: Témoignages Pouvoir d'achat : on a demandé à des patrons de PME s'ils comptaient augmenter les salaires pour compenser l'inflation
Cinq chefs de petites et moyennes entreprises ont expliqué à franceinfo leur choix d'augmenter ou non les rémunérations de leurs salariés. Une décision qui varie en fonction du secteur d'activité, mais aussi de la situation géographique et financière d'entreprises qui pâtissent elles aussi de la hausse des prix.
"D'habitude, 5% de mes employés demandent une augmentation annuelle. Là, ils l'ont tous fait." Comme en témoigne cette phrase, lâchée par un gérant de boulangeries en Anjou, la hausse des salaires est au cœur des préoccupations des Français et des Françaises ces derniers mois. Quoi de plus normal, avec une inflation qui atteint 2,9% sur un an en janvier et qui devrait s'établir "entre 3 et 3,5%" dans les prochains mois, selon les prévisions de l'Insee. L'augmentation des prix va-t-elle être compensée par une hausse des salaires ? Les salariés risquent d'être déçus, si l'on en croit une étude réalisée par le cabinet Deloitte, selon laquelle les rémunérations augmenteront de 2,2% en 2022, soit moins que l'inflation.
Un sondage réalisé par la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) auprès de ses adhérents montrait cependant que seul un tiers des patrons de TPE et PME comptaient revaloriser les rémunérations dans l'année. Or ceux-ci représentent la majorité des entreprises en France. Pour comprendre ce qui motive ces dirigeants dans leur décision, franceinfo a interrogé cinq patrons de PME. De Narbonne (Aude) à Bailleul-sur-Thérain (Oise), tous ont accepté de nous expliquer leurs choix, qui découlent de la situation économique de leurs entreprises dans leurs secteurs d'activité respectifs.
Christophe Mallick, 170 salariés dans l'Oise : une hausse limitée par le coût des matières premières
Une augmentation oui, mais qui ne correspondra probablement pas au montant de l'inflation. Christophe Mallick, dirigeant de Voestalpine et Profilafroid, deux entreprises situées à Bailleul-sur-Thérain (Oise) qui transforment de l'acier pour des produits à destination notamment du secteur automobile, ne souhaite pas trop s'avancer sur le sujet, alors que les négociations salariales auront "lieu en avril prochain". "Cela dit, nous ne pourrons probablement pas suivre l'inflation comme d'habitude", reconnaît le dirigeant de 55 ans. La faute, selon lui, à "la crise liée au Covid-19 qui nous a demandé de nous adapter", mais surtout à "la hausse brutale du prix des matières premières", qui rogne sur les marges de ses entreprises.
"Il faudrait rendre les salaires plus attractifs, mais comment ?"
Christophe Mallick, dirigeant d'entreprises de métallurgieà franceinfo
En deux ans, le prix de l'acier "a été multiplié par deux", ce qui n'a pas laissé d'autre choix au chef d'entreprise que "d'augmenter (ses) tarifs". Une situation compliquée qui se double d'une difficulté à recruter "à cause de la pénibilité perçue du secteur métallurgique". Pourtant, celui qui dirige 170 employés assure qu'il propose des salaires attractifs : "Quelqu'un qui est embauché chez nous arrive rapidement à 1 900 net avec primes". Pas suffisant cependant pour attirer de nouvelles recrues, constate le patron, qui estime ses marges "plus que limitées".
Louis Privat, 130 employés dans l'Aude : 30% d'augmentation pour attirer la main-d'œuvre
L'annonce a fait les titres de la presse locale. Louis Privat, dirigeant du restaurant Les Grands Buffets, à Narbonne (Aude), a décidé d'augmenter de 30% en moyenne les salaires de ses 130 employés, le 1er février dernier. Sa décision n'est toutefois pas directement liée à la hausse des prix. "Ma première préoccupation, ça n'est pas de faire face à l'inflation, mais de reconnaître la pénibilité du travail de nos collaborateurs", explique-t-il. Une façon pour le patron de 66 ans de s'attaquer à la pénurie de main-d'œuvre qui touche le secteur de la restauration, qui a connu des départs massifs après le premier confinement et la fermeture contrainte des établissements. "La vérité, c'est que nous avons maintenu les rémunérations trop basses pendant des années", admet le restaurateur, qui cite "l'obsession" du milieu pour "la notion de rapport qualité-prix". "Mon but", martèle le dirigeant, c'est de "fidéliser les salariés" alors que lors des années passées "certaines annonces de poste ne recevaient aucune réponse".
"C'est possible d'augmenter les salaires dans notre secteur."
Louis Privat, patron de restaurantà franceinfo
Dans le détail, l'augmentation accordée aux salariés des Grands Buffets est de 20% pour les métiers les moins pénibles et de 35% pour ceux et celles qui, comme les serveurs, travaillent le soir et voient leurs journées coupées en deux par les différents services. La décision n'est pas indolore pour l'entreprise, d'autant qu'elle se double d'une hausse du coût des matières premières. Louis Privat a trouvé une solution simple : "Nous avons choisi d'augmenter le prix de notre menu, qui est passé de 42 à 47 euros". Un surcoût "accepté par la clientèle", assure le patron. Il n'hésitera pas, promet-il, à revaloriser à nouveau les salaires "si l'inflation devient trop forte". Un modèle à suivre pour les autres restaurateurs ? "Je ne suis pas un chevalier blanc", se défend Louis Privat.
Rémy Groussard, une confiserie dans l'Hérault : payer plus pour garder des emplois sur le territoire
"C'est simple, l'inflation nous met face à un mur." Rémy Groussard, dirigeant des Ateliers de tonton Pierrot, confiserie dont le siège est situé dans le petit village de Graissessac (Hérault), ne cache pas sa frustration. Le jeune patron de 26 ans a fait le choix d'augmenter de 10% en moyenne ses salariés. Une décision, qui, "même si elle ne suit pas l'inflation", a un coût, alors que l'entreprise, "même si elle n'est pas dans le rouge", "a des marges réduites" et subit elle aussi l'augmentation des prix des matières premières. Et ce n'est pas le seul défi auquel l'entreprise, fondée par le père de Rémy Groussard, doit faire face.
"La situation est compliquée, nous sommes l'une des dernières entreprises de la région. On essaye de rester ici, mais on a du mal à embaucher. Nous sommes situés dans une zone où il y a eu une désertification."
Rémy Groussard, dirigeant d'une confiserieà franceinfo
Dans la région, la voiture est indispensable et, avec l'augmentation du prix de l'essence, les employés, qui doivent parfois faire des dizaines de kilomètres pour se rendre au travail, risquent de ne plus s'y retrouver financièrement. Si les salaires n'augmentent pas, "les jeunes ne viendront plus", soupire le chef d'entreprise.
Carine Rouvier, 175 salariés en Seine-et-Marne : une hausse freinée par le manque de visibilité
La règle était la même depuis des années, mais elle ne sera peut-être pas appliquée de la même façon en 2022. Carine Rouvier, présidente de RG Group, qui réunit sept entreprises différentes à Nanteuil-lès-Meaux (Seine-et-Marne) et dont le désamiantage est l'activité principale, a toujours augmenté ses salariés en suivant le niveau de l'inflation. "J'ai mis cette règle en place lorsque j'ai embauché mon premier salarié il y a 17 ans", raconte celle qui est devenue la présidente de Femmes cheffes d'entreprises (FCE).
"Chaque année, j'augmente tout le monde du montant de l'inflation, et j'ajoute 0,5%. C'est une façon d'éviter que des gens embauchés au-dessus du smic se retrouvent avec le salaire minimum après quelques années."
Carine Rouvier, dirigeante d'entreprisesà franceinfo
Les salaires de ses employés ont donc augmenté de "2,1%" en octobre dernier. Quel montant atteindra la hausse programmée cette année ? "Je n'en sais rien pour l'instant, mais ça va être très difficile pour moi", avertit-elle, d'autant que Carine Rouvier affirme ne pas pouvoir "augmenter ses prix, du fait d'un marché très concurrentiel". Bien que ne subissant pas directement la hausse du prix des matières premières, la cheffe d'entreprise estime en subir "un effet papillon" : "Mon carnet de commandes est rempli comme d'habitude, mais nous intervenons après d'autres artisans, qui eux subissent la rareté des matériaux". Si l'un d'entre eux doit décaler un chantier, alors ses équipes ne peuvent plus travailler. "D'habitude, on a 15% de dossiers suspendus, là c'est 50%", explique Carine Rouvier. Un manque de visibilité qui complique toute réflexion sur les salaires.
Alexis Vaillant, Alterfood, 45 employés à Paris : des augmentations absorbées par la hausse des prix
"Nous avons vécu une période dramatique pendant le Covid-19." Alexis Vaillant, patron d'Alterfood, une société de distribution de marques alimentaires naturelles et bio basée à Paris, se souvient encore de l'impact de la pandémie sur son entreprise. "Nous travaillons avec la grande distribution et les restaurants et nous avons une grande partie de notre business qui s'est évaporée", relate le quadragénaire. En conséquence, les salaires avaient été gelés et certains salariés mis au chômage partiel pendant l'année 2020. Mais la reprise économique est arrivée et "Alterfood est dans une phase de forte croissance".
"Nous avons augmenté une grande partie de nos collaborateurs et fait des embauches. Mais on ne l'a pas pas fait directement pour répondre à une problématique de pouvoir d'achat."
Alexis Vaillant, patron d'Alterfoodà franceinfo
Pour son entreprise, la hausse des salaires – "médians, mais pas faibles, le plus bas étant à 29 000 euros brut par an" – est de toute façon absorbée, avec le reste des coûts, par une augmentation des prix, fait-il valoir. "Nous avons cette chance parce que nous avons des produits à forte valeur ajoutée", ajoute, confiant, le patron, qui insiste sur le risque d'une spirale inflationniste. "Augmenter les salaires obligera les entreprises a augmenter leurs prix. Tout sera plus cher et on voudra encore augmenter les salaires, c'est mécanique", expose-t-il. Et si l'inflation s'inscrit dans la durée ? "On verra et on fera avec", répond du tac au tac Alexis Vaillant.
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