Handicap, HLM, "bail mobilité"… On vous explique pourquoi le projet de loi Logement fait polémique
Le vote solennel du projet de loi sur l'évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan) a lieu ce mardi. Mais le texte inquiète les acteurs du logement social et les architectes.
"Construire plus, mieux et moins cher." Tel est l'objectif affiché du projet de loi sur l'évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan), sur lesquels les députés se prononcent mardi 12 juin. Si son petit nom ne vous dit rien, c'est normal. Pourtant, à l'instar du détricotement annoncé de la loi Littoral, finalement limité, plusieurs mesures de ce texte suscitent une levée de boucliers. La plus célèbre ? La limitation du nombre de logements accessibles pour les personnes en situation de handicap. Franceinfo vous explique pourquoi ce texte rencontre autant d'opposition.
Parce qu'il réduit la proportion de logements accessibles aux personnes handicapées
Ce qui change concrètement. L'article 18 du projet de loi Elan réduit la part de logements neufs (d'au moins quatre étages) accessibles aux personnes en situation de handicap à 10%, contre la norme de 100% en vigueur depuis la loi Handicap de 2005. Derrière ce changement, le fait que pour pouvoir circuler en fauteuil roulant, il faut 8 m2 en plus dans un logement de deux ou trois pièces, pointe l'étude d'impact de la loi. Or c'est une contrainte pour les promoteurs immobiliers.
Les 90% de logements restants devront en revanche être "évolutifs". Cette notion doit être "précisée par décret", a expliqué la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, sur RTL. Mais l'idée est que des "travaux (...) faits très facilement" (déplacer une cloison, transformer une baignoire en douche...) suffiront à rendre le logement accessible à tous. Dans tous les cas, même sans travaux, le salon et les toilettes de tous les logements neufs devront obligatoirement être accessibles à une personne en fauteuil.
Pourquoi ça ne passe pas ? Les associations représentant les personnes en situation de handicap dénoncent une "grave régression sociale". Premier problème : puisque les logements déjà adaptés seront peu nombreux, ces dernières seront obligées d'accepter n'importe quoi, peu importe la localisation et les prestations, craint le député communiste Stéphane Peu.
On va assigner à résidence les handicapés dans les logements de rez-de-chaussée, ceux qui sont les plus difficiles à louer ou ceux qui auront les fenêtres sur le local à poubelles.
Stéphane Peu, député PCFà France Inter
Deuxième problème, selon les associations : le coût de l'adaptation du logement (portes plus larges, douche et non baignoire, accès au balcon ou à la terrasse...) est à la charge du locataire, sauf en logement social, où le bailleur doit le financer. Or il faut compter "entre 3 000 et 12 000 euros" pour adapter un logement, assure Stéphane Peu. Et même s'il existe des aides, elles sont généralement attribuées après un délai de plusieurs mois et ne couvrent pas nécessairement la totalité de la somme.
Parce qu'il encourage la vente de HLM
Ce qui change concrètement. Le projet de loi Elan rappelle que les HLM devront céder 1% de leur parc chaque année à des acheteurs (dont des particuliers) qui ne sont pas des bailleurs sociaux, soit 40 000 logements sociaux. Cet objectif est déjà prévu par la loi depuis 2007 mais il est loin d'être atteint : seuls 8 810 logements ont été vendus en 2016. En insistant sur le respect de cet engagement, le gouvernement espère renflouer les bailleurs sociaux, afin qu'ils puissent utiliser ces fonds pour créer plus de nouveaux logements. "Sur la base des hypothèses du ministère des Finances, la vente de 800 000 logements permettrait de générer de quoi produire 2 400 000 logements", note ainsi l'étude d'impact du projet de loi.
Pourquoi ça ne passe pas ? Plusieurs choses irritent les détracteurs du texte. D'une part, même si les occupants seront prioritaires à l'achat, les logements sociaux pourront être achetés en bloc par des acteurs privés, y compris des fonds spéculatifs. Cela a suscité de vives critiques dans l'hémicycle : c'est un "open bar" pour certains investisseurs, s'est par exemple indignée la présidente du groupe Nouvelle Gauche, Valérie Rabault. Par ailleurs, "la vente se fera au prix fixé par le bailleur". Or, jusqu'à présent, c'était au service des domaines, qui dépend du ministère des Finances, que revenait l'évaluation du logement, laquelle était aussi soumise à un avis de la commune.
Certains, comme le député communiste Stéphane Peu, craignent en outre que les bailleurs sociaux vendent surtout "dans les lieux les plus attractifs et pas dans les quartiers populaires" et que cela "accr[oisse] le ghetto". En clair : les bailleurs sociaux ont intérêt à vendre les logements qui ont la plus grande valeur marchande, c'est-à-dire ceux qui se trouvent dans des zones tendues, où le taux de 25% de logements sociaux n'est souvent pas respecté. Enfin, même une fois vendus, ces logements resteront comptabilisés pendant dix ans (et non plus cinq comme c'est le cas aujourd'hui) dans le quota des 20% ou 25% logements sociaux imposés par la loi SRU. Et ce, même pour les communes qui ne respectent pas ces quotas.
Parce qu'il pourrait précariser l'accès aux logements des jeunes
Ce qui change concrètement. La loi Elan crée un "bail mobilité", censé faciliter la location meublée de courte durée. Ce bail d'un à dix mois, non renouvelable, s'adresse uniquement aux étudiants, jeunes actifs et salariés en formation ou en mission temporaire. L'intérêt est qu'il ne demande aucun dépôt de garantie de la part du locataire, et qu'il est éligible au dispositif de garantie locative Visale, qui garantit aux propriétaires le paiement des loyers et, en cas de dégradations, la remise en état du logement.
Pourquoi ça ne passe pas ? Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, soutenu par la gauche et la Confédération nationale du logement qui dénoncent un "bail précarité", estime dans son avis sur le projet de loi Elan que ce bail expose le public visé à "une précarisation accrue de [ses] conditions d'accès au logement". Il craint qu'avec ce bail court, des logements soient "détournés de la location à usage de résidence principale" au profit de "locations touristiques de courtes durées", ce qui aurait pour conséquence de "tirer à la hausse" les autres loyers, librement fixés par les propriétaires. Sans compter que ce nouveau bail ne permettra pas au locataire de revendiquer son logement comme sa résidence principale, lui coupant de fait le droit à l'aide au logement (APL), relève le Défenseur des droits.
Parce qu'il réduit le rôle des architectes
Ce qui change concrètement. Deux choses. D'une part, les bailleurs sociaux ne seront plus obligés de recourir à des concours d’architectes pour la réalisation de leurs projets. "Le bailleur social peut choisir son architecte puis le remercier une fois le dessin livré et le permis de construire obtenu, afin de réaliser la construction en dialogue direct avec les entreprises", précise Le Monde. Un gain de temps, estime la majorité à l’Assemblée nationale. D'autre part, l'avis des architectes des Bâtiments de France sur la construction d'antennes-relais pour téléphone mobile dans les secteurs protégés du pays ne sera plus obligatoire, mais seulement consultatif.
Pourquoi ça ne passe pas ? Pour la profession, l'obligation de recourir à des architectes pour les marchés publics, instaurée par la loi maîtrise d'ouvrage publique, est la garantie de logements de qualité et d’une innovation dans ce secteur. "Les bailleurs sociaux veulent construire avec la même liberté que celle du promoteur privé. Sauf qu’ils sont financés avec de l’argent public et qu’un logement social répond à des critères spécifiques", détaille Le Monde.
Les architectes ne seront pas forcément là pour garantir la totalité de la construction : ça veut dire qu'on peut perdre en qualité du bâti, en pérennité des ouvrages...
Christine Leconte, présidente de l’ordre des architectes d’Île-de-Franceà France 3
Pour certains professionnels, il s'agit même d'un "retour en arrière". "Cette loi (...) rappelle des erreurs architecturales et urbaines qui ont créé les quartiers que l'on tente aujourd'hui de réparer en vain", s'alarme ainsi Denis Dessus, le président du Conseil national de l'ordre des architectes, dans Les Echos.
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