Le mouvement des "Pigeons", ou quand les patrons jouent aux "indignés"
Des entrepreneurs se regroupent depuis quelques jours sous le terme de "Pigeons" pour dénoncer le projet de loi de finances 2013, accusé d'accroître la taxation du capital. Un mouvement spontané de patrons, sans représentants, qui grossit de jour en jour.
ECONOMIE - "Entrepreneurs de tous les pays, unissez-vous !" Eux, ce sont les "Pigeons", le mouvement de défense des entrepreneurs français. Pigeonnés par le gouvernement, disent-ils, qui décourage selon eux l'esprit d'entreprise en taxant davantage le capital, dans son projet de loi de finances 2013 dévoilé vendredi 28 septembre.
Et petit à petit, l'oiseau fait son nid. "C'est un véritable vent de fronde libérale qui semble se lever, comme une traînée de poudre, sur les réseaux sociaux", écrit La Tribune.fr le 1er octobre. Le compte Twitter du mouvement, @DefensePigeons, compte aujourd'hui plus de 5 000 abonnés et la page Facebook recueille plus de 23 000 mentions "J'aime".
Présentés comme un mouvement spontané, les Pigeons sont parfois accusés d'être un outil politique. Une manifestation est même prévue samedi 7 octobre, cette fois dans la rue, devant l'Assemblée nationale. FTVi revient sur un phénomène qui agite la toile de ses ailes grises.
Que dénoncent les Pigeons ?
Beaucoup de choses ! Mais voici les principaux griefs adressés par le mouvement à l'exécutif :
La nouvelle taxation lors des ventes d'entreprises. Auparavant, les plus-values étaient taxées à 19% lors de la revente d'actions d'une entreprise (plus les cotisations de 15,5%, soit 34,5%). Selon les Pigeons, la taxation devrait passer à 60,5 % dans le projet de loi de finances 2013, bien que le chiffre ne figure pas dans le texte (résumé en PDF).
En fait, ces cessions seront désormais indexées sur le barème de l'impôt sur le revenu. Plus je suis riche, plus je serai donc taxé à la revente. Le chiffre de 60,5% ne vaut en fait que pour un entrepreneur qui gagne plus de 150 000 euros par an (selon le nouveau barème de 45%). Et si les parts d'une entreprise sont revendues après plusieurs années, il sera possible de déduire un pourcentage de 5, 10, 30 ou 40%, précise encore Libération.
La hausse des cotisations pour les auto-entrepreneurs. De nombreux Pigeons estiment que le gouvernement va tuer le statut des auto-entrepreneurs, en alignant leurs cotisations sur celles des autres indépendants. Si une hausse des cotisations de 3% est bien prévue dans le projet de loi, ils continueront d'être "exonérés si leur chiffre d'affaires est nul", comme le précise Le Monde.fr. Sylvia Pinel, ministre de l'Artisanat et du Commerce, l'a encore confirmé aux Echos, le 1er octobre.
Le climat politique. Les Pigeons se plaignent plus globalement du climat fiscal et politique. "Notre nouveau président acceptera-t-il de ne pas entraver (voire castrer) ceux qui, pourtant pas riches, veulent créer des emplois (…) ?", écrivait Jean-David Chamboredon, patron du fonds des entrepreneurs internet ISAI, dans une tribune remarquée, publiée sur La Tribune.fr, vendredi 28 septembre.
Les Pigeons, quels sont leurs réseaux ?
C'est d'ailleurs ce texte qui a mis le feu aux poudres. Jean-David Chamboredon y dénonce la future taxation sur les plus-values d'un entrepreneur qui revend les parts d'une entreprise. "Après 10 ans de labeur, d'incertitudes, de hauts et de bas, de semaines de 70 heures…" C'est lui qui est à l'origine des fameux 60,5%, ce chiffre que l'on retrouve ici et là, pour les entrepreneurs contraints "à payer 45% (taux marginal de l'IRPP) +15,5% (CSD/CRDS)". Avec pour conséquence, selon lui, de "condamner à mort l'économie et la croissance de notre pays".
Dans l'après-midi, quelques jeunes entrepreneurs discutent sur leurs murs Facebook, dans un échange publié depuis sur la page du mouvement. Fabien Cohen, fondateur de la société Whoozer, réagit aux hausses annoncées de l'imposition sur les patrons vendeurs. "Si c'est vraiment le cas, il faut créer un putain de mouvement protestataire, genre les indignés." Et sept minutes plus tard : "Faut trouver un nom super cool pour notre mouvement, qu'est-ce que vous pensez des 'pigeons' ?"
La page Facebook est créée peu après ; le compte Twitter @DefensePigeons également. Un mot-clé apparaît pour organiser la contestation : #geonpi (pigeon en verlan). Et le lendemain, à 19 heures, le site DefensePigeons.org est créé sous la bannière du fier volatile, au siège de la société de Yael Rozencwajg.
Les Pigeons, qui sont-ils vraiment ?
Les entrepreneurs. Une nuée de petits entrepreneurs, qui versent pour la plupart dans l'économie numérique, reprennent le mot d'ordre. A l'image de Jean-Louis Bénard, PDG de la société Brainsonic, qui écrivait lundi sur son blog en soutien aux Pigeons : "Une étincelle a suffi pour mettre le feu aux poudres. Ils ne revendiquent aucun parti, aucune organisation patronale : ils en ont juste assez et le font savoir. Trop c'est trop." D'autres patrons témoignent leur colère, comme ici ou là.
Les auto-entrepreneurs. La rédactrice free-lance Sophie Gourion regrette "la mort annoncée du statut d'auto-entrepreneur" sur son blog. Des représentants de l'Union des auto-entrepreneurs (UAE) et la Fédération des auto-entrepreneurs (Fedea) ont rencontré Fleur Pellerin, ministre déléguée aux PME, lundi 1er octobre. Une pétition circule d'ailleurs en ligne pour préserver ce statut, créé sous le mandat de Nicolas Sarkozy.
Détricotage du statut d'auto-entrepreneur : l'anti-sarkozysme poussé à son paroxysme ? | Atlantico atlantico.fr/decryptage/det… #geonpi
— JBMANDRON (@JBMANDRON) Octobre 2, 2012
Les organisations patronales. La Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) a repris la métaphore de l'oiseau à son compte, dans un communiqué de presse qui s'inquiète du projet de loi de finances : "Pénaliser les patrons, c’est pénaliser leurs entreprises. Les patrons ne sont pas des pigeons." Le Medef devrait suivre, à en croire ce tweet de sa patronne, Laurence Parisot.
Patience, L'Express après demain @ssoumier: #geonpi tiens, les Echos se réveillent... Le MEDEF devrait plus tarder...
— Laurence Parisot (@LaurenceParisot) Octobre 1, 2012
Des acteurs de l'économie numérique. Les "papes" français suivent également les Pigeons sur les réseaux sociaux : Xavier Niel (fondateur d'Iliad et de Free), Marc Simoncini (fondateur de Meetic) ou le cyber-entrepreneur Loïc Le Meur. Gilles Babinet, ex-président du Conseil national du numérique sous Nicolas Sarkozy, a également fait part de ses inquiétudes au sujet du projet de loi.
Des associations. Le Cri du contribuable, publication de l'association Contribuables associés, prend fait et cause pour le mouvement et relaie l'appel à manifester devant l'Assemblée nationale, le 7 octobre.
Les Pigeons volent-ils à droite ?
Certains internautes commencent à s'interroger sur l'orientation prise par le mouvement. Un billet publié sur le blog Narominded.com considère que "le militantisme des entrepreneurs touche au paroxysme du ridicule quand il singe ceux-là mêmes qu'ils méprisent à longueur d'année : ceux qui n'ont que la rue pour parler". Et sur Twitter, certains s'interrogent sur les convictions politiques des Pigeons.
Bref, je n'ai rien contre les #geonpi. Bonne chance juste pour garder votre mouvement "apolitique".
— L'Humour de Droite (@humourdedroite) Octobre 2, 2012
Il faut dire que l'UMP est séduite par ce mouvement inattendu. Henri Guaino figure déjà parmi les abonnés du compte Twitter et Nathalie Kosciusko-Morizet a elle aussi rallié le panache gris du pigeon.
PLF2013. Le Gvt stigmatise les entrepreneurs pour mieux les taxer. Ilsse défendent, pour la #croissance. cc @defensepigeons #geonpi
— N. Kosciusko-Morizet (@nk_m) Octobre 1, 2012
Les relais du mouvement disent vouloir rester en dehors des débats politiques. Contacté par FTVi via Facebook, Fabien Cohen s'emporte. Celui-ci, "l'un des 'salauds de riches' qui ont initié ce mouvement, vit dans un 12 mètres carrés avec sa copine, mange que des nouilles et n'a pas quitté Paris depuis 3 ans. Pourtant, il a quand même créé quelques emplois… mais n'a jamais réussi à se payer un salaire (pour l'instant)."
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.