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Grenoble : que prévoit vraiment l'arrêté de non mise à la rue en cas d'expulsion ?

Le conseil municipal a voté, lundi, un arrêté qui empêche toute expulsion si les locataires n'ont pas de solution de relogement. Explications. 

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié
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Vue générale de Grenoble (Isère), le 26 janvier 2017. (JEAN-PIERRE CLATOT / AFP)

Le maire EELV de Grenoble, Eric Piolle, fait valoir "une solution plus humaine pour tous et qui ne nie pas les droits des propriétaires". Le conseil municipal de la préfecture de l'Isère a voté, lundi 13 mai, un arrêté qui empêche toute expulsion sans solution de relogement pour les locataires.

L'association Droit au logement 38 a salué, dans un communiqué, la "victoire" que représente le vote de cet arrêté, "le premier adopté en France dans une ville préfecture". Selon elle, cette décision "vient concrétiser la revendication de l'ensemble des associations de défense des locataires, et des 'gilets jaunes', qui ont demandé aux maires, le 30 et le 31 mars, de prendre des arrêtés anti-expulsions, anti-coupures d'énergie, et de prendre des arrêtés de réquisitions."

"Les expulsions vont continuer"

Interrogée par franceinfo, la mairie de Grenoble veut tordre le cou à des imprécisions qui ont circulé, ainsi qu'à certaines interprétations hâtives de propriétaires ou d'internautes.

Contrairement à ce qui a pu être parfois écrit, ce n'est pas aux propriétaires de trouver une solution de relogement aux personnes menacées d'expulsion.

La mairie de Grenoble

à franceinfo

La mairie de Grenoble souligne également que "ce n'est pas une mesure qui va permettre de ne plus payer son loyer". Et d'affirmer : "Les expulsions vont continuer, cela ne va pas changer. Cela sera plus sécurisant pour les personnes les plus démunies car on ne sanctionne pas la vulnérabilité ou la difficulté par une mise à la rue.

En clair, la mairie explique que l'arrêté ne crée pas de nouvelles instances. "La loi et la protection sociale prévoient déjà que dans toute procédure d'expulsion, des enquêtes sociales doivent être menées, des propositions doivent être faites aux locataires, rappelle-t-elle. Mais très souvent, aujourd'hui, elles ne sont plus faites, faute de moyens du conseil départemental, de respect des délais. L'arrêté cherche simplement à vérifier que tous les mécanismes qui doivent s'activer lorsqu'une procédure d'expulsion est lancée soient bien suivis."

"L'arrêté sera cassé"

Mais ce texte, qui doit être signé la semaine du 20 mai, est-il viable ? Plusieurs municipalités, notamment en Seine-Saint-Denis, avaient adopté des arrêtés anti-expulsion similaires, retoqués par la suite. Le maire de Grenoble a assuré, mardi, au micro de France Bleu Isère, que contrairement à d'autres villes, cet arrêté ne serait pas remis en cause par la préfecture : "Les associations ont trouvé une solution juridique pour éviter qu'il ne soit cassé comme tous les arrêtés anti-expulsion qui étaient des prises de position fortes mais illégales", a-t-il déclaré.

L'avocat parisien Vincent Canu, spécialiste en droit immobilier, n'est pas de cet avis. "A l'évidence, la préfecture va attaquer. Elle va saisir le tribunal administratif car la loi doit être la même sur tout le territoire national, et l'arrêté sera cassé", estime-t-il auprès de franceinfo.

Il ne peut y avoir de lois différentes d'une ville à l'autre.

Vincent Canu, avocat en droit immobilier

à franceinfo

Pour Timothée Baron, avocat au barreau de Grenoble, également spécialiste des questions de droit immobilier, les arguments de l'arrêté de Grenoble sont "tout à fait similaires" à ceux avancés dans les précédents arrêtés anti-expulsion. Autrement dit, comme eux, il risque d'être balayé. "Nous n'avons pas de décision du Conseil d'Etat sur ce type d'arrêté donc la jurisprudence peut évoluer. Mais, au vu de l'ensemble des décisions qui ont été prises jusqu'ici, le tribunal administratif de Grenoble, s'il est saisi, devrait aller dans le même sens", explique-t-il à franceinfo.

"Faire réagir les législateurs"

"D'un point de vue juridique, on peut considérer que cet arrêté est en cohérence avec le droit opposable au logement, observe toutefois Vincent Canu. S'il y a un droit opposable au logement, il ne peut y avoir d'expulsions et de mises à la rue. Sauf qu'il faudrait alors que l'Etat indemnise tous les propriétaires privés. Mais avec quels fonds ? C'est tout le problème." Selon Timothée Baron, le fait que ces arrêtés soient annulés par le tribunal administratif importe peu. D'après lui, "l'objectif de la multiplication de ces arrêtés est sûrement d'avoir une réaction au niveau national, de faire réagir les législateurs".

Sollicitée par franceinfo, la préfecture de l'Isère rappelle que l'arrêté n'a pas encore été signé et qu'elle "ne peut pas se prononcer sur des déclarations d'intention". Elle insiste également sur le fait qu'elle ne peut pas s'exprimer sur "un sujet comme celui-ci qui est éminemment politique" alors qu'elle est en "période de réserve électorale" liée aux élections européennes.

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