Crise du logement : comment le pavillon, une "passion française", va devoir se réinventer pour ne pas disparaître
Une rangée de maisons, chacune au milieu d'un jardin, une route qui se termine en cul-de-sac, le tout dans la périphérie d'une ville, en bordure de champs. C'est, en une phrase, la façon dont on pourrait décrire le modèle pavillonnaire à la française, mis en place dans les années 1970. Accusé de rendre la France "moche" par le magazine Télérama en 2010, de grignoter les terres agricoles, de favoriser l'endettement des ménages et d'être incompatible avec la transition écologique, ce modèle est de plus en plus remis en cause.
"Il faut en finir avec la maison individuelle", avait même lancé Emmanuelle Wargon, alors ministre du Logement, en 2021, rappelle Le Figaro. Des propos qui avaient fait polémique, alors que la maison individuelle est encore vue comme un idéal par une large majorité des Français. Mais la future loi zéro artificialisation nette, qui empêchera théoriquement la création de lotissements sur des terres agricoles ou naturelles, risque de venir doucher ces aspirations. Et de signer la fin du pavillon, cette "passion française" selon l'expression des sociologues Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé.
Une inspiration américaine
Rembobinons. Nous sommes au milieu des années 1970. Les autorités, après avoir fortement développé l'habitat collectif au sortir de la Seconde Guerre mondiale, décident de changer de braquet. "Ce que l'on appelle le modèle pavillonnaire est une construction politique et économique, mis notamment en place après l'élection de Valéry Giscard d'Estaing en 1977, et qui promet un logement à tous grâce à l'accession à la propriété", détaille Lionel Rougé, maître de conférences à l'université de Toulouse 2 et spécialiste du sujet.
Très vite, les lotissements fleurissent un peu partout en France, presque toujours en périphérie des villes. Eloignés des lieux de travail, des centres-villes ou des écoles, ces lotissements s'y font dortoirs et la voiture y est reine. La France "a choisi de s'inspirer du modèle américain", souligne Lucile Mettetal, géographe et chargée d'études et de projets à l'institut Paris Région. Les maisons y sont construites "au milieu d'un jardin", à l'inverse de ce qui se fait dans d'autres pays comme le Royaume-Uni ou l'Allemagne, où les maisons sont fréquemment mitoyennes. A la clé, la promesse d'un environnement sécurisant, où l'on peut s'épanouir en bricolant ou jardinant, à l'abri des regards des voisins.
Ce modèle, poussé par les politiques locales d'aménagement du territoire, mais aussi par des dispositifs nationaux comme le prêt à taux zéro depuis les années 1990, permet aux classes moyennes et populaires d'accéder à la propriété. Près de 62% des ménages français étaient ainsi propriétaires de leur résidence principale en 2020, contre 44% en Allemagne, d'après l'OCDE. Et parmi ces logements, la maison est reine : selon les derniers chiffres du ministère de la Transition écologique, 79% des ménages propriétaires habitent dans une maison.
"Un monde urbain qui grignote la campagne"
Malgré son succès, le pavillon est la cible de critiques régulières, d'abord pour l'imaginaire qu'il charrie, comme Télérama dézinguant "la France moche". La cible à abattre ? Ces longues rues bordées de maisons similaires, situées à l'entrée d'une commune et proches d'une zone commerciale. "Les zones pavillonnaires sont le symbole d'un monde urbain qui grignote la campagne", résume Hervé Marchal, professeur de sociologie à l'université de Bourgogne. Une contradiction forte pour un type d'habitat censé rapprocher ses habitants de la nature.
Au-delà de l'aspect esthétique, le modèle pavillonnaire est surtout critiqué pour son impact sur l'environnement. "Ce développement par zones – pavillonnaires, d'activités et commerciales – séparées est problématique", explique Christine Leconte, présidente de l'Ordre des architectes. C'est "un urbanisme totalement tourné vers la voiture" qui, en plus de forcer les habitants à faire des kilomètres pour se rendre au travail, a "fait perdre aux enfants énormément d'autonomie", ajoute-t-elle.
"Pavillonnaire désenchanté"
Malgré ces critiques, l'attrait de la maison individuelle reste important. "Le désir de maison n'a pas faibli, il a même été réactivé par les confinements et l'étendue du télétravail", souligne Lucile Mettetal. Ainsi, 84% des personnes interrogées préféreraient vivre dans ce type de logement, selon un sondage Ifop de la Fédération française des constructeurs de maisons individuelles réalisé en mars et rapporté par Le Journal de l'Agence.
Si tous les Français, ou presque, ont le même rêve, ils n'habitent pas tous de la même façon. "Toutes les maisons ne se valent pas, souligne Lionel Rougé. On voit les classes supérieures investir les zones pavillonnaires, souvent construites dans les années 1970, qui sont désormais bien insérées dans le milieu urbain." Ce "pavillon enchanté", comme l'appelle Hervé Marchal, a tout pour lui : il est connecté à la ville, aux transports en commun et aux services.
A l'inverse, les classes populaires peinent de plus en plus à trouver des maisons à prix abordable. "Ceux qui allaient dans le périurbain sont dorénavant forcés d'aller encore plus loin", résume Lionel Rougé, qui s'alarme de voir des ménages "s'installer à 70 km de Toulouse pour accéder à une maison". "Ce pavillonnaire désenchanté va fréquemment de pair avec un ressentiment de ses habitants", résume le chercheur.
"Loin de tout, ils ont le sentiment d'être oubliés. Les façades en crépi, l'état des fenêtres sont autant de choses qui rappellent aux gens qu'ils sont moins bien lotis."
Hervé Marchal, professeur de sociologie à l'université de Bourgogneà franceinfo
Ce sentiment d'exclusion, "l'un des moteurs derrière la colère des 'gilets jaunes'", rappelle Christine Leconte, pourrait encore s'exacerber avec l'augmentation des prix de l'énergie liée à la guerre en Ukraine. D'autant que les constructions neuves ont fortement ralenti en 2022, rapporte Le Monde. En cause, la poussée des coûts de construction, de 8,8% sur un an selon l'Insee, ainsi que la hausse des taux d'intérêts qui freine l'accession aux prêts immobiliers.
A ces difficultés conjoncturelles s'ajoute une problématique de long terme : celle de la transition écologique. Le pavillon et sa voiture quasi obligatoire semblent peu compatibles avec la lutte contre le réchauffement climatique. Et l'objectif de zéro artificialisation nette d'ici à 2050, inclus dans la loi Climat, risque bien de remettre en cause tout le modèle de développement urbain français. Le gouvernement veut d'ailleurs faire adopter un nouveau texte, pour préserver la biodiversité et empêcher l'étalement urbain en incitant la construction sur des friches ou des espaces vacants dans les villages. La future loi, pour l'instant votée par le Sénat, inquiète les maires de petites villes, qui craignent de ne plus attirer de ménages. Logique, souligne Hervé Marchal, "car pendant longtemps, la figure d'un bon maire a été celle de l'élu qui attirait sans cesse de nouveaux habitants".
Densifier, oui, mais comment ?
De quoi signer la fin du pavillon ? "Non", répond Lionel Rougé, pour qui l'on assiste "à un renouvellement du modèle pavillonnaire" plutôt qu'à sa mort. Pour se réinventer, les zones pavillonnaires vont donc devoir évoluer. "L'une des clés est la densification des zones périurbaines, souligne Christine Leconte. Il va falloir se préoccuper de l'intégration de ces zones dans le tissu urbain, rapprocher les gens des services publics et sortir du tout-voiture." Une "clé de la transition écologique" qui demande de diversifier l'usage des zones pavillonnaires, pour en faire des lieux de vie.
Reste à savoir comment densifier. Lucile Mettetal distingue "la densification dure", qui remplace des zones pavillonnaires par des barres d'immeubles, à l'œuvre notamment en petite et moyenne couronne en Ile-de-France, comme le raconte Le Monde, de "la densification douce" : "Il s'agit d'une division des parcelles ou d'un remplissage des dents creuses." Par exemple, un couple qui vend une partie de son jardin pour rénover sa maison achetée dans les années 1970.
Réenchanter la zone pavillonnaire ne se fera en tout cas pas sans ses habitants. "Nous n'avons pas d'autre solution que de travailler avec les personnes qui y habitent", met en garde Christine Leconte. "Il ne faut pas diaboliser les zones pavillonnaires, mais plutôt y mettre de la pensée urbaine, ajoute Lionel Rougé. Il faut réfléchir à une manière de les agencer et de les urbaniser qui soit démocratique. Les gens souhaitent de la ville à la campagne, il faut les laisser l'inventer."
Des aspirations qui évoluent
La France pourrait s'inspirer de certains de ses voisins européens, alors que "notre pays est le champion du mitage [l'implantation d'édifices dispersés dans un paysage naturel]", s'exclame Hervé Marchal. Le chercheur suggère de regarder vers "le Royaume-Uni, où le pavillonnaire mitoyen est plus développé et intégré dans les villes". Lucile Mettetal invite le législateur à se poser la question du partage de l'habitat : "On pourrait regarder en Allemagne, où les générations cohabitent plus fréquemment."
Si la France n'en est pas encore à révolutionner son habitat, certaines envies semblent être en train d'évoluer, selon les observateurs et professionnels du secteur. Les jeunes ménages n'ont plus tout à fait les mêmes aspirations que leurs parents. "La place du jardin est toujours importante, mais il n'a pas besoin d'être très grand. Surtout, l'envie d'avoir une maison avec quatre faces est moins forte aujourd'hui et les ménages ne veulent pas être trop loin du centre-ville", souligne Lionel Rougé.
Est-ce un signe que le discours écologique est en train d'infuser ? "La réduction de la taille des maisons et des jardins est notamment liée à une question d'économies et de confort, mais quelque part, ça pénètre", pense Christine Leconte. Au législateur d'arriver à convaincre les Français de changer leurs aspirations, et de répondre aux contradictions qui poussent les ménages à "vouloir habiter à proximité de la nature, tout en étant intégrés au tissu urbain", résume Hervé Marchal.
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