Cet article date de plus de quatre ans.

Ventes d'armes : le système français "est opaque et pose un problème démocratique", dénonce le député Jacques Maire

Un rapport parlementaire demande un renforcement de la transparence et du contrôle parlementaire des ventes d'armes françaises.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Lors de la cérémonie marquant la livraison du premier des 36 avions de combat Rafale destinés à l'Inde, le 8 octobre 2019 à l'usine Dassault Aviation de Mérignac (photo d'illustration). (GEORGES GOBET / AFP)

Le système des ventes d'armes françaises à l'étranger est "opaque" et "l'opacité pose un problème démocratique", a affirmé mercredi 18 novembre sur franceinfo Jacques Maire, député LREM de la 8e circonscription des Hauts-de-Seine, après la présentation du rapport parlementaire demandant un renforcement de la transparence et du contrôle parlementaire des ventes d'armes françaises. Si le Parlement français était plus impliqué dans le processus, il permettrait notamment "une plus grande convergence des différents Parlements européens dans le contrôle export" et d'aller "plus loin dans l'Europe de la défense qui nous protégerait".

franceinfo : Quel état des lieux faites-vous faites des procédures des ventes d'armes françaises à l'étranger ? Est-ce que le système est opaque ?

Jacques Maire : Il est opaque. L'opacité pose un problème démocratique. Mais on a voulu surtout voir son problème d'efficacité. D'abord, il est perçu comme étant moins légitime qu'auparavant. Deuxièmement, on voit aussi qu'il y a des ruptures technologiques qui font que certains produits, qui auparavant n'existaient pas, doivent être soumis à contrôle alors qu'ils ne sont pas forcément. Je pense par exemple aux technologies de surveillance par Internet.

La chasse à l'opposant via les réseaux sociaux et les messageries est beaucoup plus efficace dans la lutte contre les droits de l'Homme que des sous-marins ou des hélicoptères qui sont vraiment utilisés de façon très épisodique. Donc on voit qu'il faut vraiment réévaluer certaines technologies et faire en sorte que ce contrôle puisse lui-même faire l'objet d'un regard parlementaire.

Le Parlement peut travailler dans un contexte de confidentialité. Mais il peut aussi avoir un regard qui est totalement indépendant de l'exécutif et mettre en valeur, auprès de l'exécutif, des éléments de faiblesse.

Jacques Maire, député LREM

à franceinfo

Vous proposez la création d'une délégation parlementaire dédiée au contrôle des ventes d'armes, mais ce serait un contrôle a posteriori sur les exportations d'armement. Pourquoi ?

Parce qu'effectivement il ne s'agit pas de cogérer une politique publique avec le gouvernement. Ca rendrait le Parlement responsable de quelque chose qu'on ne maîtrise pas. Mais a posteriori, ça permet, comme dans la plupart des autres États, notamment européens, de mettre en évidence des faiblesses et de demander des renforcements. Nous ne demandons pas tout de suite une délégation parlementaire parce que c'est un objet politique un peu compliqué. Il faut probablement passer par la loi. Nous demandons dans l'immédiat une commission de contrôle bilatérale formée de députés et de sénateurs qui se mettent au travail avec l'exécutif dans le cadre d'un dispositif qu'ils nous proposeraient pour commencer vraiment à alimenter ce contrôle. Aujourd'hui, ce qui est important, c'est que les Français se rendent compte que c'est un sujet qui n'est pas tabou pour le Parlement et qu'il commence à y travailler.

Pourquoi ce serait inenvisageable d'associer le Parlement à priori au lieu de le faire après ?

Pour deux raisons. La première, c'est l'aspect constitutionnel. Aujourd'hui, le Parlement n'est pas associé aux décisions individuelles. Par exemple, quand une préfecture prend une décision contre concernant une entreprise ou quand l'État prend une décision contre un particulier, il n'y a pas de codécision d'une autorisation. L'autorisation réglementaire en France est prise par un préfet par une autorité exécutive. Et si le Parlement était cosignataire, il serait coresponsable. Or, il n'y aura jamais le niveau d'information au Parlement qui permettrait d'assurer cette responsabilité. Donc, ce n'est pas constitutionnel et ce serait vraiment dangereux.

Vous ne remettait pas en question le principe même de la vente d'armes ?

Non. On pense que la vente d'armes est un élément essentiel sur deux plans. D'abord, c'est la façon de permettre d'avoir une souveraineté stratégique et d'avoir une industrie militaire qui puisse permettre de nous fournir en indépendance. Le marché français est trop petit pour amortir le coût d'équipement à travers nos Rafale, nos porte-avions, nos sous-marins, etc. Il faut pouvoir exporter.

Le deuxième élément, c'est que l'on a aussi des partenaires internationaux. Les sous-marins qu'on fournit aujourd'hui en Australie sont importants pour le maintien de la liberté de navigation en mer de Chine. En revanche, le fait de devoir être dépendant de l'exportation est une vulnérabilité. C'est pour cela qu'on propose de réorienter, dans la mesure du possible, l'exportation sur le marché européen avec une plus grande intégration du marché européen. Et aussi une plus grande convergence des différents Parlements européens dans le contrôle export.

Aujourd'hui, le Parlement français, parmi les pays qui font beaucoup d'exportation, en Europe, est pratiquement le moins impliqué. S'il l'était plus, on pourrait aller plus loin dans la convergence des contrôles parlementaires. La France serait plus acceptée par ses partenaires et nous irions plus loin dans l'Europe de la défense qui nous protégerait.

Le contrôle des parlementaires ne serait pas contraignant ?

Il ne peut pas être contraignant. La seule contrainte, c'est la responsabilité politique. Si par exemple on voit dans 15 ou 20 ans que la jurisprudence évolue et que l'Etat ou un ministre était condamné par les tribunaux, évidemment dans ces cas-là, il y aurait un problème politique et éventuellement une crise politique. Donc, la vraie sanction aujourd'hui vis-à-vis du gouvernement n'est pas judiciaire. Elle est politique.

La tradition de la cinquième République, c'est qu'on ne met pas en cause un gouvernement à cause de sujets liés à l'armement quand on est une majorité parlementaire. Nous pensons qu'il ne faut pas en rester là. Il ne faut pas multiplier l'occasion de faire des contentieux. Il faut rendre le dispositif de contrôle plus robuste. Et pour cela, il y a un prix à payer. C'est donner la possibilité à un acteur indépendant qui est le Parlement, de jouer son rôle dans ce dispositif.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.