Réforme des retraites : cinq questions sur les coupures de courant volontaires revendiquées par la CGT
Le syndicat veut maintenir la pression pour obtenir le retrait du projet du gouvernement. Plusieurs postes électriques ont été la cible d'actes de malveillance, entraînant de brèves coupures d'électricité dans toute la France.
La CGT fait sauter de nouveaux fusibles contre la réforme des retraites. La centrale syndicale a ainsi revendiqué, mercredi 18 décembre, des coupures d'électricité volontaires dans plusieurs villes de France, ayant pour conséquence de brièvement priver de courant des milliers de foyers en Gironde, à Lyon, Nantes ou Orléans.
Quelles villes sont concernées ?
Le gestionnaire RTE a publié dans un communiqué la liste des coupures volontaires de courant dans plusieurs grandes villes de France. Ces incidents ont concerné plusieurs dizaines de milliers de personnes pendant un laps de temps d'une heure ou plus. Ainsi, près de 50 000 foyers ont été privés d'électricité en Gironde dans la nuit de lundi à mardi (entre 00h45 et 2h15). Au cours de la journée, les coupures de courant ont ensuite touché 40 000 foyers à Lyon (entre 10h06 et 10h55), 37 000 à Nantes (entre 13h20 et 14h40) et 40 000 à Orléans (entre 15 heures et 16h15). Plusieurs coupures de courant ont également été opérées ces dernières semaines, comme en témoigne cette liste réalisée par la CGT Energies de Gironde.
Enedis a également relevé des coupures volontaires sur son réseau mais la filiale d'EDF n'est pas en mesure de livrer de chiffres complets, car les volumes concernés sont plus modestes. Contactée par franceinfo, la société précise toute de même que plusieurs secteurs de Boulogne-sur-Mer ont été la cible de telles coupures, confirmant une information de La Voix du Nord. A total, 420 clients ont été touchés et l'acte de malveillance a fortement perturbé l'activité de la zone industrielle. Quelques coupures ont été observées dans d'autres villes, comme Cherbourg, Dunkerque, Nice et Montluçon.
Quelque 2 000 foyers ont également été privés d'électricité à Paris dans les 3e et 11e arrondissements après des dégradations commises le long du parcours de la grande manifestation. "Nous avions identifié ces actes de malveillance mais les autorités ne nous ont pas donné immédiatement le feu vert pour intervenir car la manifestation était toujours en cours", précise Enedis à franceinfo, qui évoque d'évidentes "raisons de sécurité" pour les techniciens.
Comment ont fait les "coupeurs de courant" ?
Ce sont des postes électriques qui ont été visés. Interrogée sur les coupures à Lyon et en Gironde, RTE a précisé que les matériels avaient été mis hors tension sans dégradation. A Nantes, "les coupures ont été réalisées sur le parcours de la manifestation nantaise ou à proximité", explique Mathieu Pineau, secrétaire général du syndicat Mines-Energie 44 – notamment sur le poste électrique des Tanneurs.
Même chose à Boulogne-sur-Mer : "Le parcours passait en grande partie par la zone industrielle Capécure et il était aisé d'agir sur le poste électrique. Il faut toutefois être du métier pour savoir couper le courant", précise Lolita Bordez, secrétaire générale du syndicat CGT Mines-Energie Flandre-Artois Littoral.
Généralement, les dégradations sont commises sur des postes de transformation.
Enedisà franceinfo
Ces éléments du réseau reçoivent de l'électricité à un certain niveau de tension depuis une source de production pour l'élever ou l'abaisser à un autre niveau de tension. Mais les auteurs des coupures d'électricité ne peuvent pas cibler avec précision tel ou tel bâtiment. A chaque dégradation, c'est donc tout un secteur qui se retrouve plongé dans le noir.
"La semaine dernière, la CGT avait déjà coupé le courant pour le centre des impôts, la sous-préfecture et les mairies de Boulogne et Saint-Martin", poursuit Lolita Bordez, ce qui avait également entraîné une coupure de courant pour les particuliers du voisinage. En effet, "un poste électrique dessert à la fois les bâtiments visés et le secteur alentour".
Comment la CGT justifie-t-elle ces actions ?
Même si le ministère estime que les auteurs ne sont "pas toujours des salariés de l'entreprise", les coupures de courant volontaires de Gironde et de Lyon avaient rapidement été revendiquées par la CGT. Elles sont "bien liées à la grève" et s'inscrivent dans "la bagarre" contre le projet de réforme des retraites, a annoncé à l'AFP Francis Casanova, délégué syndical central CGT chez RTE.
"La décision de couper le courant a été prise en AG interprofessionnelle", explique également Mathieu Pineau, secrétaire général du syndicat CGT Mines-Energie en Loire-Atlantique. Mais pourquoi couper le courant à des milliers de foyers ? "Il y a des dommages collatéraux, mais cela touchait aussi des permanences d’élus et des locaux de partis politiques, pas que des citoyens lambda", justifie le délégué syndical. "Au vu de l’entêtement et de la malhonnêteté du gouvernement", il assure d'ailleurs que ce mode d'action va perdurer dans les prochains jours.
A un moment donné, il faut aussi reprendre notre outil de travail en main. Notre secteur en a le pouvoir, comme à la SNCF et à la RATP.
Lolita Bordezà franceinfo
La ministre de la Transition écologique, Elisabeth Borne, a demandé sur France Inter à Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, de "clarifier sa position sur ce sujet", estimant qu'on "est très loin des modes d'action normaux, de ce qu'on peut attendre d'un grand syndicat". L'intéressé lui a répondu sur BFMTV en affirmant que ces "coupures sont ciblées" et qu'il comprenait "la colère des agents". Il a également déclaré que les agents RTE et Enedis étaient toujours "prompts à se mobiliser pour remettre le courant après des inondations ou des tempêtes".
Que risquent les auteurs ?
Aucune disposition du droit de grève n'autorise de telles actions et les "coupeurs de courant" s'exposent à des poursuites judiciaires. En cas de coupure de courant volontaire, les sociétés Enedis et RTE expliquent d'ailleurs à franceinfo qu'elles allaient systématiquement porter plainte contre X. Ces actions seront fondées sur l’article R323-37 du Code de l’énergie, qui prévoit et réprime l’intrusion dans les ouvrages électriques et les manœuvres non autorisées sur le réseau électrique. Charge ensuite au procureur de décider de la qualification juridique des infractions. Il peut d'ailleurs décider d'ajouter d'autres qualifications, comme la violation de domicile ou la mise en danger d’autrui. Enedis va également porter plainte.
Au-delà du volet judiciaire, les auteurs s'exposent également à des sanctions en interne. "Si un agent se faisait prendre, il pourrait passer devant une commission disciplinaire avant un probable licenciement, nommé 'mise à la retraite d’office'", commente Lolita Bordez. Même au niveau syndical, il serait alors difficile de les protéger." Si la CGT revendique volontiers ces coupures de courant, le risque encouru par leurs auteurs explique sans doute leur extrême discrétion. De son côté, RTE a annoncé son intention de mettre en œuvre "les procédures disciplinaires nécessaires", sans livrer davantage de détails dans l'immédiat. Enedis évoque également de tels recours, lorsque l'enquête judiciaire permet d'identifier un salarié de l'entreprise.
La CGT compte-t-elle aller plus loin ?
François Casanova, délégué syndical central CGT chez RTE, considère que ces actions sont un "premier avertissement" adressé au gouvernement et que celui pouvait s'attendre "à des coupures plus massives". Par ailleurs, d'autres moyens d'action pourraient être envisagés par le syndicat. Ainsi, il est possible "d'enlever les cartes SIM dans les concentrateurs", explique Lolita Bordez, ce qui "coupe la connexion entre nos centres et les compteurs Linky des particuliers" – lesquels ne sont donc plus facturés. Une telle action a déjà été réalisée il y a six mois dans le Boulonnais, selon elle. La représentante ajoute qu'il est également possible de basculer la consommation électrique d'un secteur en heures creuses.
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