Haute fonction publique : on vous explique la réforme mettant fin au corps préfectoral
Le Conseil des ministres examine, mercredi, la réforme de la haute fonction publique par ordonnances.
Attention, une réforme peut en cacher une autre. La suppression très médiatisée de l'Ecole nationale d'administration (ENA) cache une réforme plus globale, par ordonnance, de la haute fonction publique, qui sera examinée, mercredi 2 juin, en Conseil des ministres. Ce projet prévoit de créer "un corps unique des Administrateurs de l'Etat". A quelques exceptions près, il va supprimer les corps de hauts fonctionnaires attachés à certaines fonctions, et notamment le corps préfectoral, ce qui fait polémique. On vous explique pourquoi.
De quoi s'agit-il ?
La suppression du corps préfectoral est présentée comme l'une des conséquences de la réforme globale de la haute fonction publique. Celle-ci vise, selon les services du Premier ministre cités par l'AFP, à créer "un corps unique des Administrateurs de l'Etat". La réforme prévoit ainsi de remplacer l'ENA par un Institut national de service public (INSP) à compter du 1er janvier 2022. L'INSP doit former l'ensemble des cadres de l'Etat, avec un "tronc commun" pour 14 écoles du service public, y compris les corps techniques (ingénieurs des travaux publics, hospitaliers, territoriaux...). Il assurera la formation initiale et continue de tous les fonctionnaires de l'Etat.
Ensuite, les élèves issus de l'INSP passeront par un nouveau corps d'administrateurs d'Etat indifférencié. L'idée est de "faire disparaître la logique de corps pour une logique de métier, sauf pour la Cour des comptes et le Conseil d'Etat, corps juridictionnels", explique le ministère de la Transformation et de la fonction publiques qui présente le projet. En conséquence, les autres corps, en particulier celui des préfets, disparaîtront et seront adaptés selon les métiers. Néanmoins, la fonction de préfet est maintenue.
Concrètement, donc, la réforme préserve la fonction. Il y aura toujours des hauts fonctionnaires, recrutés dans un vivier plus large, faisant office de représentants de l'Etat dans les départements. Mais le corps préfectoral (environ 250 membres pour quelque 130 postes) va s'éteindre.
Quel est l'objectif affiché ?
La réforme cherche à "favoriser des parcours plus ouverts et moins cloisonnés, mieux suivis et régulièrement évalués tout au long de la carrière", détaillent les services du Premier ministre à l'AFP. Elle vise, toujours selon Matignon, à "améliorer la gestion des cadres supérieurs de l'Etat, selon une logique fondée sur les parcours et les compétences, plus que sur l'appartenance à des corps ou à des statuts".
Il s'agit donc, selon l'exécutif, de former des hauts fonctionnaires plus polyvalents et moins enfermés dans un statut. "Le système (actuel) de l'ENA fait rentrer dans des carrières à vie", a pointé la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin, lundi sur France Inter. Mais elle a aussi tenu à rassurer les préfets et futurs préfets sur la pérennité de leur métier.
"On garde le statut de la fonction publique mais on cherche à créer un Etat efficace. On garde donc les métiers les plus efficaces et notamment le métier de préfet qui est au cœur de l'efficacité de l'Etat et de sa proximité."
Amélie de Montchalin, ministre de la Fonction publiquesur France Inter, le 31 mai
"Il faut distinguer le corps de l'institution (...). L'annonce du gouvernement ne consiste pas à dire 'on va supprimer l'institution', mais 'on va supprimer le corps'", analyse Luc Rouban, directeur de recherche au Centre de recherches politiques de Sciences Po, sur France Culture. "L'institution a été créée en 1800. Elle est centrale dans l'appareil d'Etat. Le corps, lui, en tant que structure juridique qui définit une carrière, des obligations spécifiques – par exemple les préfets n'ont pas le droit de se syndiquer (...) – des éléments de trajectoire professionnelle (...) est créé en 1950", détaille ainsi ce spécialiste de la haute fonction publique.
Selon lui, la réforme en cours est plus conforme à ce qui se passe ailleurs en Europe. "On va de plus en plus vers une fonction publique de l'emploi qu'on trouve très généralement en Europe, alors qu'en France, la fonction publique de l'Etat est organisée en corps selon une stratégie qui organise les carrières en fonction de statuts particuliers", précise-t-il à la radio.
Pourquoi cette réforme est-elle contestée ?
La fronde d'une partie du corps préfectoral a commencé il y a trois semaines. Préfets et sous-préfets ont appris le projet lors d'une visioconférence le 6 mai avec le Premier ministre, Jean Castex. L'annonce de la suppression du corps préfectoral a d'autant plus suscité l'"incompréhension" des participants, selon le témoignage de l'un d'entre eux à l'AFP, que cette suppression ne s'applique ni au Conseil d'Etat, ni à la Cour des comptes, ni aux diplomates, au motif que ces corps forment chacun une filière métier. Or, les préfets considèrent, eux aussi, qu'ils forment une filière métier.
Quinze jours plus tard, dans une tribune au Monde, un collectif de près de 50 préfets honoraires ont demandé à Emmanuel Macron de préserver "le corps préfectoral, pilier de la République". "Pour le corps préfectoral, comme pour le corps diplomatique, il ne s'agit pas seulement de 'représenter' l'Etat ou la France, mais bien d'agir en leur nom", écrivaient-ils, en estimant qu'une telle tâche ne pouvait être confiée de manière "indifférenciée".
"De telles missions ne sauraient être confiées de manière indifférenciée à des cadres de haut niveau, même soigneusement choisis."
Un collectif de préfetsdans une tribune au "Monde"
Les opposants à la réforme font valoir deux arguments : un risque de politisation de la fonction, avec un recrutement à la main du pouvoir, et un risque d'affaiblissement de l'Etat, avec un métier qui exige un très long apprentissage. Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national à la présidentielle de 2022, a saisi la balle au bond en envoyant une lettre aux préfets pour les assurer qu'elle combattrait cette réforme. "Derrière pointe le risque d'une politisation des recrutements et des nominations", écrit-elle.
D'autres voix se sont également élevées pour contester le projet. "On veut aujourd'hui avoir des préfets courtisans, des préfets du second Empire", raille le sénateur LR Philippe Bas. Les préfets créés sous Bonaparte ne sont pas à "disposition d'un clan", assène encore l'ex-ministre de l'Intérieur (PS) Bernard Cazeneuve.
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