Malgré le télétravail, le marché de l'immobilier de bureau reprend des couleurs : "La crise semble derrière nous"
Le développement du télétravail n'a pas tué le marché de l'immobilier de bureau qui repart avec des entreprises à la recherche de locaux dans les centres-villes et les centres d'affaires. Face au manque d'espaces disponibles, la sous-location se développe.
Dans le secteur de l'immobilier de bureau, l'épidémie de Covid-19 n'est pas passée inaperçue. "On a eu une année 2020 très compliquée parce que le marché s'est arrêté, explique Pierre-Antoine Matrand, directeur général de l'agence parisienne Arthur Loyd. Généralement, on est à peu près en Île-de-France autour de 2,2 millions m² qui trouvent preneurs en moyenne sur dix ans. Et en 2020, on a placé 1,3 million m², c'est extrêmement faible." Avec des chantiers à l'arrêt et des entreprises qui reportent leurs investissements et le développement du télétravail, cette baisse du marché devait s'inscrire dans le temps.
Mais la mort du bureau dit traditionnel n’a pas encore sonné et le secteur de l’immobilier non résidentiel reprend des couleurs. "Contrairement à ce qu'on avait dit, la crise semble quand même derrière nous, même si c'est en train de reprendre progressivement”, explique Ingrid Nappi, professeure-chercheuse à l’Essec business school. Si la crise sanitaire a bien sûr laissé des traces, les derniers chiffres montrent une reprise notamment en Île-de-France le principal marché de bureaux de l'Hexagone. De juillet à septembre 2021, il y a eu 406 200 m² de bureaux franciliens qui ont trouvé preneurs, selon les chiffres d’Immostats sur la demande placée, qui correspond, selon le site, à l'ensemble des locations ou ventes à l'occupant portant sur des locaux à usage de bureaux. Cette demande placée est en baisse par rapport à ceux du troisième trimestre 2019, 180 000 m² en moins, mais en hausse de 66 % par rapport à ceux de 2020.
Les entreprises n'ont pas quitté la capitale
Les entreprises ne sont donc pas parties de la capitale et recherchent même dans les secteurs "traditionnellement très demandés", explique Ingrid Nappi : "Le marché se porte bien en région parisienne notamment dans Paris intra-muros, et dans les quartiers d’affaires." En effet, si l’on regarde par zone les chiffres d’Immostats sur cette demande placée au troisième trimestre, Paris et en particulier la zone Paris Centre ouest, continue d’attirer avec près de la moitié de la demande placée francilienne (48%) tandis que la première et seconde couronne ne dépasse pas un quart des mètres carrés, 23 % en 2021 contre 35 % au troisième trimestre 2019.
Pour Pierre-Antoine Matrand, de l'agence Arthur Loyd, il n'y a rien d'étonnant. Depuis la crise, la commercialisation des bureaux va se réaliser plus rapidement selon la qualité du bien et si l’immeuble est bien placé, c'est-à-dire proche d'un transport en commun : "Même en première couronne, dès qu'on est loin, sans un transport commun type RER, gare SNCF, stations de métro à moins de cinq minutes de l'immeuble, ça devient une complexité pour le commercialiser."
Trop de coworking, davantage de sous-location
En plein Paris, la recherche d'espace peut s'avérer fastidieuse, notamment avec le coworking, c'est-à-dire l'hôtellerie de bureau. Si cette tendance a subi de plein fouet la crise, elle se relève rapidement avec le développement du télétravail, avec des conséquences sur la location de bureau. "Il y a eu un assèchement du marché lié à un monopole pratiquement des transactions vers des espaces de coworking, explique Ingrid Nappi. Au point que les loyers ont dramatiquement augmenté et que la vacance est très faible. C'est le cas dans toutes les capitales européennes, notamment dans les centres villes et dans les quartiers centraux des affaires." L'enseignante à l'Essec s'inquiète d'une pénurie de l'offre locative : "Il y a trop d'espaces de coworking et ils vont répondrent à un autre besoin, celui d'un entrepreneur ou d'une start up."
"Les espaces de coworking ne correspondent pas à toutes les demandes, notamment pour des entreprises qui veulent une offre locative classique avec un bail."
Ingrid Nappi, professeur-chercheur à l’Essec business schoolà franceinfo
Les entreprises à la recherche de mètres carrés intra-muros se tournent alors vers d’autres entreprises. La sous-location se développe. L’idée n’est pas nouvelle, un bail est souvent long dans l'immobilier non résidentiel, environ neuf ans, et toute la surface d’un bureau n’est pas occupée.
Pierre-Antoine Matrand le voit très clairement au sein de son agence : "La proportion des sous-locations a beaucoup augmenté. On avait, en mars 2021, une centaine d'offres à sous-louer pour environ 100 000 m² alors que maintenant on en a 26 de plus pour à peu près 150 000 m²." Cette augmentation s’explique principalement par deux facteurs pour le directeur général de l'agence parisienne Arthur Loyd : "Le premier, c'est que les effectifs ont malheureusement un petit peu réduit pour certaines entreprises. Et deuxièmement, l'organisation du télétravail permet pour les entreprises de libérer de l'espace." Cet espace supplémentaire se traduit souvent par des mètres carrés disponibles qui sont proposés à d’autres entreprises.
Un besoin de flexibilité
"La sous-location est à mon sens la solution idéale pour une boite avec de la croissance", explique Kilian Bazin, cofondateur de Toucan Toco. La société qui propose des logiciels et des applications pour d’autres entreprises a emménagé depuis bientôt un an et demi dans le nouveau quartier des Batignolles du 17e arrondissement de Paris. Sur la dizaine d’étages que compte l’immeuble parisien, Toucan Toco en sous-loue deux pour une surface de 1 400 m².
"L’accord se fait avec l’idée que l’entreprise qui nous loue aura peut être très vite besoin de cette surface à nouveau et ne prend pas un engagement de six ans avec nous, explique Kilian Bazin. Et nous, on aura peut-être besoin de davantage ou moins de surface en fonction de ce qui se passe très prochainement." Une flexibilité recherchée dans cette entreprise qui a doublé en très peu d’années. "Cette situation s'adapte très mal au fait d'aller chercher du mètre carré à Paris, qui est extrêmement cher", développe le cofondateur de l’entreprise.
Beaucoup de postes sont cependant libres dans les locaux de Toucan Toco, la moitié des employés environ est en télétravail. Kilian Bazin continue de croire en l’intérêt des bureaux même s'ils représentent la première dépense pour l'entreprise derrière les salaires : "Il y a besoin d'interactions informelles entre les gens, souligne Kilian Bazin. Et il y a aussi sans cesse de nouvelles personnes qui rentrent et qui ont besoin de créer du relationnel avec les autres. Notre capacité à se comprendre se développe finalement avec plein de petits signaux informels." Difficile donc de bifurquer vers un fonctionnement totalement en télétravail uniquement. "Il y a des gens qui viennent tous les jours au bureau qui ont envie de contacts extérieurs, ils se nourrissent de ça et c'est ce qui leur donne de l'énergie, développe le confondateur de l'entreprise. Sinon, on devrait l'assumer pleinement et être prêt aussi à perdre des gens qui n'ont pas signé pour du 100 % télétravail."
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