: Document franceinfo Trois ans après l’attentat, "c’est flippant de travailler à 'Charlie Hebdo'", raconte Fabrice Nicolino
La France et la rédaction de "Charlie Hebdo" s’apprêtent à célébrer un triste anniversaire. Dimanche, cela fera trois ans depuis la tuerie des frères Kouachi. Si les témoignages au sein de l’équipe sont rares, Fabrice Nicolino, lourdement blessé le 7 janvier, s'est confié à franceinfo.
Il y a trois ans, la rédaction de Charlie Hebdo était décimée dans une attaque terroriste. Au total, douze personnes sont mortes dans les attentats de janvier 2015, et onze autres blessées. Quelques jours plus tard, 4 millions de personnes défilaient en France proclamant dans la rue "Je suis Charlie". Depuis cette tragédie, ils sont rares au sein de l’équipe de l’hebdomadaire satirique à se confier. Fabrice Nicolino, lourdement blessé lors de l’attaque des frères Kouachi le 7 janvier 2015, a accepté de raconter cette vie après l’attaque.
Porte blindée, policiers et panic room
D’habitude, Fabrice Nicolino est chargé des questions d’écologie mais dans le dernier numéro anniversaire, il a décidé de raconter la vie à Charlie Hebdo, une rédaction qui vit en quelque sorte dans un bunker, à l’image de la dernière une choisie par l’hebdomadaire satirique.
La Une de #CharlieHebdo
— Christophe Grébert (@grebert) January 2, 2018
3 ans déjà#JesuisCharlie pic.twitter.com/NmK4l5bk4T
"Tout a changé très brutalement après le 7 janvier", raconte le journaliste, atteint par trois balles lors de l’attaque, et aujourd’hui "diminué". "Je suis là donc je ne vais pas en plus me plaindre", estime-t-il.
"Je ne suis pas adepte de la langue de bois mais il faut le dire : c’est flippant de travailler à Charlie", confie Fabrice Nicolino. Depuis cette tuerie, les menaces continuent. "Certaines sont totalement délirantes" et feraient "presque rire" l’équipe du journal, "mais d’autres nous font penser qu’il y a derrière des gens très sérieux et qui sont capables de passer aux actes". L’hebdomadaire vit donc avec des mesures de sécurité drastiques : "il y a des portes à franchir", "des voitures lourdement blindées", et une "omniprésence de flics" pour assurer la sécurité d’un certain nombre de membres du journal. Une "panic room" a aussi été installée, "un endroit ultra-sécurisé où on est censé se précipiter en cas d’alerte", explique le journaliste.
Cette ambiance est "fatalement anxiogène", selon Fabrice Nicolino, "c’est un état de siège en plein Paris".
Faire ce journal rigolo, déconnant, gênant, dérangeant, pénible, mais tout de même un journal libre dans une société ouverte est pratiquement devenu un acte d’héroïsme.
Fabrice Nicolinoà franceinfo
Mais fidèle à l’esprit Charlie Hebdo, le journaliste l’assure : "On se marre tout le temps. Si j’ai pu vous faire croire que l’ambiance est sinistre, je me suis totalement trompé. L’ambiance n’est pas sinistre, il y a un arrière-plan qui est totalement sinistre".
Un souvenir présent tous les matins
Trois ans après l’attaque du journal, Fabrice Nicolino dit penser à ce jour tous les matins en se levant. "Le 7 janvier a figé quelque chose en moi. C’est facile à comprendre. Ça a totalement arrêté des souvenirs, des visages, des gestes, des paroles, témoigne le journaliste. Mes disparus sont là. Ça ne passera pas."
Il se souvient parfaitement de cette matinée où tous étaient serrés dans "un tout petit espace". Lui se trouvait à côté de Bernard Maris, tué lors de l’attaque. "C’est absolument vrai que c’était délicieux d’être à côté de lui. On se donnait des bourrades, des coups de coude. Il se marrait, c’était un homme qui se marrait énormément Bernard". Ironie du sort, Fabrice Nicolino et les autres discutaient avant l’arrivée des frères Kouachi, du retour des jeunes jihadistes. "Nous n'étions absolument pas d’accord, ça gueulait dans tous les sens."
J’emmènerai dans la tombe le souvenir parfait, totalement vivant, de ces gens qui ont été tués instantanément sous mes yeux. Ce sont des souvenirs très présents, un peu trop présents parfois.
Fabrice Nicolinoà franceinfo
La sécurité du journal, gouffre financier pour Charlie Hebdo
Après les attentats de janvier 2015, les bénéfices se sont chiffrés en millions pour le journal. L’argent est désormais investi en grande partie dans la sécurisation des locaux. "La police nationale ne protège pas les locaux, ils ont la charge exclusive de protéger des individus", précise Fabrice Nicolino. Au total, selon Riss, le directeur de la rédaction de Charlie Hebdo, la protection privée des locaux coûte 1,5 million d’euros par an.
Le journaliste estime que "cet argent, c’est l’argent des morts". Selon lui, s’il doit servir au journal, actuellement "dans une situation compliquée", il serait "malsain" de continuer à se dire "on va encore taper dans la caisse une année". "Cet argent est en train de fondre parce qu’il faut sécuriser les locaux", rappelle-t-il.
On est tous convaincus qu’il faut que le journal vive de lui-même, par lui-même, par la qualité de ce qu’il fait.
Fabrice Nicolinoà franceinfo
Fabrice Nicolino tient également à apporter des précisions sur la gestion de l’argent issu des ventes après l’attentat. "On a beaucoup glosé sur le fait que des actionnaires du journal allaient se remplir les poches avec les ventes démentielles de l’après 7 janvier. Il n’en est rien, assure le journaliste. L’argent est sécurisé au plan juridique de manière à servir les intérêts du journal et seulement les intérêts du journal."
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