"L’Express" dirigé par un agent du KGB : "Ses contacts au plus haut niveau de l'État intéressaient les renseignements soviétiques", explique le journaliste Etienne Girard

L'hebdomadaire "L'Express" révèle que son ancien directeur Philippe Grumbach était aussi un agent du KGB de 1946 à 1981.
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Etienne Girard, rédacteur en chef au magazine "L’Express", le 15 février 2024  sur franceinfo. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Une grande figure du journalisme français du XXe siècle était en fait "l'un des plus grands espions de la Ve République", écrit L'Express. Pendant 35 ans, l'ancien directeur de l'hebdomadaire était un agent du KGB, les services chargés du renseignement et du contre-espionnage de l'URSS. Philippe Grumbach, mort en 2003, a travaillé pour les renseignements soviétiques de 1946 à 1981.

Les journalistes de L'Express s'appuient sur les informations d'un autre agent du KGB, Vassili Mitrokhine, qui a fait défection au profit du Royaume-Uni et dont les archives sont entreposées à l'université de Cambridge. "Le nom de Philippe Grumback figure dans ces archives, détaille Etienne Girard, rédacteur en chef à "L’Express" qui a réalisé l'enquête. Il y a son nom de code 'Brock', son année de recrutement en 1946 et la période pendant laquelle il a été agent du KGB donc 35 ans."

La campagne présidentielle de 1974 influencée 

Philippe Grumbach a mené des missions de renseignement et d'informations grâce à sa position au plus haut sommet de l'État. "On apprend encore qu'il était considéré comme proche de Giscard d'Estaing, comme proche de François Mitterand et proche Pierre Mendès France. Ce sont bien ses contacts au plus haut niveau de l'État qui intéressaient les renseignements soviétiques", explique Etienne Girard, rédacteur en chef à L’Express.

Un exemple en particulier : cette volonté d'influencer la campagne présidentielle de 1974 en transmettant de faux documents à certains candidats pour empêcher l'union de courants de droite au second tour. "Il reçoit la mission du KGB de faire perdre la droite au profit de François Mitterrand, allié à ce moment-là des communistes, raconte Etienne Girard. Il va faire parvenir un faux document à Jacques Chaban-Delmas, qui est le candidat du parti gaulliste, où sont inscrites de fausses consignes passées par la CIA à Valéry Giscard d'Estaing. L'idée, c'est de faire passer Valéry Giscard d'Estaing pour le candidat des États-Unis."

Le paradoxe absolu de cette histoire pour Etienne Girard est que "Philippe Grumbach passera quelques années plus tard pour un proche de Valéry Giscard d'Estaing, au point d'être qualifié par le Canard enchaîné de conseiller parmi les plus écoutés de Valéry Giscard d'Estaing". Mais selon l'enquête d'Etienne Girard, Philippe Grumbach n'a jamais tenté d'influencer les pages de L'Express : "Il n'y a rien dans les archives du KGB à ce niveau-là. J'en ai parlé avec des dirigeants du contre-espionnage français. Pour eux, sa couverture d'agent était solide parce qu'il n'utilisait justement pas L'Express à des fins de désinformation."

Des motivations idéologiques et financières ?

Contactée par L'Express, son épouse Nicole Grumbach a confirmé la collaboration de son mari avec le KGB, un aveu qu'il lui a fait peu avant sa mort. Mais pourquoi Philippe Grumbach a-t-il collaboré avec les renseignements soviétiques ? "Dans les archives du KGB, il est inscrit qu'il a été recruté par idéologie, explique Etienne Girard. Il était proche du Parti communiste à cette époque. La veuve de Philippe Grumbach m'a fait parvenir un message, dans lequel elle explique qu'il a accepté de travailler avec le KGB au départ parce qu'il avait été révolté par le racisme de l'armée américaine dans laquelle il avait effectué son service militaire."

Autre élément dans les archives du KGB : une motivation financière. "Sur trois relevés disponibles on découvre notamment que dans les années 1970, Philippe Grumbach touche 400 000 francs, c'est l'équivalent de 250 000 euros d'aujourd'hui, explique Etienne Girard. Il semblerait que c'est cette motivation financière qui est motivée, qu'il continue à émarger pendant tant d'années. Sa veuve explique encore qu'il se sentait menacé, qu'il aurait voulu arrêter, mais qu'il n'a pas osé parce qu'il avait peur, y compris pour sa famille." 

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