Pistolet léché, père Noël pervers... Les photos d'illustrations "malaises" épinglées par Dark Stock Photos expliquées par leurs auteurs
Un compte Twitter compile les pires photos des banques d'images, ces photothèques qui regroupent plusieurs milliers d'illustrations. Franceinfo a retrouvé trois photographes pour qu'ils expliquent comment sont nés ces clichés plutôt bizarres.
Vous êtes forcément tombés dessus un jour, au détour de vos lectures de presse magazine ou sur internet : un article illustré avec une photographie prétexte qui vous semble complètement absurde. Mais sachez que les banques d'images en regorgent. Andy Kelly, un contributeur du Guardian, fouille les milliards de photos qu'elles contiennent pour dénicher les plus sombres ou les plus perturbantes. Il les poste ensuite sur son compte Twitter, baptisé Dark Stock Photos. Un compte plébiscité, puisque plus de 86 700 personnes s'y sont abonnées en un mois.
On y découvre par exemple cet homme entièrement nu, à l'exception d'un bonnet de Noël sur la tête, se pinçant les tétons, avec une expression sincère de de satisfaction. Notre préféré.
— Dark Stock Photos (@darkstockphotos) 12 juin 2017
Ou encore ce couple qui semble au bord de (l'ultime) rupture.
— Dark Stock Photos (@darkstockphotos) 14 juin 2017
Mais qui se cache derrière l'objectif ? Qui immortalise et vend ces scènes ? Et comment obtiennent-ils ces attitudes, étranges, de leurs modèles ? Franceinfo a retrouvé trois photographes pour tenter de comprendre.
"Représenter l'obsession malsaine pour les armes"
C'est pour répondre aux attentes des clients de ces banques d'images que Gilles DeCruyenaere, photographe et illustrateur vivant à Winnipeg, au Canada, axe son travail. "Cette photo a été prise alors que je réalisais un shooting (sans mauvais jeu de mot) sur les armes à feu. Et l'idée m'est venue de lécher ce pistolet à air comprimé", explique-t-il à franceinfo. Mais pourquoi le lécher, vous demandez-vous sûrement ? "Pour moi, cette photo représente l'obsession malsaine (à mon avis) que certaines personnes (et certaines parties de la société) nourrissent pour les armes à feu." Et pour la réaliser, il n'a pas eu besoin de convaincre un modèle puisqu'il s'est lui-même mis en scène.
Cette "image stupide", comme il la qualifie, n'a pas été prise dans le cadre d'une actualité bien particulière. "Je sais que c'est le genre d'images qui peut provoquer des réactions émotionnelles et j'espère que ces réactions seront négatives sur ce sujet des armes à feu", précise-t-il.
Je veux dire que toute personne décente devrait savoir que l'amour d'un fusil (et le fait de le lécher), ce n'est pas une façon saine de penser.
Gilles DeCruyenaereà franceinfo
Mais finalement, cette photo a-t-elle été utilisée dans ce sens ? Oui, selon son auteur. "En effectuant une recherche sur Google, j'ai trouvé qu'elle avait été achetée pour illustrer des articles sur le contrôle des armes à feu, ou encore sur l'insécurité masculine en lien avec la culture des armes à feu".
"La métaphore d'un employé à qui on ne peut pas faire confiance"
C'est aux Etats-unis que franceinfo a retrouvé l’auteur de cette photo. Celle d'une femme tout sourire qui s'apprête à planter un couteau dans le dos d'un homme. Pour le photographe Scott Griessel, alias Creatista, la scène cherche à représenter un employé à qui on ne peut pas faire confiance. Ou alors un "mauvais boss" dont l’employé se vengerait, analyse-t-il. Il a voulu illustrer un des aspects du monde du travail aux Etats-Unis, sous la forme de cette "métaphore".
Comme Gilles DeCruyenaere, il ignorait tout du compte Twitter Dark Stock Photos et de la perception de son travail. Pour lui aussi, il ne s'agit pas d'une commande particulière, ce qu'il refuse d’ailleurs la plupart du temps, "pour que son travail reste personnel".
Alors comment a-t-il réussi à faire poser ces deux personnes dans une telle mise en scène ? Grâce à la confiance, puisque les deux protagonistes font partie de son cercle d'amis.
J'essaye de rendre les shootings fun, de faire en sorte que tout le monde s’amuse
Scott Griesselà franceinfo
Il arrive également à Scott Griessel de travailler avec des modèles professionnels. Mais ils "représentent une idée et non plus leur personne", affirme ce photographe qui cumule près de cinquante années d'expérience. En effet, la signature du contrat entre les différentes parties avant le shooting spécifie que les modèles cèdent leur droit à l’image, donc que chaque photo peut être publiée, quand bien même elle ne plairait pas au sujet photographié.
"Ce n'était pas mon idée"
— Dark Stock Photos (@darkstockphotos) 4 juillet 2017
Un couple assis à une table, l'homme détendu, souriant et regardant derrière lui alors qu'en face de lui se trouve une femme, un couteau à la main, s'apprêtant à le poignarder. Un repas qui tourne mal ? Un désaccord sur l'addition ? Une représentation de la jalousie ? Difficile de trouver un sens à cette photo. Et inutile surtout, si l'on en croit son auteur, le photographe Ryan Lane, joint par franceinfo. "Au départ, on était partis sur une série basée sur le 'lifestyle'", précise ce professionnel qui travaille à Portland (Oregon, Etats-Unis).
Ce n'était pas mon idée, mais celle des modèles, qui voulaient faire un truc amusant. J'ai trouvé ça drôle aussi, avec l'homme très décontracté et la femme qui devient folle.
Ryan Laneà franceinfo
S'il met surtout en avant son travail sur l'artisanat dans sa ville d'adoption – "Je photographie des petites entreprises. C'est intéressant de pouvoir les découvrir de l’intérieur" –, le jeune homme est aussi un adepte des photos décalées, voire complètement barrées, comme le confime cette page dédiée. Une autre facette du jeune homme, recalé du cours de photographie au lycée, qui s'est formé tout seul à l'université lorsqu'il a vu que ses clichés envoyés à la banque d'images iStock by Getty Images rencontraient un certain succès.
Mais son sens de l'humour a des limites. S'il comprend que ce cliché puisse prêter à sourire, il ne goûte guère la démarche du compte Dark Stock Photos. "Ce compte devrait acheter les photos avant de les publier sur Twitter. Cependant, la marque de la banque d'images n'a pas été enlevée, donc j'imagine que l'on peut considérer ça comme de la pub gratuite", grince-t-il.
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