La presse chinoise a fustigé mercredi "l'erreur" de Google qui a fermé son site chinois pour ne plus subir la censure
Google a annoncé lundi qu'il stoppait la censure sur son moteur Google.cn qui redirige désormais les internautes chinois vers le moteur de Hong Kong, Google.com.hk.
Or, Hong Kong bénéficie théoriquement d'une politique beaucoup plus libérale (au sens libertés du terme) que le reste du pays.
Google contourne ainsi les exigences d'autocensure de Pékin, sans que les quelque 400 millions d'internautes chinois aient un plus grand accès à la toile libre mondiale. Motif: la censure chinoise a pris le relais pour bloquer les sites prohibés.
Pour les observateurs, la Chine et les Etats-Unis ne sont pas prêts à se disputer au sujet de la firme californienne. Le yuan, les ventes d'armes américaines à Taïwan et la récente rencontre aux Etats-Unis entre le président Barack Obama et le dalaï lama, que Pékin accuse de chercher l'indépendance du Tibet, sont plus importants que le dossier Google, estiment-ils. Pékin considère d'ailleurs que ces deux dernières questions touchent à sa souveraineté même.
Revue de presse
"En transférant ses services de recherche du continent à Hong Kong hier, le plus grand moteur de recherches de la planète a commis un énorme faux-pas stratégique sur le prometteur marché chinois", estime dans un éditorial le Global Times (groupe Quotidien du peuple, organe du parti communiste). Le journal appelle "les entreprises étrangères à s'adapter à la société chinoise en transition" invoquant le diction "à Rome fait comme les Romains". "Une situation gagnant-gagnant est de l'intérêt de la Chine comme des entreprises étrangères. L'approche de Google ne marche pas", ajoute-t-il.
"Google s'expose à un revers", approuve l'éditorialiste du China Daily qui lui reproche principalement d'avoir "exploité à des fins politiques" son différend avec les autorités chinoises depuis qu'il a "accusé à tort le gouvernement chinois de soutenir des cyberattaques contre son moteur de recherches".
Même si de nombreux journaux en chinois ne commentaient pas mercredi l'affaire Google, Le Quotidien du Peuple accuse la firme américaine de collusion avec les services de renseignement américains. "Pour le peuple chinois, Google n'est pas bon (...) En fait, Google n'est pas tout blanc en matière d'éthique. Sa collaboration et sa collusion avec les services de renseignement et de sécurité américains sont bien connues", peut-on lire à la une de la version internationale.
Après une première réaction virulente, dénonçant "les promesses rompues" de Google, le gouvernement chinois a tenu à souligner mardi qu'il s'agissait là d'un simple "dossier commercial", pas de nature à entacher les relations sino-américaines. "Sauf si certains veulent le politiser", a averti un porte-parole du ministère des Affaires étrangères.
Google entend rester en République populaire
La société américaine a annoncé lundi qu'elle entendait cependant poursuivre son travail de recherche-développement en Chine et garder des opérations commerciales dans le pays, "bien qu'évidemment la taille de l'équipe de ventes dépende partiellement de la capacité des internautes de Chine continentale à accéder à Google.com.hk".
Néanmoins, une fois sur le site hongkongais de Google, une recherche par mots clefs tabous pour Pékin, se solde par l'annonce qu'"Internet explorer ne peut pas afficher cette page". Même quand une liste de sites s'affiche, il est impossible d'ouvrir les liens. Cela est vrai pour les sites sensibles, comme ceux ayant trait au mouvement démocratique de 1989, réprimé dans le sang, ou au mouvement spirituel Falungong interdit (hors sites donnant le point de vue officiel), le site de partage de vidéos Youtube ou la plateforme de microblogging Twitter notamment.
Ce blocage semble indiquer que le système pare-feu érigé par les autorités chinoises est en mesure de filtrer toutes les recherches faites en Chine. En dépit du reroutage sur Hong Kong, qui aboutit à une fermeture de facto de son site chinois, Google a affiché sa volonté de rester en Chine pour y "continuer le travail de recherche et développement et maintenir une présence commerciale".
Les Chinois au mieux indifférents, au pire hostiles
Ces derniers jours, la perspective de voir Google fermer son portail internet en Chine semblait laisser les Chinois indifférents, voire en satisfaire certains.
"Dehors !" ordonnait un utilisateur du site web du tabloïd nationaliste Global Times. "Je vais acheter des pétards pour célébrer l'événement", écrivait un autre.
Selon des sondages en ligne cités dans un éditorial du Global Times, 80% des personnes interrogées disaient ne pas se soucier d'un éventuel retrait de Chine de la part de Google.
La Chine est le premier marché mondial de l'internet avec environ 385 millions d'utilisateurs.
Jouer sur le nationalisme pour masquer la censure
Pour le Global Times, cette histoire doit faire prendre conscience au pays qu'il doit développer sa propre technologie et ne pas se reposer sur d'autres pays. "C'est une compétition dans le domaine de la haute technologie et également une compétition pour défendre la souveraineté de l'Etat", écrit l'éditorialiste.
Certains bloggeurs vont plus loin et accusent Google d'être de connivence avec les services de renseignements américains.
Selon Joseph Cheng, professeur de sciences politiques à l'université de Hong Kong, le Parti communiste au pouvoir en Chine joue sur la fibre nationaliste pour étouffer le débat sur la censure. "La critique des exportations culturelles, ou impérialisme culturel, est une sorte de défense pour justifier les contrôles de censure des autorités chinoises", estime-t-il.
Les premiers bénéficiaires d'un départ de Google seront les sociétés chinoises de l'internet, estime Cao Junbo, analyste chez iResearch, une société de Pékin spécialisée dans les questions de technologie. Il cite le moteur de recherche local Baidu, qui gère la plus importante plate-forme chinoise de messagerie instantanée.
Graphique interactif sur les principaux moteurs de recherche dans le monde et sur la crise provoquée par Google en Chine.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.