Salaires des patrons : faut-il croire en l'autorégulation ?
Les actionnaires des grandes entreprises seront désormais consultés sur les rémunérations des dirigeants. Mais de là à les diminuer...
"Je trouve ça très bien, remarquable." Pierre Gattaz, probable successeur de Laurence Parisot à la tête du Medef, applaudit des deux mains sa présidente, sur BFM Business, lundi 17 juin. La veille, elle a dévoilé de nouvelles mesures de bonne conduite (en PDF), rédigées avec l'Association française des entreprises privées (Afep). Les rémunérations des dirigeants d'entreprises seront désormais soumises au vote des actionnaires : une méthode déjà appliquée aux Etats-Unis et au Royaume-Uni et qui, en anglais, a été baptisée le "say on pay".
Dans les faits, il s'agit d'une simple consultation, qui n'engage pas les conseils d'administration et de surveillance, mais qui a pour objet de répondre aux divers scandales qui ont émaillé ces dernières années. La rémunération de Carlos Ghosn, PDG de Renault, a par exemple augmenté de 38% en 2011, alors même que le groupe traverse une crise sans précédent. Certes, les rémunérations des patrons du CAC 40 ont baissé en 2012, mais elles restent perchées à des niveaux très élevés : 2,319 millions d'euros par dirigeant, selon les calculs des Echos.
En matière d'éthique, la logique du patronat est claire : mieux vaut régler ses affaires en famille. Pressés par le gouvernement, qui les a menacés d'une loi, le Medef et l'Afep ont pris les devants. Ces nouvelles recommandations viennent ainsi compléter un code de gouvernance mis en place en 2008, puis mis à jour en 2010, dont les résultats sont consignés dans un rapport annuel. Selon ce dernier, l'autorégulation est une franche réussite. Rien ne garantit pourtant que cette nouvelle mesure porte ses fruits. Explications.
Un vrai pouvoir de pression pour les actionnaires ?
Voici le principe : à la fin de l'exercice, les actionnaires votent sur les rémunérations de chaque mandataire social, lors de l'assemblée générale. "Une résolution pour le directeur général ou le président du directoire" et une "pour le ou les directeurs généraux délégués ou les autres membres du directoire", précise le texte. Une première en France.
"C’est la consécration du salaire au mérite par l’introduction de la démocratie entrepreneuriale", s'enthousiasme le Club des entrepreneurs, qui revendique 18 000 membres. Mais il s'agit là d'une vision très optimiste du "say on pay"... En effet, dans le cas où les actionnaires émettent un vote négatif, le conseil d'administration délibère lors d'une séance, avant d'annoncer ses conclusions dans un communiqué publié en ligne. Bref, les actionnaires n'ont pas le dernier mot. Une entreprise peut même refuser de mettre en place ce vote, mais elle devra alors justifier ce choix.
Le sénateur PS Yannick Vaugrenard salue tout de même "un premier pas", dans les efforts pour réguler ces rémunérations. Coauteur d'un amendement pour encadrer la rémunération des dirigeants du secteur bancaire, le député socialiste reste toutefois sur sa faim. "L'assemblée générale est consultée, mais elle devrait donner son avis et décider."
Le "say and pay", quels résultats ?
La France est loin d'être pionnière en la matière. L'an dernier, une quinzaine de pays de l'Union européenne ont déjà adopté la mesure ou étaient en passe de le faire, selon Daniel Lebègue (en PDF), président de l'Institut français des administrateurs.
Le Royaume-Uni a été le premier pays européen à se lancer, en 2002. Résultat ? Avec 5,34 millions d'euros en moyenne, les grands patrons britanniques étaient les mieux rémunérés en 2011, selon une étude de l'organisme Expert Corporate Governance Service (ECGS), portant sur les 400 sociétés européennes membres de l'indice MSCI Europe. La même année, la rémunération moyenne des dirigeants des 100 premiers groupes a même explosé de 27% grâce aux stock-options, selon cette autre étude.
En France, c'est le groupe Publicis – dirigé par Maurice Lévy, le patron le mieux payé d'Europe – qui a ouvert le bal, le 29 mai. Las. "Pas une question n'a été posée sur le mécanisme de [sa] rémunération", signale Le Monde, qui a assisté à l'assemblée générale. Et les actionnaires devaient simplement donner leur avis "sur les critères qui permettent de calculer chaque année le montant du chèque". Pas sur le nombre de zéros.
Les actionnaires ont-ils intérêt à plafonner le salaire ?
Cela ne surprend pas Colette Neuville, présidente de l'Association de défense des actionnaires minoritaires (Adam). "Donner le pouvoir à l'actionnaire ? Mais à quel actionnaire ?" Elle rappelle que la majorité des actions des grandes sociétés sont détenues par des actionnaires institutionnels, comme des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM). Selon elle, "des gérants de portefeuille plutôt que des actionnaires" qui ont "ont intérêt à payer très cher les dirigeants pour s'assurer une gestion purement financière de l'entreprise".
Un écueil déjà relevé par Bénédicte Hautefort, responsable investisseurs chez Euro RSCG. "Les actionnaires institutionnels attendent des critères incitant à une performance financière rapide, en ligne avec leur horizon d’investissement à court terme. La justice sociale n’entre alors pas vraiment en ligne de compte."
Une loi est-elle possible ?
Reste à savoir si ces recommandations seront bien suivies dans les faits. Celles formulées depuis 2008 connaissent des fortunes variées. Le Medef et l'Afep notent des progrès (féminisation des conseils, information sur les jetons et les administrateurs), mais certains conseils sont toujours boudés par les entreprises. Les indemnités de départ, par exemple, sont en principe réservées à un "départ contraint et lié à un changement de contrôle ou de stratégie", depuis 2008. Mais dans les faits, seuls 29% des groupes du CAC 40 ont inscrit la règle dans leurs statuts, contre 39% en 2010.
A priori, rien n'interdit de voter une loi pour renforcer le pouvoir des actionnaires. Un temps évoquée à l'Assemblée, la piste a toutefois été enterrée, fin mai, par le ministre de l'Economie, Pierre Moscovici, qui mise sur une "autorégulation exigeante" et le "dialogue". Brouillé avec les entreprises durant la fronde des Pigeons, fin 2012, le gouvernement tente désormais de calmer le jeu et de faire confiance au patronat.
"Et puis, qu'aurait-on mis dans la loi ? s'étonne Colette Neuville. Cela me dérange qu'une seule catégorie de rémunération soit limitée par la loi alors qu'on est dans le domaine privé. L'idée d'une taxation est bien meilleure."
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