Covid-19 : dans les comptes de Virginia, coiffeuse à Nice, obligée d'emménager dans son salon pour affronter la crise
Les restrictions sanitaires et la crise économique liées au Covid-19 ont forcé les commerçants à repenser leur activité. Au bord de la faillite, à la peine ou ayant réussi à tirer leur épingle du jeu, ils ont accepté d'ouvrir leur comptabilité à franceinfo. Virginia, coiffeuse à Nice, dresse le bilan de son année 2020.
Le ton est badin, le constat beaucoup moins. "Je suis devenue SDF en deux temps, trois mouvements !", résume Virginia Begnis, l'unique coiffeuse et barbière du salon Wax & Cut, à Nice (Alpes-Maritimes). Du fait des restrictions sanitaires liées à l'épidémie de Covid-19, elle a dû baisser le rideau pendant trois mois en 2020, entraînant une forte diminution de ses revenus. A bientôt 50 ans, cette célibataire "sans enfant mais avec deux chats" s'est donc résolue à emménager dans son local commercial en juillet, faute de pouvoir continuer à payer les charges liées à son salon de coiffure et à son appartement.
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La boutique, qui trône dans le centre-ville depuis dix ans, est loin d'être sauvée pour autant. "Je ne sais pas comment je vais faire si je dois tenir encore un an comme ça, confie la propriétaire de Wax & Cut. Il est possible que mon salon disparaisse et que je perde tout ce que j'ai investi." Néanmoins prête à se "battre, les ciseaux à la main", elle a accepté d'ouvrir son livre de comptes à franceinfo.
"Avec le télétravail, j'ai perdu une partie de ma clientèle"
"Quand je mets la clé dans la serrure le matin, je sais qu'il faut que je fasse 300 euros dans la journée", indique Virginia Begnis. A 25 euros la coupe en moyenne, elle doit donc s'occuper d'environ 12 clients par jour en moyenne pour que le salon soit rentable.
Mais avec la fermeture du local imposée par le premier, puis le deuxième confinement, la coiffeuse a dû cesser totalement son activité. Et, entre les deux périodes de creux, elle estime n'avoir reçu qu'entre "deux et six clients" par jour. "Les gens avaient peur. Et avec l'arrêt du tourisme et le télétravail, j'ai perdu une partie de ma clientèle", déplore-t-elle.
Depuis la réouverture du salon, le 20 novembre, Virginia Begnis travaille sans relâche du mardi au samedi. Mais ses heures supplémentaires ne suffiront pas à rattraper les mois de fermeture. Fin décembre, le chiffre d'affaires de Wax & Cut s'établissait à un peu moins de 26 200 euros, contre 42 300 euros l'an dernier, soit une baisse d'environ 38%.
"J'ai réduit mes frais à l'essentiel et j'ai rendu mon appartement"
Tous les mois, Virginia Begnis doit s'acquitter de 1 500 euros de charges fixes pour faire tourner son commerce, dont 1 050 euros de loyer – "c'est cher, mais c'est parce que j'ai un super emplacement" –, 90 euros de facture d'électricité, 160 euros pour l'expert-comptable ou encore 50 euros d'assurance.
Un poids conséquent pour la coiffeuse, confrontée à la baisse de son chiffre d'affaires. Sans compter qu'elle devait aussi, jusqu'à cet été, s'acquitter du loyer de son logement personnel (760 euros mensuels), un appartement acheté en 2007 via une société civile immobilière (SCI) constituée avec son ex-compagne. "Quand j'ai vu que je perdais de l'argent, j'ai décidé de réduire mes frais à l'essentiel." Elle a donc cessé d'occuper l'appartement, afin de ne plus avoir ce loyer à charge.
"Mon commerce est ma seule source de revenus, je ne pouvais pas le perdre."
Virginia Begnis, coiffeuse et barbièreà franceinfo
La coiffeuse a bien conscience de "flirter avec l'illégalité" en n'ayant pas signalé son "emménagement" à son bailleur professionnel. A contrecœur, elle se sépare également de sa moto, une Harley-Davidson de 2003 – "une vraie beauté, quand je montais là-dessus, j'étais la reine du monde !"
Virginia Begnis travaille dans un local commercial de 70 m2, dont les trois quarts sont désormais consacrés à son espace de vie. Dans ce dernier, on trouve une partie couchage, un coin cuisine et beaucoup de cartons, là où se situaient auparavant un espace détente et une arrière-boutique. Pour séparer le salon de sa nouvelle pièce à vivre, elle a disposé un paravent de bois, qui peine à assurer l'intimité d'un chez-soi.
En abandonnant son appartement, elle a économisé chaque mois l'équivalent du loyer, n'ayant plus qu'à s'acquitter des charges et de sa part du crédit (420 euros mensuels). Mais elle cherche désormais à vendre ce bien, afin de récupérer les fonds nécessaires pour continuer à payer les charges de Wax & Cut pour un petit moment… et se loger de nouveau dignement.
"Avec le strict minimum, ma trésorerie me permet d'aller jusqu'à février"
Travailler à son compte n'a pas servi le porte-monnaie de Virginia Begnis. Lorsqu'elle était salariée en salon, la coiffeuse gagnait 2 000 euros net* par mois. A Wax & Cut, son chiffre d'affaires l'autorisait à s'accorder 1 200 euros mensuels, jusqu'à fin 2018. Mais l'embauche d'un apprenti cette année-là lui a fait perdre du chiffre d'affaires : "En m'occupant de sa formation, j'ai délaissé ma clientèle, détaille-t-elle. En plus, je devais le payer 800 euros par mois." En 2019, elle a dû baisser son propre salaire à 1 000 euros, pour un total de 12 000 euros de revenus annuels.
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La crise liée à l'épidémie l'a obligée à resserrer encore sa ceinture d'un cran. En 2020, la coiffeuse s'est privée de revenus entre février et juillet, puis de nouveau en octobre et en décembre, préférant "voir venir" 2021 qu'elle imagine "compliqué". Au total, elle a donc gagné 4 800 euros, soit une baisse de 60% de sa rémunération par rapport à 2019. Pour vivre, elle dépend de l'aide de sa famille, qui a pu lui avancer 9 000 euros en 2020, et de la générosité de son primeur et de son boucher, qui l'autorisent à se servir gratuitement. Elle calcule : "Si je vis avec le strict minimum, 500 euros par mois, ma trésorerie me permet d'aller jusqu'à février, en continuant de payer le loyer de mon local."
* Tous les montants relatifs au salaire sont exprimés en valeur nette.
"Si l'Etat pouvait oublier la TVA quelque temps…"
Outre les coups de pouce de ses proches, Virginia Begnis a pu compter sur le soutien de l'Etat : elle a reçu 3 500 euros de la part du fonds de solidarité, et a pu reporter ses charges Urssaf de trois mois. "C'est déjà ça, mais les reporter, ça n'est pas les annuler. Cela revient à se constituer une trésorerie fictive, puisqu'il faut payer plus tard", souligne la coiffeuse. Et d'ajouter : "Si l'Etat pouvait aussi oublier la TVA pendant quelque temps... Ou au moins la baisser, qu'on puisse respirer un peu !"
La propriétaire de Wax & Cut a également touché 930 euros de la métropole Nice Côte d'Azur, pour l'aider à payer son loyer durant le premier confinement, et 1 500 euros de son assurance professionnelle, au titre de sa perte d'exploitation. Le bailleur de son local lui a en outre promis deux mois de loyer gratuit en 2021, ne lui ayant pas accordé de report de loyers en 2020.
En revanche, Virginia Begnis n'a pas demandé de prêt garanti par l'Etat (PGE), un "fil à la patte" selon elle, qui consiste à "reculer pour mieux sauter" lorsque les mensualités débutent un an plus tard. Elle n'a pas non plus fait de demande de revenu de solidarité active (RSA), auquel elle aurait pu prétendre certains mois. "En arriver là, à 50 ans, en ayant toujours bien vécu de mon métier, ça aurait été terrible", explique-t-elle.
Si elle reconnaît que ces aides l'ont dépannée, la coiffeuse aimerait ne plus en avoir besoin. "Au lieu que mon commerce me rapporte, j'ai l'impression de devoir dire 'merci patron' parce qu'on me donne l'autorisation de travailler."
"J'ai envie de vivre de mon travail : c'est mon métier qui donne un sens à ma vie."
Virginia Begnis, coiffeuse et barbièreà franceinfo
Pour l'instant, Virginia Begnis a décidé de "faire le dos rond", en espérant "une issue rapide". Si la crise devait durer, cette Niçoise depuis vingt-cinq ans songe à quitter sa ville d'adoption, sans savoir vraiment où aller. "Est-ce que je retourne vivre chez ma famille, à 50 ans ? lâche-t-elle avec un rire forcé. Le coup du Tanguy, là, ce serait dur." Une autre option serait de déménager vers une zone moins dépendante du tourisme et où la concurrence serait moindre. "Des amis m'ont proposé de venir m'installer vers Aubusson, dans la Creuse. Il paraît qu'il n'y a pas de barbier là-bas..." Dans tous les cas, l'impératif sera de pouvoir continuer à travailler. "Si je n'ai plus ce métier, j'existe encore bien sûr… Mais c'est différent."
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