"C’est une vie de débrouille" : le quotidien de saisonniers à Val d’Isère, la station la plus chère de France
Environ 3 500 personnes travaillent chaque hiver dans cette station des Alpes, qui se distingue par un prix de l’immobilier extrêmement élevé : un studio se paie en moyenne 1 100 euros par mois.
Ils sont majordomes, chauffeurs privés, pisteurs. Ils promènent les chiens, gardent les enfants, font le ménage. En hiver, les saisonniers sont les "petites mains" des stations de ski. Leur sort a été de nouveau évoqué à la mi-janvier, quand un bâtiment hébergeant des employés a brûlé à Courchevel, causant la mort de deux personnes.
À Val d’Isère, station huppée de Savoie, ils sont 3 500 à travailler. Une distinction principale : c’est la station de ski où l’immobilier est le plus cher de France, selon les professionnels. Avec un prix moyen de 10 391 euros le m2, elle se situe devant Courchevel (9 767 euros le m2) ou encore Méribel (8 701 euros le m2). Les prix dépassent largement ceux que l’on peut voir dans certains quartiers parisiens. Comment vit-on, comment se loge-t-on alors lorsque l’on est saisonnier avec un salaire moyen ?
Petits contrats cumulés
"C’est une vie de débrouille. J’ai des plans ici et là, je suis au taquet sur le moindre truc", raconte Helena*. À 42 ans, elle élève seule son garçon de six ans et saute de petits contrats en petits contrats. Un seul est déclaré : la distribution de publicités dans les boîtes aux lettres. Le reste ? C’est au petit bonheur la chance. À l'huile de coude, surtout : ménage dans des appartements, repassage de draps, remise de clés et accueil dans des logements type Airbnb, Helena promène aussi les chiens de vacanciers pressés... En tout, elle travaille pour une dizaine de clients.
En moyenne, elle se fait payer 20 euros de l’heure. "Enfin 23 euros maintenant, pour qu’on continue à ne pas me déclarer. J’ai parlé des Contrats emploi solidarité [des contrats aidés], mais mes employeurs ne veulent pas." Helena estime plutôt bien gagner sa vie : environ 1 000 euros par mois, sans compter des avantages en nature. "Quand je fais le ménage après le départ des gens, ils laissent souvent plein de choses dans le frigo, alors je récupère. Ils abandonnent aussi parfois des vêtements de ski, je les revends. Ou la dernière fois, on m’a fait changer la télé d’un chalet et on m’a laissé l’ancienne." C’est pareil pour son logement. Elle a négocié avec les propriétaires de ne payer aucun loyer, mais de s’occuper de toutes les charges : taxe d’habitation, foncière, syndic, travaux, etc. Mais sans garantie pour les mois, les années à venir. "Cela fait trois ans que j’attends un logement social. Il y a des gens qui sont moins dans le besoin que moi, mère seule avec enfant, qui me passent devant !", dénonce-t-elle.
Un coût de la vie très élevé
Comme tout le monde ici, Helena ne fait pas ses courses à Val d’Isère. Les petites supérettes sont bien trop chères, même avec la carte de saisonniers, qui accorde une réduction de 15% sur les produits de première nécessité. Signe d’un décalage de pouvoir d’achat dans cette station courue des Anglais. Quand on travaille à Val d’Isère, on "descend à Bourg" pour faire remplir ses placards. Bourg-Saint-Maurice, une trentaine de kilomètres et un bon nombre de virages plus bas dans la vallée, avec son Super U, qui reste "le plus cher de France", assure-t-on ici. Les propositions et demandes de covoiturage fleurissent tous les jours sur les réseaux sociaux des saisonniers.
Tatiana* aussi y descend faire ses courses. C’est sa troisième saison en tant que majordome dans un chalet privé de luxe de 450 m2. C’est elle qui fait en sorte que les familles aient tout sous la main ou dans la bouche. Elle réserve le restaurant du soir, la sortie en hélicoptère du lendemain. Prépare le sauna avant l’arrivée des nouveaux clients, allume les bougies, la musique, réarrange le bouquet de fleurs. "Franchement, je ne compte pas mes heures. J’arrive tous les jours à 14 heures, mais ensuite le soir, c’est plus aléatoire. Parfois, c’est minuit, ou plus." Payée pour un contrat de 42 heures, Tatiana assure qu’elle "récupère" ensuite ces heures supplémentaires, les jours de mauvais temps ou de périodes plus creuses. La pénibilité du travail dépend bien entendu des clients. "Il arrive parfois qu’ils me fassent tourner en bourrique ! Certains changent d’idée au dernier moment, ou me disent une heure avant de manger qu’ils seront 17 au lieu de 10. Vue la qualité des produits et des plats que nous préparons, ce n’est juste pas possible…"
C’est un lieu prestigieux, il y a des codes à respecter. Je suis toute la journée dans le chalet, il faut que je sois à la fois attentive, efficace, mais aussi discrète.
Tatianaà franceinfo
Elle ne sait pas quand son contrat saisonnier se termine, c’est en fonction de la neige, de la météo, en général en avril ou mai. Pendant ces six ou sept mois, la jeune femme de 24 ans n’a pas de vacances et travaille six jours sur sept. Elle s’estime bien payée : 1 700 euros net, mais compte surtout sur les "tips". "La clientèle est très riche, c’est dans leurs codes de nous donner des pourboires. Après, ça dépend des nationalités, des personnalités…" Des "petits plus" qui peuvent lui rapporter en moyenne 300 euros par semaine, loin d’être négligeable, donc. "J’adore ce boulot. Aujourd’hui, je ne me vois pas faire autre chose." Pas de problématique de loyer exorbitant, Tatiana a la chance d’être logée par son employeur. Un studio de 20m2, juste à côté du chalet où elle travaille.
1 100 euros de loyer pour un studio
Car c’est bien ça, le principal sujet ici. "Si tu arrives à un entretien d’embauche et que tu dis que tu es logé, tu as 90% de chances d’être pris, qu’importe tes qualités", affirme un habitué. Aujourd’hui, 60% des employeurs logent leur personnel, selon l’enquête menée par l’association Vie Val d’Is, qui accompagne justement les saisonniers. Un chiffre en baisse au fil des ans, la pratique se perd progressivement. "Les loyers coûtent cher, nous avons beaucoup de propriétaires qui ont vendu les appartements qu’ils mettaient en location avant", explique Margot Boulanger, responsable de l’association. Loger des touristes à la semaine est beaucoup plus rentable que des salariés sur la saison entière. "On conseille fortement de trouver un emploi logé. Se loger par ses propres moyens, en tant que saisonnier, c’est plus difficile", précise la professionnelle. Il faut dire qu’un studio d’une vingtaine de mètres carré coûte en moyenne 1 100 euros par mois, des prix plus élevés qu’à Paris.
Il existe de tout dans les logements, même des appartements sans fenêtre !
Un saisonnierà franceinfo
Comme dans toutes les stations, certains saisonniers logent carrément dans leur véhicule, camion ou camping-car. À Val d’Isère, un parking de dix places leur est réservé. La mairie tente de subvenir à ces besoins criants de logements, une nouvelle résidence pour les travailleurs de la station va voir le jour l’an prochain.
"Ce qui est bien, c’est quand on bouge ailleurs, on a l’impression que tout est bon marché", ironise un employé du domaine skiable. "En fait, Val d’Isère, c’est une sorte de caricature ou de concentré de notre société. Avec des disparités énormes entre les uns et les autres." La plupart des touristes qui viennent ici sont effectivement fortunés, voire très fortunés. Pas de boutique Chanel comme à Courchevel, mais de nombreux logements luxueux : on y compte notamment six hôtels cinq étoiles, cinq établissements quatre étoiles, deux seulement sont non classés.
Mais le chic ne fait pas tout : comme partout ailleurs, certains salariés de Val d’Isère se battent pour leurs conditions de travail. "En tant que pisteur, je gagne 2 200 euros par mois, après 13 ans d’expérience, sans compter les primes. Quand il y a des grosses compétitions de ski, on peut travailler jusqu’à 18 jours d’affilée, sans repos, avec des amplitudes très larges. Pour une course qui commence le matin, nous on prépare la piste en pleine nuit, à partir de 2 heures." Le temps de travail est ensuite récupéré en RTT. Mais il y a de très nombreux accidents du travail, le métier est très usant, dénonce l'employé. "On doit skier dans des zones difficiles, on porte des charges lourdes, des gens qui se sont blessés, on est toujours dans le froid." Deux pisteurs sont morts le 13 janvier à Morillon en Haute-Savoie, alors qu'ils étaient en train de déclencher une avalanche. Pour autant, la plupart des travailleurs de la station disent aimer leur vie, dans un cadre magnifique et loin de la pollution des villes.
La représentation syndicale est pourtant très faible, voire inexistante chez les saisonniers. C’est un petit milieu où tout le monde se connaît, où les salariés passent quelques mois avant de repartir… La CGT a tout de même récemment pointé un phénomène, une sorte de "zone grise" : des travailleurs étrangers, en dehors de tout code du travail, qui promènent les chiens ou font le ménage. Logement et forfait de ski financés… mais sans forcément de salaire à la clé.
* Les prénoms ont été modifiés.
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