Grève des urgences : un urologue dénonce une "gouvernance très autoritaire qui n'écoute plus le terrain"
Michaël Peyromaure, professeur et chef de service urologie à l'hôpital Cochin à Paris estime notamment que les soignants sont "bien obligés d'être en arrêt de travail" pour se faire entendre d'une direction qui "régit les soins sur des tableaux Excel".
"Les soignants sont infantilisés" et "ne peuvent plus faire leur métier correctement", affirme mardi 11 juin sur franceinfo Michaël Peyromaure, professeur et chef de service urologie à l'hôpital Cochin à Paris, alors que tous les personnels des hôpitaux sont appelés à faire grève pour protester contre les baisses de moyens. Après trois mois de protestation dans les services d'urgences, le mouvement s'étend donc, notamment à cause d'une "gouvernance très autoritaire qui n'écoute plus le terrain", selon Michaël Peyromaure.
franceinfo : Est-ce que vous soutenez les grévistes, y compris quand ils utilisent des modes d'action controversés, comme poser des arrêts maladie en série ?
Michaël Peyromaure : Oui, je les soutiens à 100%. Il faut comprendre que les soignants ont été plongés dans un malaise - cela n'est pas nouveau, cela date déjà d'une dizaine d'années - qui s'est accentué ces derniers temps. Ils ne peuvent tout simplement plus faire leur métier correctement. Même si je sais que ce n'est pas très conforme, il faut reconnaître que la technique habituelle de grève - celle que j'ai connue depuis dix ou vingt ans, qui consiste à mettre un brassard "en grève" mais à travailler quand même au service des patients - n'a plus aucune efficacité. Les malheureux sont donc bien obligés d'être en arrêt de travail, mais à mon avis ils le font à contrecœur.
Le gouvernement a-t-il sous-estimé les motifs de grogne à l'hôpital ?
Oui. Ça fait pourtant longtemps qu'il y a des alertes un peu partout dans les médias. Les soignants sont malheureux. Cela fait quelques années que les médecins, les infirmières et les aides-soignants - tout ce petit monde qui vivait heureux à l'hôpital il y a encore dix ou vingt ans - est devenu malheureux. Ils n'arrivent plus à assurer correctement leur travail et n'ont pas cessé de le dire ces derniers mois. Pourtant, ils n'ont pas été entendus donc je crois que la coupe est pleine.
Est-ce qu'aujourd'hui la France a un hôpital à deux vitesses, avec d'un côté des services comme le vôtre, en pointe, et de l'autre des urgences qui n'arrivent plus à accueillir dignement les patients ?
Oui. Les urgences cristallisent évidemment toutes les tensions, puisque c'est l'interface entre l'extérieur et l'intérieur de l'hôpital. Il y a un accroissement de la demande de soins et une réduction des moyens pour y répondre. Les urgences sont un peu un fourre-tout. Vous avez des patients qui viennent pour des vraies urgences, des patients qui viennent à tort pour des pathologies bénignes mais qui, faute de trouver un médecin ailleurs, doivent se rendre aux urgences, des personnes âgées dont la famille parfois se débarrasse avant de partir en vacances parce qu'elle ne sait pas comment s'en occuper, des gens en situation de grande précarité sociale... Tout ce beau monde va converger vers les urgences qui est le seul endroit où la lumière est allumée.
Sentez-vous aussi à l'hôpital Cochin les effets des différentes mesures d'économies décidées ces dernières années ?
Bien sûr ! C'est le cas dans tous les hôpitaux, pas seulement dans les établissements périphériques. Nous vivons la même chose au cœur de Paris. Nous avons des réductions drastiques de lits et de salles d'opération, des suppressions de personnel et aussi une gouvernance très autoritaire qui n'écoute plus le terrain. Il y a un phénomène quantitatif, qui est celui de la réduction des budgets, mais il y a aussi un phénomène qualitatif, qui est celui de l'organisation et de la gestion de l'hôpital. Les soignants ont été très infantilisés ces dernières années. Ils ne sont plus écoutés par des gens qui dirigent l'hôpital et qui régissent les soins sur des tableaux Excel. Cela crée beaucoup de frustration aussi.
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