Que se passe-t-il à La Poste?
Après trois suicides de salariés en six mois, les syndicats de La Poste s’alarment et évoquent la vague de suicides qui a frappé France Télécom en 2009.
Bruno P., un cadre de La Poste, a été retrouvé pendu dimanche 11 mars sur la plateforme courrier où il venait d’être muté, dans le Finistère. Il avait 43 ans. C’est le troisième suicide d’un salarié de La Poste en sept mois. Les syndicats redoutent la même crise qu'a traversé France Télécom en 2009.
Ces suicides sont-ils liés au travail ?
C'est ce que laissent penser des échanges entre Bruno P.et Jean-Paul Bailly, le PDG de la Poste. Il évoquait les "dérapages réguliers" de la hiérarchie, son "profond mal-être" et le "processus insidieux et destructeur qui (…) compromet [son] devenir professionnel", dans deux e-mails que s’est procuré Le Monde.
Dans d'autres documents, envoyés au syndicat SUD, Bruno P. écrit qu'il "considère la hiérarchie de la Poste (à tous niveaux) à l'origine de (s)a perte de repères". "Depuis plus de trois ans, j'ai l'impression d'un acharnement, d'une volonté hiérarchique de m'acculer", ajoute le cadre qui était en arrêt maladie au moment du drame.
"Laissez moi partir, c'est mon choix", explique-t-il dans une note baptisée "Mes demandes", dans laquelle il dit refuser toute réanimation, être prêt à donner ses organes et réclame une inhumation "dans l'intimité familiale" sans "aucun représentant de la hiérarchie de l'entreprise, ni aucun message de cette même hiérarchie".
Le cadre de 28 ans qui s’est suicidé à Rennes fin février a aussi laissé deux lettres, qui liaient son suicide à ses conditions de travail. "Le travail que j'effectue chaque jour ne semble pas être apprécié. Je suis remis en cause en permanence sur toutes mes actions. (...) J'ai cherché en vain à réussir, me former, mais rien ne semble y faire, je n'ai jamais eu de retour positif", écrivait-il, selon Ouest-France.
Quant à la postière qui s'est défenestrée à Paris le 15 septembre 2011, l'Inspection du travail a imputé l'incident à "une faute caractérisée" de l'entreprise et a mis en cause le PDG, Jean-Paul Bailly, et le chef d'établissement du centre financier où elle était employée pour "homicide involontaire".
Qui sont les salariés concernés?
A lire les forums de postiers, même si les dernières victimes sont des cadres, tous les salariés sont sous pression. Du facteur qui voit ses tournées s'allonger chaque année au directeur de plateforme de courrier poussé à une extrême mobilité. Les récentes victimes sont plutôt dans ce dernier cas. Bruno P. et le jeune cadre rennais venaient tous deux d'être mutés dans de nouvelles villes et à de nouveaux postes de management.
Bruno P. et la postière parisienne se sont en tout cas tous deux donné la mort alors qu'ils sortaient d'un long congé maladie pour dépression. Jean-Claude Delgènes, fondateur du cabinet Technologia, qui a mené des audits chez France Télécom et Renault après les vagues de suicides, explique ce phénomène : "Environ 40% des personnes qui se donnent la mort sont en rechute. L’absence de prise en charge correcte après une première tentative est fatale", précise l’expert qui réclame la création d’un observatoire des suicides, afin de mieux comprendre ces actes désespérés.
Y'a-t-il un rapport avec France Télécom ?
Dans le cas de France Télécom, déjà, le "management par le stress" était montré du doigt. Vincent Talaouit, salarié de l'entreprise, l'a décrit dans son livre Ils ont failli me tuer. Il le racontait à L'Express en octobre 2010 : "Les comportements des DRH que j'ai pu observer et subir mettent en danger des vies humaines."
Pour la CGT, majoritaire à La Poste, la privatisation et les réorganisations qui ont suivi sont aussi responsables du malaise. Le syndicat dénonce une organisation du travail qui "casse les salariés" et un "décalage entre les missions demandées et les moyens mis en place". Et d’ajouter que "la baisse régulière et drastique des effectifs, l'augmentation de la productivité, les nouvelles tâches, ont influé sur le mauvais état de santé des salariés et leur mal-être au travail".
Un rapport du cabinet Isast, mené à la demande du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), recommande par ailleurs d'interroger "le rôle et la place" de la DRH et de la médecine du travail au sein de La Poste. "L'éloignement des services des ressources humaines, qui sont à Montpellier, pose problème. Car, quand vous avez une question RH, vous devez d'abord passer par votre supérieur hiérarchique", selon Régis Blanchot, syndicaliste SUD.
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