Logement : pour la Fondation Abbé-Pierre, Hollande est loin d'avoir terminé le chantier
La Fondation Abbé-Pierre publie, mardi, son 22e rapport annuel sur l'état du mal-logement en France. L'occasion de revenir sur le bilan du président sortant sur la question.
"Frère des pauvres et provocateur de paix." François Hollande a rendu, dimanche 22 janvier, un vibrant hommage à la mémoire de l'abbé Pierre, mort il y a tout juste dix ans. Mais l'action politique du chef de l'Etat est-elle en phase avec ces louanges ? Cinq ans plus tôt, le 1er février 2012, juste avant d'être enfariné, il s'engageait solennellement, comme candidat socialiste à la présidentielle, à lutter contre le mal-logement, devant la Fondation Abbé-Pierre.
Le président a-t-il tenu parole ? Quel est son bilan alors que la même Fondation Abbé-Pierre publie, mardi 31 janvier, son 22e rapport sur l'état du mal-logement, et interpelle à nouveau les candidats à l'Elysée sur les 12 millions de personnes touchées par la crise du logement en France ? Passage au crible de l'action du quinquennat en faveur des personnes qui vivent dans un logement précaire, ou qui n'ont pas de logement fixe, au regard de quatre indicateurs.
Production de logements sociaux : le seuil des 150 000 n'a pas été atteint
Ce qu'avait promis le candidat Hollande. François Hollande s'était engagé à "développer la construction" au rythme de 500 000 logements par an, dont 150 000 logements sociaux, en signant en 2012 le "Contrat social pour une nouvelle politique du logement" de la Fondation Abbé-Pierre, comme le rapporte Le Monde.
Ce qu'a fait le président Hollande. "L'objectif des 500 000 constructions par an n'a pas été tenu. Malgré une remontée de la production au cours de la dernière année du quinquennat, nous sommes constamment restés en-dessous des 400 000 logements annuels depuis 2012", assène Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre.
Même incapacité à atteindre le seuil fixé pour les logements sociaux, avec une production décevante à hauteur de 110 000 par an (115 000 en 2013, 105 000 en 2014, 109 000 en 2015 et, semble-t-il, plus de 120 000 en 2016). "C'est mieux que les années précédentes [sous le quinquennat Sarkozy], mais moins bien que les 150 000 prévus chaque année", relève le responsable associatif. Et si la déception est quantitative, il la juge aussi qualitative car "les logements sociaux sont trop haut de gamme et trop chers pour la population concernée. Nombre de dossiers sont refusés parce que les demandeurs sont trop pauvres. Un comble pour le logement social !"
La production de logements pour les personnes les plus en difficulté (PLAI, prêt locatif aidé d'intégration) reste en effet très minoritaire par rapport aux logements sociaux classiques (PLUS, prêt locatif à usage social) ou destinés aux classes moyennes (PLS, prêt locatif social), comme le montre le graphique ci-dessous.
Conséquence de ce parc trop restreint et inadapté aux besoins : déjà impressionnante, la liste des demandeurs de logements sociaux s'allonge sans cesse (1,88 million au 1er mars 2016, soit 23 000 de plus qu'au 1er juillet 2015).
Encadrement des loyers : la mesure est restée cantonnée à Paris
Ce qu'avait promis le candidat Hollande. Il s'était engagé devant la Fondation Abbé-Pierre à "réguler les marchés de l'immobilier et du logement".
Ce qu'a fait le président Hollande. Défendue par la première ministre du Logement du quinquennat, Cécile Duflot, la loi Alur prévoyait l'encadrement des loyers dans les zones tendues, avec un loyer maximum à ne pas dépasser.
Une disposition applaudie des deux mains par la Fondation Abbé-Pierre. "Cet encadrement a donné des résultats : les loyers les plus élevés à Paris ont commencé à baisser, assure Manuel Domergue. Et le dispositif s'accompagne d'une autre mesure efficace : l'interdiction d'augmenter fortement les loyers à la relocation", pratique auparavant courante. Mais la mise en œuvre, selon lui, laisse fortement à désirer : "Cet encadrement doit être mis en place partout et pas seulement à Paris et sa petite couronne ou à Lille [à partir du 1er février 2017] ! Dès son arrivée à Matignon, le Premier ministre, Manuel Valls, a freiné l'application de cette mesure, qui devait concerner mille communes. A l'arrivée, elle s'est réduite à une simple expérimentation dans la capitale."
Plus largement, la Fondation Abbé-Pierre reproche à l'exécutif d'avoir abandonné la "garantie universelle des loyers", qui rassurait les bailleurs et posait la première pierre d'une "sécurité sociale du logement". La mesure, déplore l'association, a "perdu son caractère universel et obligatoire dès les débats parlementaires. Puis le gouvernement de Manuel Valls l'a tout simplement abandonnée pour des raisons budgétaires." S'est substitué à cette garantie d'Etat le dispositif Visale (financé par Action Logement, représentant le monde du travail), qui "offre une certaine garantie pour les précaires et les moins de 30 ans, mais sans argent public dessus. On espère néanmoins que ça va marcher", conclut Manuel Domergue.
Aide aux SDF et aux expulsés : une réponse insuffisante
Ce qu'avait promis le candidat Hollande. Il avait assuré, toujours en 2012 devant la Fondation Abbé-Pierre, qu'il allait "intervenir immédiatement et sans demi-mesure pour améliorer les réponses apportées aux personnes en difficulté de logement, et renforcer les aides publiques délivrées directement aux ménages".
Ce qu'a fait le président Hollande. Les crédits de la veille sociale et de l'hébergement d'urgence ont été augmentés. Pour citer les derniers chiffres, ils ont été accrus de 35% et 28% entre 2016 et 2017. Et quelque 10 000 places d'hébergement supplémentaires ont été créées de juillet 2015 à fin 2016.
De quoi satisfaire la Fondation ? Pas vraiment. "Au vu de la situation, la politique n'a pas été très volontariste, notamment en termes financiers, estime Manuel Domergue. Face à l'urgence, on ouvre encore et encore des places d'hébergement provisoire, là où il faudrait privilégier l'accès à un logement pérenne par l'augmentation massive du parc social et la mobilisation du parc privé. Et c'est encore insuffisant puisque 2 000 à 3 000 personnes meurent dans la rue chaque année. Et un appel sur deux au numéro d'urgence du 115 n'offre aucune solution."
Pour l'association, le gouvernement pèche aussi par absence de prévention, alors que le nombre record de chômeurs accentue la précarité. "Nous avons atteint un record d'expulsions locatives effectuées avec le concours des forces publiques : plus de 14 000 en 2015, soit une hausse de 24% par rapport à l'année précédente ! Et sans relogement, contrairement aux engagements du président de la République. On aurait au moins attendu d'un gouvernement socialiste qu'il n'y ait pas de croissance du nombre d'expulsions", s'indigne Manuel Domergue.
"Pourtant, ajoute-t-il, avec de la bonne volonté, on pourrait résorber le nombre de sans-abri en dix ans. Il y avait 143 000 SDF en 2012, mais ils ne sont que 20 000 ou 30 000 en France à dormir dans les rues. Et même si c'est 30 000 ou 40 000, à l'échelle d'un pays de 60 millions d'habitants, c'est parfaitement soluble. A condition que le parc social accueille des SDF et n'exige que des loyers faibles."
Rénovation thermique : une dynamique notable
Ce qu'avait promis le candidat François Hollande. Il s'était engagé comme candidat, rappelle Le Parisien, à un vaste plan de rénovation thermique des logements.
Ce qu'a fait le président Hollande. La loi de transition énergétique de 2015 prévoit que 500 000 logements par an, dont la moitié au moins sont occupés par des ménages modestes, devront bénéficier d'une rénovation énergétique performante, visant à une baisse de 15% de la précarité énergétique dès 2020. Et toutes les "passoires énergétiques" (consommation supérieure à 330 kWh/m2/an) devront être rénovées d'ici 2025. La demande est d'autant plus criante que le prix de l'énergie de chauffage a flambé de 70% depuis l'an 2000, selon des données compilées par la Fondation Abbé-Pierre.
Enfin un satisfecit ? La Fondation Abbé-Pierre prend acte de l'élan créé, même si les objectifs chiffrés n'ont pas été atteints en 2016. Et elle décerne un bon point à la création du chèque énergie, mis en place pour aider ceux qui ont du mal à payer leurs factures. Expérimenté dans quatre départements, il sera généralisé en janvier 2018 pour couvrir, à terme, 4 millions de consommateurs de gaz et d'électricité, selon une procédure simplifiée (aucune démarche à effectuer et les fournisseurs sont tenus d'accepter ce chèque). Mais l'association déplore son montant "largement insuffisant", entre "150 et 270 euros par an", "alors qu'un minimum de 400 euros permettrait tout juste aux ménages modestes de maintenir la tête hors de l'eau".
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