Affaire Gabriel Matzneff : comment la loi française a-t-elle évolué sur le consentement sexuel des mineurs ?
"Agression sexuelle", "atteinte à la pudeur", "viol sur mineur"... Franceinfo fait le point sur l'évolution de ces notions dans le droit français.
"La sexualité d'un adulte avec une personne n'ayant pas atteint la majorité sexuelle est un acte répréhensible puni par la loi." C'est par ce rappel que se termine Le Consentement (éd. Grasset), de Vanessa Spingora, à paraître jeudi 2 janvier. Dans ce livre, la directrice des éditions Julliard raconte comment elle a été séduite à 14 ans par l'écrivain Gabriel Matzneff, alors presque quinquagénaire, au milieu des années 1980.
Ces révélations relancent le débat sur la notion de consentement sexuel des mineurs. Dans L'Obs, Vanessa Spingora dit espérer "apporter une petite pierre à l'édifice qu'on est en train de construire autour des questions de domination et de consentement". Du Code pénal de 1810 aux récents débats politiques sur le sujet, franceinfo revient sur l'évolution de l'encadrement juridique des relations sexuelles entre un mineur et un adulte.
Le Code pénal de 1810 définit le viol et pose les jalons de la majorité sexuelle
En France, les règles légales qui régissent les relations entre un mineur et un adulte étaient déjà inscrites dans le premier Code pénal de 1810, mis en place par Napoléon Bonaparte. La loi faisait alors la différence entre le viol et l'attentat à la pudeur.
Dans le Code pénal de 1810, l'article 332 définit le viol comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui, par violence, contrainte ou surprise". Ces trois éléments – la violence, la contrainte et la surprise – sont toujours utilisés pour caractériser l'absence de l'expression du consentement de la victime. Aujourd'hui, la menace, c'est-à-dire l'annonce de représailles en cas de refus de la victime, est également prise en compte pour caractériser le non consentement, comme le rappelle Le Monde.
Le Code pénal de 1810 introduit également la notion d'attentat à la pudeur sur un mineur. La loi considérait donc qu'en dessous d'un certain âge, le mineur n'était pas en mesure de fournir son libre consentement. Dans le langage courant, c'est ce qu'on appelle "la majorité sexuelle", un terme qui n'existe pas juridiquement. C'est l'âge à partir duquel un individu mineur peut légalement avoir des relations sexuelles consenties avec une personne majeure. Depuis l'introduction du délit d'attentat à la pudeur, cet âge a été plusieurs fois relevé. De 11 ans en 1832, il est passé à 13 ans en 1863 et est désormais fixé à 15 ans depuis 1945, comme l'explique Slate.fr.
En 1942, le régime de Vichy a introduit des majorités sexuelles différentes pour les relations hétérosexuelles et homosexuelles. Les relations sexuelles entre deux personnes du même sexe étaient pénalisées dès lors que l'une d'elle était mineure (moins de 21 ans à l'époque). La loi du 4 août 1982 met fin à cette discrimination et rétablit une majorité sexuelle à 15 ans pour tous.
Le Code pénal de 1994 supprime la notion d'attentat à la pudeur
En 1994, le nouveau Code pénal abandonne la notion d'attentat à la pudeur. On parle alors d'atteinte sexuelle ou d'agression sexuelle sur mineur.
L'atteinte sexuelle sur mineur est un délit, jugé devant un tribunal correctionnel, réprimant les relations sexuelles entre un mineur et un adulte, même lorsque celles-ci sont consenties. Jusqu'en 2018, cet acte était puni par l'article 227-25 d'une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. En 2018, la loi contre les violences sexuelles et sexistes a porté la peine à sept ans de réclusion criminelle et 100 000 euros d'amende.
En cas de non consentement, l'acte peut être qualifié d'agression sexuelle, s'il est commis sans pénétration (attouchement, caresse...). Ce délit est puni par le Code pénal de cinq ans de prison et de 100 000 euros d'amende. Lorsque que l'acte est commis sur une personne jugée vulnérable (due à son âge, une maladie, une infirmité...), la peine encourue est de sept ans de prison.
Enfin, le viol est défini dans le nouveau Code pénal, à l'article 222-23, comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise". Il s'agit d'un crime, jugé devant une cour d'assises et passible de 15 ans de réclusion criminelle. Lorsqu'il est commis sur un mineur de 15 ans, la peine s'élève à 20 ans de prison.
La loi de 2018 contre les violences sexistes et sexuelles précise que la contrainte ou la surprise "peuvent résulter de la différence d'âge existant entre la victime et l'auteur des faits". La loi allonge également le délai de prescription des viols sur les mineurs, passant de 20 à 30 ans à compter de la majorité de la victime. Selon Marlène Schiappa, la secrétaire d'Etat à l'Egalité entre les femmes et les hommes, cet allongement permet de prendre en compte les "troubles de l'amnésie traumatique" qui font que certaines victimes ne dénoncent les faits que des années plus tard.
Quant à la pédophilie, ce terme n'apparaît pas dans le Code pénal français. Cette notion appartient au langage psychiatrique, rappelle Le Monde.
En 2018, le gouvernement envisage un temps de créer un âge de consentement
En 2017, deux affaires judiciaires remettent la question du consentement sexuel des mineurs au cœur du débat public. En novembre, la cour d'assises de Seine-et-Marne prononce l'acquittement d'un homme accusé du viol d'une fille de 11 ans. Selon l'accusé, âgé de 22 ans au moment des faits, il s'agissait d'une relation consentie. Quelques semaines plus tôt, le parquet de Pontoise (Val-d'Oise) décide de poursuivre pour "atteinte sexuelle", et non pour "viol", un homme de 28 ans qui a eu une relation sexuelle avec une enfant de 11 ans. Les enquêteurs ont considéré que cette relation était consentie car aucune contrainte physique n'a été exercée sur la mineure.
Les deux affaires éclatent alors que le gouvernement prépare son projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles, notamment sur les mineurs. Marlène Schiappa et la garde des Sceaux Nicole Belloubet évoquent alors l'idée d'inscrire dans la loi un âge de non consentement sexuel, un seuil en dessous duquel un enfant est automatiquement considéré comme non consentant à un acte sexuel.
Projet de loi en cours d'élaboration notamment sur la présomption irréfragable de non consentement des enfants. @NBelloubet avec aussi @laurossignol @fionalazaar @RixainMP @HCEfh ... https://t.co/5hlRHRRK6J
— MarleneSchiappa (@MarleneSchiappa) November 11, 2017
Les débats se concentrent d'abord sur le seuil de cet âge. Le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) défend le seuil de 13 ans. Emmanuel Macron plaide quant à lui pour un âge de consentement fixé à 15 ans. Très attendu par les associations, cet âge de consentement a cristallisé les critiques. Une première version du texte prévoyait que tout acte sexuel commis sur un mineur de moins de 15 ans par un adulte soit automatiquement qualifié de viol, si ce dernier "connaissait ou ne pouvait ignorer l'âge de la victime". Mais le Conseil d'Etat, dans un avis rendu le 15 mars 2018 (PDF), a estimé que cette formulation pouvait porter atteinte à la présomption d'innocence et donc être jugée inconstitutionnelle. Le gouvernement a finalement abandonné l'instauration d'un âge de consentement, provoquant l'"indignation" des associations.
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