La Commission nationale de contrôle des interceptions a indiqué que les écoutes du Monde ne sont pas valables
"Ce type de requête n'entre pas dans le champ de ce que la CNCIS autorise", a déclaré mardi Rémi Récio, magistrat délégué auprès de la Commission.
Cette affaire, révélée par "Le Monde" de lundi, a enflammé la séance des questions au gouvernement mardi à l'Assemblée.
Devant les députés, le porte-parole du gouvernement Luc Chatel a jugé "inadmissible" qu'un membre du cabinet de Michèle Alliot-Marie ait "divulgué des informations" relatives à l'affaire Woerth/Bettencourt, en réponse aux accusations d'espionnage lancées par Le Monde contre l'exécutif. Répondant à une question de la députée PS Aurélie Filippetti, Luc Chatel a assuré: "jamais, je dis bien jamais, le gouvernement n'a entravé la liberté de la presse, jamais le gouvernement n'a porté atteinte à la protection des sources des journalistes". "Il est normal et il est naturel que les journalistes enquêtent et travaillent avec des informateurs", a poursuivi le porte-parole du gouvernement, qui a de fait reconnu l'intervention dans ce dossier.
Selon "Le Monde", la présidence de la République a utilisé les services du contre-espionnage "afin d'identifier la source d'informations parues dans Le Monde sur l'affaire Woerth-Bettencourt". "Le Monde" annonce à la Une de son site son intention de porter "plainte contre X pour violation du secret des sources".
L'Elysée dément "totalement" et assure n'avoir "jamais donné la moindre instruction" pour enquêter sur l'origine des informations du journal.
Lundi soir, des sources proches du dossier avaient expliqué que les vérifications techniques opérées par la police étaient fondées sur l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 qui autorise la recherche de données de connexion", telles que les fadettes (factures détaillées) ou la géolocalisation. Elles ont été menées à bien après consultation d'une "personnalité qualifiée" désignée par le président de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité pour "en vérifier le bien fondé et le respect des obligations légales", ont ajouté ces sources. Le magistrat Rémi Récio, cité par l'AFP dément donc la légalité de ces affirmations.
David Sénat, l'ancien conseiller du cabinet de Michèle Alliot-Marie qui se retrouve au centre de l'affaire des fuites à la presse dans l'enquête Bettencourt, "aurait été suspendu de ses fonctions" s'il ne les avait pas déjà quittées, a indiqué mardi la Chancellerie. Ce conseiller, considéré comme la source du "Monde" dans cette affaire, a été chargé depuis le 1er septembre de la "mission de préfiguration de la cour d'appel de Cayenne". M. Sénat, magistrat de 45 ans, est un fidèle de Michèle Alliot-Marie, qu'il a suivie de son passage au ministère de la Défense, en 2003, à la Justice en passant par l'Intérieur.
"Le Premier ministre a déploré les fuites répétées de l'intérieur de l'administration, sans doute du cabinet même du Garde des sceaux, qui contreviennent à la légalité", a déclaré une source parlementaire après la réunion hebdomadaire du groupe UMP.
Le contre-espionnage mis à contribution, selon Le Monde
Des fuites dans la presse avaient eu lieu en juillet et en août à la suite des gardes à vue de Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, et de François-Marie Banier.
"Afin d'identifier la source d'informations parues dans Le Monde sur l'affaire Woerth-Bettencourt et de tenter de mettre un terme aux révélations sur cette enquête, l'Elysée a eu recours, courant juillet, à des procédés qui enfreignent directement la loi sur la protection du secret des sources des journalistes", écrit Sylvie Kauffmann
"Les services de la DCRI, c'est-à-dire du contre-espionnage français, ont été mis à contribution hors procédure judiciaire, une quinzaine de jours avant qu'une enquête préliminaire ne soit ordonnée par le parquet de Paris, le 4 août. Ils ont d'abord cherché à cerner le profil de la source potentielle", dit-elle encore. Ces méthodes enfreignent clairement la loi sur la protection des sources, selon Le Monde.
Le directeur du Monde, Eric Fottorino, a déclaré lundi : "Nous avons des certitudes et des éléments de preuves" de cette enquête "tout à fait illégale, tout à fait anormale. Ce n'est pas une enquête judiciaire, ni administrative".
"Pour publier un titre aussi fort, il fallait qu'on ait des éléments tangibles, recoupés, c'est ce que nous avons fait tous ces derniers jours, toutes ces dernières semaines", a-t-il dit sur les ondes d'Europe 1. "Affaires Woerth: l'Elysée a violé la loi sur le secret des sources des journalistes", titrait Le Monde lundi.
Réactions politiques
Pour la députée socialiste, Aurélie Filipetti, il s'agit ni plus ni moins d'un "Woerthgate". Lors du débat sur la loi du 5 janvier 2010 sur la protection des sources des journalistes, "j'avais dénoncé un leurre et un dangereux risque de dérive. Force est de constater qu'en voici la preuve, avec un nouveau scandale digne du Watergate, que l'on pourrait surnommer le woerthgate", lance-t-elle.
"Déjà la divulgation de PV tronqués d'auditions de témoins, en temps réel, à certains journaux amis avaient révélé combien l'Elysée était prêt à tout pour orchestrer la communication sur l'affaire. Désormais, on connaît la sanction et l'étendue des moyens employés lorsqu'on veut contrer la version officielle que veut faire accepter le pouvoir", dénonce-t-elle.
Noël Mamère (Verts) a estimé lundi qu'on était "à la veille d'une nouvelle affaire d'Etat". "Si Le Monde va aussi loin c'est qu'il a des éléments pour y aller, ce n'est pas un journal révolutionnaire ni anti-sarkozyste", a déclaré le député-maire de Bègles (Gironde), interrogé par l'AFP.
Le député PS Patrick Bloche a jugé que la violation du secret des sources des journalistes était une "atteinte grave dans un Etat de droit". "Si elles étaient confirmées, les écoutes en question tomberaient sous le coup de la loi et constitueraient un dangereux détournement des moyens de l'Etat au service d'un clan", a affirmé le secrétaire national du PS chargé des médias.
"La police ne peut être utilisée contre la liberté d'informer", a estimé lundi Reporters sans Frontières. "Nous sommes inquiets. Si l'Elysée a réellement donné des consignes visant à violer la loi sur le secret des sources journalistiques dans l'affaire Woerth-Bettencourt, il s'agirait d'une atteinte à la liberté de la presse aussi grave que la mise sur écoute téléphonique de journalistes", écrit l'association.
"On n'a pas l'habitude de commenter une action de justice en cours", a déclaré pour sa part le porte-parole de l'UMP Frédéric Lefebvre.
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