"On doit faire le tri dans les dossiers, on n'a plus le choix" : le ras-le-bol des magistrats face au manque de moyens de la Justice
Dénonçant leurs conditions de travail à travers un mouvement inédit, des tribunaux calculent le nombre de juges pour fonctionner normalement. Ils réclament un tiers de magistrats en plus en moyenne.
C'était il y a trois mois, en novembre 2021 : le cri d'alarme - à travers une tribune dans le journal Le Monde - de 3000 magistrats usés et inquiets pour la qualité de leur travail. Ils sont maintenant 9000 à l'avoir paraphée. Pressé d'agir, le ministère de la Justice a accéléré son vaste chantier d'évaluation de la charge de travail des magistrats.
Sans attendre, la Conférence nationale des présidents de tribunaux a, elle, révélé ses propres calculs, le 16 février, et estime qu'il faudrait 35 % de juges supplémentaires pour que les juridictions fonctionnent normalement, soit le besoin impérieux de 1500 magistrats supplémentaires. Peu habituée à la mobilisation, la profession tente malgré tout de trouver des moyens d'actions ces dernières semaines pour maintenir la pression.
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Ici et là, des magistrats décident ainsi de ne plus effectuer certaines tâches. L'administratif, la statistique sont par exemple sacrifiés. Mais des audiences le sont aussi.
"Comme des médecins urgentistes qui doivent faire le tri parfois entre les patients, nous aussi on doit faire le tri entre les dossiers."
Jérémy Forstà franceinfo
"Ça aboutit à des renvois d'audience, par exemple des délits routiers, parce qu'on fait le choix d'assurer les urgences aux affaires familiales. Supprimer du pénal parce qu'on fait le choix de se concentrer sur les mineurs en danger. On n'a plus le choix !" dénonce Jérémy Forst, juge à Pau où quatre juges manquent depuis des mois.
À Nanterre et à Lille, les magistrats ont voté des listes de tâches que la juridiction est contrainte d'abandonner. Un mode d'action inspiré des surveillants de prison qui y font valoir parfois une "impossibilité de faire". Dans plusieurs tribunaux, les juges ont aussi décrété la fin des audiences au-delà de 21 heures.
Des magistrats et des victimes "maltraitées"
"Pendant longtemps, les magistrats ont considéré qu'il y avait une sorte d'honneur à se sacrifier. Ce n'est plus possible, selon Maximin Sanson, magistrat à Bobigny. Ce n'est pas tant les magistrats qu'on maltraite en jugeant à deux heures du matin, c'est le justiciable lui-même, c'est la victime. Tout le monde attend. La dernière fois, une victime de violences conjugales avait un enfant qui était en train de dormir sur un banc. Elle est passée presque à minuit. C'est des choses qu'on ne voulait plus voir. C'est complètement grotesque."
Deux syndicats et deux associations de magistrats ont déposé début février 2022 une plainte contre la France auprès de l'Union européenne pour dénoncer la "violation permanente des règles de temps de travail dans leur profession."
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