Rapport de l'ONU sur la biodiversité : pour José Bové, il faut "taper les multinationales au porte-monnaie"
"Il faut revoir le système de fond en comble", a réagi lundi sur franceinfo le député européen EELV, alors qu'un rapport choc de l'ONU sur la biodiversité affirme qu'un million d'espèces animales et végétales sont menacées d'extinction.
Un million d'espèces animales et végétales sur les 8 millions estimées sur Terre, sont menacées d'extinction, selon une évaluation mondiale des écosystèmes des experts de l’ONU sur la biodiversité (IPBES), dévoilée lundi 6 mai. Pour José Bové, député européen EELV, qui s'exprime sur franceinfo, il faut "taper au porte-monnaie" les multinationales "qui ont une très grande responsabilité, notamment dans le domaine agricole".
franceinfo : Il faut changer de modèle agricole d'après les experts de la biodiversité. Partagez-vous ce constat qu'il faut revoir ce système ?
José Bové : Oui, je pense qu'il faut le revoir de fond en comble. Parce qu'on est dans une logique à la fois de monoculture, d'extension de l'agriculture industrielle, avec ce qui se passe au Brésil, la destruction de l'Amazonie pour faire encore plus de soja ou l'huile de palme dans les îles d'Indonésie par exemple. Aujourd'hui, ce modèle est dépassé et va à l'encontre de la possibilité même de pouvoir nourrir les humains dans les décennies à venir. Il y a aussi la destruction d'un certain nombre d'insectes. On sait que sans les insectes pollinisateurs, c'est une très grande partie de l'agriculture et de l'alimentation qui n'existera plus. Donc aujourd'hui, changer le modèle agricole, ce n'est pas simplement un choix idéologique, c'est une nécessité pour pouvoir nourrir les habitants de la planète d'ici la fin du siècle.
Une fois qu'on fait ce constat, est-ce que les agriculteurs français sont prêts à changer leurs habitudes ?
Le problème, c'est que, ou on change de modèle avant qu'il nous ait amenés dans l'impasse, ou on est obligé ensuite de le faire de force. C'est un peu comme pour le climat : ou on change de mode de production, on s'adapte au fur et à mesure et on le co-construit, ou on s'arc-boute sur la situation dans laquelle on est aujourd'hui, et on aggrave de plus en plus la situation.
Est-ce qu'on en est capable ?
Oui, tous les moyens existent. La FAO, l'organisme des Nation unies pour l'alimentation, explique depuis plusieurs années qu'on pourrait nourrir la planète de manière tout à fait suffisante en changeant de modèle. Il y a un élément dont on n'a pas parlé : ce sont les multinationales. Que ce soient les multinationales sur le pétrole, les producteurs de pesticides, les semenciers avec leurs OGM qui nécessitent encore plus de pesticides, on voit bien qu'elles ont une vraie responsabilité. Aujourd'hui c'est à elles qu'il faut s'attaquer. Souvent on a tendance à dire : ça dépend de chaque citoyen. C'est vrai que chacun doit construire un mode de vie cohérent. Mais en même temps, il faut qu'on soit beaucoup plus contraignant, et vraiment qu'on tape au porte-monnaie les multinationales, comme Bayer et beaucoup d'autres, qui ont une très grande responsabilité notamment dans le domaine agricole.
Et ça, il faut que ça se fasse au niveau étatique ou européen ? Est-ce qu'il y a une volonté de le faire ?
Si on veut vraiment changer le modèle, par exemple pour l'agriculture, c'est moins au niveau des États qu'il faut le faire, qu'au niveau européen. La prochaine réforme de la politique agricole commune doit être radicale à ce niveau-là. Or, ce qu'avait proposé le commissaire européen et qu'on a refusé de voter au Parlement européen il y a encore deux mois, c'est une réforme qui allait au contraire redonner encore plus de pouvoir aux États de ne pas mettre de politique véritablement contraignante et en gros c'est "business as usual". Tant qu'on ne sort pas de cette logique-là, tant qu'il n'y a pas une véritable volonté politique au niveau de l'Europe, on ne changera pas le modèle agricole européen.
C'est décourageant cette attitude européenne ?
La Commission européenne est souvent le reflet de politiques néolibérales. Mais à côté du Parlement, il y a le Conseil et ce sont les États qui ont le plus agi ces derniers mois pour renationaliser les politiques agricoles et en gros diminuer les budgets donc diminuer les possibilités de reconversion de l'agriculture. Donc il y a une responsabilité des États qui disent en gros "on ne veut pas mettre plus d'argent sur la table et bon, ça va durer encore cinq ans et tous les cinq ans on va à nouveau faire du baratin". Il y a un problème d'incapacité de réflexion politique chez la majorité des gouvernements. On fait des discours mais on refuse de passer aux actes.
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