Scientifiquement contestés mais juridiquement autorisés, les tests de personnalité nuisent-ils aux procédures de recrutement ?
"Dis-moi qui tu es..." De plus en plus de recruteurs ont recours à des tests de personnalité à l'occasion de procédures de recrutement. Une tendance anglo-saxonne qui trouve son public en France : d'après le baromètre de l'Apec, en 2023, 20% des cadres ont ainsi été soumis à ce type de tests avant d'être recrutés. Si rien ne s'y oppose légalement, ces questionnaires sont pourtant largement contestés d'un point de vue scientifique.
Parmi les plus célèbres, le test MBTI (Myers-Briggs Type Indicator) promet d'attribuer un type de personnalité parmi seize schémas identifiés. Il est question de déterminer si la personne testée est plutôt extravertie ou introvertie, sensible ou encore intuitive. Le questionnaire, dont la première publication remonte à 1962, a été établi par Isabel Briggs Myers et Katherine Cook Briggs à partir des travaux du psychiatre suisse Carl Gustav Jung. Depuis, la Myers-Briggs Company en a développé plusieurs versions qu'elle commercialise, allant jusqu'à proposer des formations payantes à destination des personnels des ressources humaines.
"Ça met les gens dans des cases"
S'agissant du recrutement, le site officiel du MBTI assure que le test n'a pas vocation à être utilisé pour la sélection de candidats : "Le test MBTI ne devrait jamais être utilisé pour le recrutement car il ne mesure pas les compétences ou les aptitudes d'une personne, seulement ses préférences de personnalité sous-jacentes".
"Ces préférences ne se reflètent pas nécessairement dans le comportement, car en tant qu'êtres humains complexes et adaptables, nous sommes capables de modifier notre comportement en fonction de ce qui est le plus approprié et le plus utile dans n'importe quelle situation donnée."
Communiquésur le site officiel du "Myers-Briggs Type Indicator"
Ainsi, de nombreux psychiatres s'accordent à remettre en cause la fiabilité du test. "Ces tests ne sont pas fiables parce qu'ils manquent de fondements scientifiques, dénonce ainsi Christine Barois, psychiatre et autrice d'une thèse de médecine sur le sujet. Il y a des choses qui sont factuelles et puis des choses qui sont des interprétations. Ça enferme les gens dans des cases à partir d'une simplification excessive des personnalités. Est-ce que vous êtes extraverti ? Eh bien ça dépend des situations. Nos identités sociales sont multiples et le MBTI ne permet pas de les nuancer."
Par ailleurs, la spécialiste précise que le candidat répond au questionnaire en fonction de sa perception de lui-même, ce qui ne permet pas une objectivité scientifique. Il lui est aussi tout à fait possible de biaiser ses réponses pour correspondre aux attentes de l'employeur.
Un autre travers identifié par les spécialistes est le risque de cantonner certaines personnalités à certains postes en empêchant les salariés d'évoluer professionnellement. "Ça met les gens dans des cases", insiste la psychiatre qui souligne l'importance de former, malgré tout, les recruteurs pour interpréter les résultats. Christine Barois concède que le mal est moindre. "Ça va être encore pire quand les recrutements seront réalisés avec l'intelligence artificielle" conclut-elle.
Non-discrimination à l'embauche et protection des données
Reste que, d'un point de vue du Droit du travail, rien n'empêche un recruteur d'avoir recours à un test de personnalité. C'est même ce que recommande le site internet officiel de France Travail dans une rubrique destinée aux employeurs.
Comme pour n'importe quel recrutement, et conformément au Code du travail, le principe de non-discrimination à l'embauche prévaut. L'article L1132-1 dispose qu'"aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de nomination (...) en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son appartenance ou non à une ethnie, (...) de ses opinions politiques, de ses convictions religieuses, de son état de santé..." Une série de discriminations fixées par la loi et figurant à l'article 225-1 du Code pénal.
D'après une avocate consultée par franceinfo, le formulaire MBTI ne semble pas contrevenir à ce principe de non-discrimination, les questions n'étant pas portées sur les critères énumérés par la loi. Le candidat est aussi en droit de refuser de se plier à l'exercice - comme à n'importe quelle autre demande du recruteur. D'un point de vue de la protection des données, les processus de recrutement sont encadrés par le règlement général sur la protection des données (RGPD).
Enfin, comme pour toutes les autres données collectées auprès d'un candidat (CV, diplômes, pièce d'identité, lettre de motivation...), le recruteur est contraint par une base légale. La CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés) précise dans son guide du recrutement que "les informations collectées à l’occasion d’un processus de recrutement ne peuvent pas être conservées indéfiniment."
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