ans.
Il raconte qu'il se protège "beaucoup" avant d'utiliser le produit. Il faut porter un masque, des lunettes, mais aussi des gants et une combinaison couvrant l'ensemble du corps. "Ce n'est pas agréable à respirer", explique Côme Delaunay, qui évoque avec calme des risques pour la peau et les cheveux. Sans toutefois considérer le glyphosate comme cancérigène.
Les contraintes d'une interdiction
"Je n'aime pas forcément traiter", reconnaît-il cependant. Alors pour éviter de déverser des litres de pesticide sur ses plants, le jeune homme et ses proches misent sur le labour, c'est-à-dire le travail du sol, ainsi que sur les rotations de culture. Mais sans le glyphosate, "il faudra labourer, travailler davantage la terre", explique le jeune homme. "Cela va nous coûter plus cher."
On réduit déjà beaucoup les doses. L'interdire, c'est ridicule !
Florent Leportier, agriculteurà franceinfo
De retour dans son tracteur, derrière l'ensileuse, Florent Leportier reconnaît que l'interdiction, si elle est actée, ne va pas "tuer" son exploitation. Il s'inquiète plutôt pour les céréaliers qui, eux, ne peuvent pas faire de rotations de culture, et pour les interdictions qui pourraient suivre. Outre le glyphosate, il utilise encore d'autres produits, comme des fongicides. "Je sais ce que je manipule", assure-t-il.
On ne traite pas par plaisir. Mais si on ne traite pas, on n'a pas de rendements, et donc pas de résultats.
Florent Leportier, agriculteurà franceinfo
"Bien sûr qu'on peut s'en passer"
Autour de Pointel, certains agriculteurs conventionnels ont pourtant fait le choix d'un travail sans traitement. C'est le cas de Jacqueline, 52 ans. A 18 heures, elle revient en tracteur à son exploitation de Bellou-en-Houlme. La journée a été longue et n'est pas encore finie. A peine arrivée, l'agricultrice décharge du foin. Elle repartira bientôt récupérer plusieurs bottes dans ses champs voisins, où elle se passe complètement de glyphosate depuis sept ans, sans pour autant faire dans le bio.
Avant 2010, elle en utilisait après chaque culture. Puis, pendant cinq ans, Jacqueline a bénéficié d'une mesure agro-environnementale et climatique (MAEC). L'agence de l'eau régionale lui a versé 300 euros par hectare pour qu'elle réduise son utilisation de pesticides – et cesse de recourir au glyphosate. L'agricultrice n'a pas hésité. "Au départ, c'est la prime qui m'a poussée", reconnaît Jacqueline. "Mais c'était aussi une philosophie de ma part. Je voulais limiter mon impact au niveau de l'eau et du sol."
L'éleveuse et cultivatrice rejoint alors le Civam local "pour apprendre les techniques de travail du sol". Sans glyphosate, elle apprend à semer plus tard, à désherber mécaniquement. "Oui, ça fait du travail en plus, reconnaît-elle. Tout le monde n'est pas prêt à travailler davantage la terre." Les agriculteurs pourront-ils se passer du glyphosate un jour ? Jacqueline est catégorique. "Bien sûr, réplique-t-elle. Il faut essayer de leur faire comprendre que c'est possible autrement."
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