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"Je vais perdre 50% de mon chiffre d'affaires" : le paiement à la course ravive les craintes des livreurs Deliveroo

La société de livraison de repas a annoncé, jeudi 27 juillet, vouloir généraliser la rémunération de ses livreurs à la commande. Quel impact ce nouveau système aura-t-il sur le travail et les revenus des coursiers ? Eléments de réponse. 

Article rédigé par franceinfo - Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des coursiers travaillant pour la société Deliveroo participent à une manifestation à Bordeaux (Gironde), le 15 mars 2017.  (GEORGES GOBET / AFP)

La nouvelle a suscité de vives inquiétudes chez les coursiers partenaires de Deliveroo. Jeudi 27 juillet, la société de livraison de repas à vélo a contacté ses premiers coursiers en France, afin de leur annoncer un changement de taille dans la rémunération et l'organisation de leur travail. Dès le 28 août, ils seront payés cinq euros la course, contre 7,50 euros de l'heure aujourd'hui et deux à quatre euros la commande. Ce changement "concerne 8% des 7 500 livreurs que compte Deliveroo en France", précise l'entreprise. 

Avec cette annonce, Deliveroo fait "converger" les contrats de ses anciens collaborateurs, jusqu'ici payés à l'heure et à la commande, avec ceux de ses coursiers recrutés depuis septembre 2016, déjà rémunérés à la course. "Il n’était plus juste de faire coexister plusieurs modèles de tarification pour une activité similaire", argue Deliveroo. Recul éventuel des revenus, précarité et concurrence accrue dans l'organisation du travail : des voix s'élèvent parmi ces cyclistes pour dénoncer cette décision. Le Collectif des livreurs autonomes de Paris (Clap) a d'ailleurs appelé à la grève, vendredi 11 août, afin de protester. Quel impact ce paiement à la tâche aura-t-il pour les premiers livreurs de Deliveroo en France ? Franceinfo répond à trois questions sur ce changement. 

Qu'est-ce que ça va changer aux revenus des livreurs ?

Plusieurs syndicats et collectifs représentant les livreurs s'accordent pour évaluer le recul de leur rémunération entre 18 et 30%. Les livreurs payés actuellement 7,50 euros/heure et trois euros la commande devront désormais réaliser environ 3,5 commandes par heure pour gagner la même somme qu'aujourd'hui, estime Arthur Hay, secrétaire général (CGT) du syndicat des coursiers à vélo de la Gironde. "Envisageable" mais "très compliqué", explique cet ancien collaborateur de Deliveroo, aujourd'hui livreur pour une société concurrente. "Il faudra alors travailler uniquement en heure de pointe, les midis et soirs." Pour ceux payés 4 euros la commande en plus du taux horaire, conserver le même chiffre d'affaires lui semble irréalisable, "même pour les plus rapides".

"Je vais perdre 50% de mon chiffre d'affaires", s'inquiète Soltan Marghaie, 29 ans, membre du collectif des coursiers bordelais, dont ces livraisons de repas sont l'unique source de revenus. Il envisage même de laisser tomber Deliveroo, pour qui il travaille depuis novembre 2015. En continuant à un rythme moyen de 2,5 livraisons par heure, Soltan Marghaie craint en effet de gagner un revenu horaire inférieur à dix euros. "Ces sociétés veulent un nivellement par le bas", déplore-t-il.

Interrogé par franceinfo, Hugues Decosse, directeur général de Deliveroo France, comprend "qu'il y ait des inquiétudes". Le patron reconnaît qu'un contrat rémunéré à la course "est plus intéressant aux horaires où il y a le plus de commandes", mais explique travailler à l'augmentation du nombre de commandes par heure pour les coursiers. "Pour être sûr que les 'bikers' [livreurs] reviennent chez nous", dit-il. Dans un communiqué, la société assure que "les avancées technologiques" visant à réduire les temps de livraison ont entraîné une hausse "de 20% en moyenne" du chiffres d'affaires des coursiers partenaires. 

Les livreurs vont-ils devoir bouleverser leur emploi du temps?

Actuellement, les coursiers Deliveroo obtiennent leurs créneaux de travail via un planning en ligne. Les premiers connectés ont plus de chances d'obtenir les créneaux les plus lucratifs – ceux des heures de pointe, les midis et soirs. Mais jusqu'ici, les livreurs planifiés le matin ou l'après-midi étaient payés pour les heures travaillées, quel que soit le nombre de commandes effectuées. Avec la décision du 27 juillet, ce dispositif prend fin et les livreurs n'auront plus aucune garantie de rémunération en-dehors des courses réalisées.

"C'est le maraudage, ils vont traîner en ville en attendant une commande", regrette Arthur Hay. "Avant, on était payés pendant les heures d'attente. Ils ne le seront plus." Avec ce changement, Soltan Marghaie sait qu'il ne pourra plus travailler 15 à 20 heures par semaine, comme il le fait actuellement. "Je vais devoir faire moins d'heures, travailler uniquement les soirs et week-ends", s'inquiète-t-il.

Hugues Decosse est conscient que la situation ne sera pas avantageuse pour les livreurs travaillant sur des horaires plus creux. Mais "c'est une question d'harmonie", défend-il : "90% de nos livreurs sont déjà à la course. Il y a des gens qui ont fait le choix de cette rémunération."

Le planning des coursiers va-t-il disparaître ?

L'inquiétude est néanmoins partagée par plusieurs représentants des livreurs. "Quand tout le monde sera payé à la course, l'étape suivante, pour Deliveroo, sera de passer au mode 'free'", s'inquiète Jérôme Pimot, de l'Union des livreurs à vélo engagés (U'Live), interrogé par Le Monde. Le "mode free" signifie que les coursiers travailleraient sans planning : ils se connecteraient à l'application quand ils souhaitent travailler – mais sans garantie d'avoir du travail à ce moment précis. 

Arthur Hay craint un système où, à terme, "vous travaillez trois heures et gagnez dix euros". Comme le représentant syndical, Soltan Marghaie témoigne déjà d'une dégradation du planning, avec de moins en moins d'heures de travail disponibles du fait d'un recrutement massif de livreurs. "On se retrouve avec dix fois plus de coursiers sur les plannings", dénonce le livreur bordelais, qui a vu ses heures de travail baisser de moitié. "Le recrutement n'arrête jamais." En mode "free", la concurrence serait encore plus rude.

Cependant, un tel dispositif n'est "pas à l'ordre du jour", selon Deliveroo France. Mais si Hugues Decosse reconnaît que l'embauche de coursiers est en plein boom, "le nombre de commandes croît plus vite que le nombre de livreurs, tempère-t-il. "C'est une grande préoccupation pour nous d'être limité, de ne pas rajouter plus de 'bikers' qu'il n'y a de commandes", assure le dirigeant. 

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