INFO FRANCETV. Concessions d'autoroutes : Anticor dépose plainte pour favoritisme en lien avec un accord négocié en 2015 par Elisabeth Borne et Alexis Kohler
Les concessions d'autoroutes dans le collimateur d'Anticor. L'association de lutte contre la corruption a déposé une plainte auprès du parquet national financier, mardi 20 juin, pour soupçon de favoritisme. Au cœur de cette procédure, révélée par "Complément d'Enquête" en collaboration avec Marianne, se trouve un accord négocié entre le gouvernement Valls et les trois principales sociétés concessionnaires d'autoroutes : Vinci, Eiffage et la Sanef. En 2015, ces trois entités s'étaient engagées à réaliser plus de trois milliards d'euros de travaux sur leur réseau en échange d'une prolongation de deux à quatre ans de leurs contrats de concession.
"Anticor constate qu'il y a eu une opacité quasi-totale sur les conditions dans lesquelles ces contrats de concession ont été négociés et préparés entre 2013 et 2015", détaille Me Alexandre Luc-Walton, l'avocat d'Anticor, à "Complément d'enquête". "Il nous paraît légitime de savoir en toute transparence comment sont négociés les contrats de concessions autoroutières. Les autoroutes sont un bien public. Les citoyens doivent avoir la certitude que ce bien n'est pas bradé."
Des interrogations autour du taux d'endettement concédé
Les discussions avec Vinci, Eiffage et la Sanef ont été menées par Alexis Kohler, alors directeur de cabinet d'Emmanuel Macron à Bercy, et Elisabeth Borne, à l'époque directrice de cabinet de Ségolène Royal, ministre en charge de l'Environnement. Comment ce plan de relance autoroutier de 2015 signé par les deux ministres a-t-il été négocié ? Sur quelles données chiffrées les représentants de l'Etat se sont-ils appuyés pour valider la prolongation des contrats ?
Selon nos confrères de Marianne, un document confidentiel datant de 2013 aurait servi de base de travail pour préparer ces négociations. Mais un chiffre retenu dans ce rapport, et validé par la Direction des infrastructures du ministère des Transports (DIT), pose question : celui du taux d'endettement des sociétés d'autoroutes, c'est-à-dire de la proportion du montant des travaux que ces entreprises sont autorisées à financer par des emprunts.
A l'époque, tous les représentants de l'Etat s'étaient accordés sur le chiffre de 50% d'endettement pour calculer la durée de rallongement des concessions. "C'est une grosse erreur [de s'appuyer sur ce chiffre]. C'est vrai que ça nous a toujours un peu surpris", pointe Vincent Delahaye, vice-président du Sénat et rapporteur d'une commission d'enquête sur le sujet en 2020. "On ne comprenait pas – et on ne comprend toujours pas – pourquoi ce taux a été retenu".
Selon ce sénateur centriste, ce chiffre d'endettement ne correspondrait à aucune réalité économique car il était "presque de notoriété publique que (...) les sociétés d'autoroutes finançaient leurs investissements par uniquement de la dette". Dans le cadre de la commission d'enquête, il a sollicité Frédéric Fortin, un ancien banquier d'affaires, pour refaire tous les calculs effectués à l'époque. D'après ce dernier, expert en finances d'entreprises, "l'Etat n'aurait dû accorder qu'une année de prolongation de contrats aux sociétés autoroutières au lieu des trois qui ont été accordées en moyenne".
Des validations du Conseil d'Etat et de Bruxelles, justifie Matignon
Pourquoi ce chiffre a-t-il été validé par les experts du ministère des Transports, dont l'ancien directeur de la DIT, qui occupe désormais un poste de dirigeant au sein de Vinci Autoroutes ? A-t-il été utilisé en référence par Alexis Kohler et Elisabeth Borne, qui négociaient au nom de l'Etat ? Et si oui, pour quelles raisons ? Contacté, le service de presse de l'Elysée n'a pas donné suite à nos demandes d'entretien avec Alexis Kohler, qui y occupe aujourd'hui le poste de secrétaire général.
De son côté, le cabinet d'Elisabeth Borne, par le biais de son service de presse, explique que ce protocole d'accord signé en 2015 a donné lieu "à un processus long et soumis à plusieurs validations", dont celle du Conseil d'Etat et de la Commission européenne. Ces deux instances n'ont relevé aucune irrégularité, rappelle Matignon. Le taux d'endettement de 50% figurant dans le rapport de 2013 correspond "à la fourchette de la méthodologie élaborée par l'Autorité de régulation des transports", précise encore le cabinet de la Première ministre, sans réagir pour l'instant sur la procédure déposée par Anticor.
L'Etat a-t-il fait un cadeau aux sociétés d'autoroutes ? Y a-t-il eu favoritisme ? Telles sont les questions soulevées par la plainte contre X déposée par l'association Anticor, et dont la perte d'agrément est sans conséquence sur le lancement de cette procédure. "Le favoritisme, c'est le fait pour une personne chargée d'une mission de service public de procurer à autrui un avantage injustifié en violation des règles d'attribution des marchés publics ou des contrats de concession", rappelle Me Alexandre Luc-Walton.
"En l'état, on peut s'interroger sur le fait que ces contrats ont été négociés à des conditions économiques qui se sont avérées extrêmement favorables aux entreprises concessionnaires", continue l'avocat d'Anticor, qui évoque "une plainte pour attirer l'attention du parquet sur des faits qui peuvent caractériser une infraction". "Il appartient ensuite à la justice d'identifier les éventuelles responsabilités pénales une fois les investigations menées."
Péages, superprofits : nos (trop) chères autoroutes, un document signé Lilya Melkonian, Rola Tarsissi, Benjamin Poulain et Harold Horoks à retrouver ce jeudi dans Complément d'enquête présenté par Tristan Waleckx et dans les colonnes de nos confrères de Marianne.
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