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"C'est vraiment de l'abattage" : les députés de l'opposition enragent de n'avoir que six jours pour étudier le projet de réforme des retraites en commission

La discussion sur le projet de loi qui doit réformer le système de retraites a commencé mardi soir en commission spéciale à l'Assemblée.

Article rédigé par franceinfo - Jean-Loup Adenor
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François Ruffin a vivement critiqué la méthode du gouvernement sur la réforme des retraites, le 28 janvier 2020 à l'Assemblée nationale. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

Après avoir demandé, en vain, au président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, de "défendre leur honneur", les députés ne décolèrent pas. Ils ont reçu vendredi le projet de loi de réforme des retraites, lourd de 64 articles et d'une étude d'impact de 1 029 pages. Date limite de dépôt des amendements en commission spéciale : jeudi 30 janvier. Les parlementaires qui participent à cette commission, au nombre de 70, ont donc six jours pour étudier ce texte particulièrement technique, source d'un conflit social qui dure depuis le 5 décembre. Une situation "surréaliste" pour les députés d'opposition.

Pour en venir à bout, ils se sont donc réparti le travail. "De l'abattage, c'est vraiment de l'abattage", fustige Henri Saulignac, député PS de l'Ardèche, interrogé par franceinfo. "C'est sûrement le texte majeur de cette mandature, on nous avait promis de la concertation, un processus pleinement démocratique, une association de tous les courants à la réflexion et, en réalité, c'est tout l'inverse qui se produit", regrette l'élu, qui estime qu'on se moque de lui et des citoyens. "Comment puis-je leur expliquer qu'on se moque aussi d'eux, en laissant si peu de temps à leurs représentants pour travailler correctement ?"

Le Parlement "privé d'un vrai débat"

Une situation d'autant plus critiquée que le texte alimente nombre de rumeurs et de fantasmes. "Il y a beaucoup de fausses informations qui circulent sur ce sujet-là, qu'il faut vérifier sur ce texte plus que sur tout autre. Nous recevons même des analyses contradictoires. Compte tenu de la technicité de ce texte, c'est surréaliste d'avoir six jours pour préparer et déposer les amendements", poursuit le député socialiste.

De leur côté, et à la différence de la gauche, Les Républicains sont "pour la réforme, mais pas celle-là", qu'ils jugent "injuste et déséquilibrée", selon les mots de leur chef de file, Damien Abad. "Tout est mis en œuvre pour priver le Parlement, et donc les Français, d'un vrai débat sur la réforme des retraites. Les travaux sont bâclés, le Parlement méprisé et le débat entravé", ajoute-t-il.

Un "texte à trous"

D'autant qu'il n'y a "pas d'urgence à faire adopter ce texte", renchérit sa collègue de La France insoumise Clémentine Autain, interrogée par franceinfo. "C'est les Pieds nickelés, ce projet ! C'est ahurissant : on a reçu 64 articles vendredi et une étude d'impact de 1 029 pages qui est complètement truquée", accuse la députée de Seine-Saint-Denis. "Ils ont figé l'âge de référence de l'étude d'impact à 65 ans, alors que dans la loi, il est écrit que l'âge d'équilibre va évoluer en fonction de l'évolution de la durée de vie." Une méthode qualifiée par beaucoup d'"insincère".

Le député Génération.s Régis Juanico en est à sa troisième réforme des retraites. Parlementaire depuis 2007, il a connu le projet de loi du quinquennat de Nicolas Sarkozy et celui de François Hollande. Il l'assure : il n'a "jamais vu ça. On nous demande de nous prononcer à l'aveugle sur un texte à trous appuyé par une étude d'impact qui présente des simulations trompeuses." En effet, sur les 64 articles du projet, 29 renvois à des ordonnances ultérieures sont prévus, une méthode vivement critiquée par le Conseil d'Etat dans la remise de son rapport vendredi 24 janvier. "Pas question de signer un chèque en blanc", tranche Régis Juanico.

Pourquoi un tel empressement ? L'opposition y voit une "volonté d'évacuer très vite ce texte, à 50 jours des municipales", résume Hervé Saulignac. "Ce genre de manipulations passe encore lorsqu'il s'agit d'un texte secondaire. Ce serait moins grave. Mais là, on finit par se demander s'ils n'ont pas un peu perdu la raison." Pour Clémentine Autain, il s'agit avant tout d'une posture idéologique, d'une "logique de bulldozer" : "Ils sont profondément dans le dogme de la règle d'or [budgétaire] et du néolibéralisme économique, ils sont englués dans ce prisme, ils n'arrivent pas à en sortir et veulent nous y faire rentrer coûte que coûte."

Combattre par tous les moyens

L'opposition n'a bien évidemment pas dit son dernier mot. Dès mardi matin, en conférence des présidents de l'Assemblée, quatre groupes politiques – LR, PS, PCF et LFI – ont contesté l'étude d'impact accompagnant les projets de loi (ordinaire et organique), jugée "incomplète et insincère", et demandé la saisine du Conseil constitutionnel ainsi qu'un report des débats… en vain.

Des dizaines de députés LR ont enfoncé le clou peu après : ceints de leur écharpe tricolore, ils ont débarqué dans la salle des Quatre Colonnes pour réclamer "un nouveau et vrai projet de loi", dénonçant une "précipitation" et un "amateurisme" du gouvernement. A gauche, les responsables de groupes ont convenu d'utiliser "tout l'arsenal législatif à [leur] disposition pour [s]'opposer à cette réforme", selon un participant à la réunion cité par l'AFP. François Ruffin, député de La France insoumise, a pour sa part attaqué très vivement la méthode de l'exécutif, mardi soir dans l'hémicycle.

"On va essayer de ralentir tout ça en séance", explique Régis Juanico, c'est-à-dire lors de la première lecture du texte dans l'hémicycle à partir de la semaine prochaine. L'élu explique que parmi les moyens d'action, les députés ont l'intention d'attaquer la constitutionnalité du texte, notamment à cause des nombreux recours aux ordonnances. En effet, les Sages peuvent décider d'invalider un texte voté par l'Assemblée si celui-ci est trop imprécis ou pas assez compréhensible. Or, "les nombreuses imprécisions et lacunes du texte, et l'absence de réponses précises sur un grand nombre de sujets, pourraient amener le Conseil constitutionnel à l'invalider", poursuit Régis Juanico.

Les députés insoumis, communistes et socialistes se disent prêts à déposer une motion de censure commune contre le gouvernement pour son projet de réforme des retraites en février, ont par ailleurs indiqué les groupes parlementaires mercredi après-midi.

Parant les critiques, le rapporteur général Guillaume Gouffier-Cha (LREM) a demandé que les parlementaires soient "associés" au maximum à l'élaboration future de ces réponses par le gouvernement. Une "marcheuse", citée par l'AFP, promet : "Ils cherchent, ils cherchent, et nous on va chercher les réponses" à chaque fois. Après leur examen en commission, les projets de loi de réforme passeront dans l'hémicycle à compter du 17 février, pour deux semaines au moins.

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