Motion de censure, référendum, Conseil constitutionnel… Pourquoi le dossier des retraites n'est pas clos, même après l'utilisation du 49.3
Les opposants à la réforme des retraites n'entendent pas rendre les armes. L'exécutif a finalement décidé, jeudi 16 mars, d'avoir recours au 49.3 pour faire adopter sans vote à l'Assemblée nationale le texte qui reporte notamment à 64 ans l'âge légal de départ à la retraite. Quelques heures plus tôt, les sénateurs avaient validé le projet de loi.
Pour autant, les adversaires des macronistes planchent depuis plusieurs jours sur des ripostes à mener avant la promulgation de la loi, à commencer par le dépôt de motions de censure. "On va continuer la bataille, remonter au créneau", avait ainsi confié à franceinfo le député socialiste Jérôme Guedj, avant même le 49.3. Franceinfo vous présente les derniers espoirs de l'opposition pour faire échec à la réforme.
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Le dépôt d'une motion de censure
En cas d'utilisation de l'article 49.3 par le gouvernement, l'opposition répond généralement par le dépôt d'une motion de censure qui permet de mettre en cause "la responsabilité du gouvernement", comme le prévoit l'article 49 de la Constitution. Il faut la signature d'un dixième des députés pour déposer une motion de censure, soit 58 députés. "Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt", précise la Constitution. Deux motions doivent être déposées vendredi, une par le Rassemblement national et une autre par le groupe Liot (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) soutenue par a gauche.
Les oppositions avaient anticipé la possibilité d'un 49.3 en préparant une motion de censure transpartisane. "Il y a des réflexions, des concertations en cours sur cette question. Et la rédaction d'une motion, je vous la fais en deux minutes", expliquait dès dimanche à franceinfo le député Charles de Courson, un centriste du groupe Liot. "Il y a des discussions qui ont lieu à la fois avec Liot, quelques LR, la Nupes, nous avons bon espoir qu'il puisse y avoir une motion de censure transpartisane", avait confirmé mardi la présidente du groupe de La France insoumise (LFI) Mathilde Panot.
Cependant, toute motion doit être votée par la majorité absolue, soit 287 voix. En additionnant les votes de la Nupes, du RN, de Liot (alors que ce groupe reste divisé) et des non-inscrits, on arrive seulement à 262 voix. Il faudra donc compter sur au moins sur 25 députés LR pour faire tomber le gouvernement.
Les recours devant le Conseil constitutionnel
"On utilisera toutes les procédures possibles", a prévenu le patron des députés socialistes, Boris Vallaud, mercredi, dans les couloirs de l'Assemblée nationale. "Il y a le recours au Conseil constitutionnel avec, à notre sens, un certain nombre de motifs d'annulation", précise l'élu des Landes. La Nupes conteste notamment le choix d'un projet rectificatif du budget de la Sécurité sociale (PLFSSR) pour le vote de la réforme, estimant qu'il s'agit d'un cavalier législatif, puisque les finances ne sont pas le seul aspect abordé dans le texte.
"Sur l'index senior par exemple, on voit bien que la mesure n'avait pas sa place dans un PLFSSR, détaille l'écologiste Cyrielle Chatelain. Avec le déclenchement du 44.2, du 44.3, tout ça dans l'article 47.1, on se demande aussi si tous ces outils constitutionnels être utilisés ensemble, tous en même temps, pour limiter les débats au Parlement".
L'institution, chargée de se prononcer sur la conformité des lois vis-à-vis de la Constitution, peut être saisie notamment par un groupe de 60 députés ou par un groupe de 60 sénateurs. La Nupes comme le Rassemblement national disposent ainsi d'assez de parlementaires pour une saisine. Les deux groupes ont annoncé leur intention de faire usage de ce droit.
Les Sages disposent alors d'un mois pour se prononcer, sauf si le gouvernement "demande l'examen du texte en urgence", explique le site du Conseil constitutionnel. Dans ce cas, ils ne disposeront que de huit jours. Emmanuel Macron devra attendre la décision du Conseil constitutionnel avant de promulguer la loi.
Néanmoins, certains ne se montrent guère optimistes quant aux chances de remporter une telle bataille. "Je crains que la loi ne soit conforme à la Constitution, lâche le député PS Joël Aviragnet. On va le faire bien sûr, mais ce n'est pas là-dessus que je compte."
Le référendum d'initiative partagée
La gauche réfléchit depuis plusieurs jours à un référendum d'initiative partagée (RIP) pour contrer la réforme. Les syndicats y sont favorables : "Il suffit de 185 parlementaires pour s’en saisir et le lancer. C’est à eux de jouer", a affirmé le patron de la CFDT, Laurent Berger, dans Le Parisien (article pour les abonnés).
Introduit dans la réforme constitutionnelle de 2008 et encadré par l'article 11 de la Constitution, le dispositif prévoit la possibilité d'organiser une consultation populaire sur une proposition de loi "à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement", soit au moins 185 des 925 parlementaires (577 députés, 348 sénateurs). Le nombre peut être facilement atteint uniquement avec la gauche qui compte environ 150 députés et près de 100 sénateurs.
Une fois le nombre de signatures de parlementaires atteint, le Conseil constitutionnel doit valider la procédure de référendum. Pour cela, les Sages s'assurent notamment que la consultation porte sur l'un des thèmes prévus par la consultation. "A priori, ça rentre dans le périmètre, puisque le texte parle de réforme liée à la politique économique et sociale", estime une source interne au groupe PS.
Après validation, l'initiative doit ensuite être "soutenue par un dixième des électeurs", soit 4,87 millions de personnes, dont les signatures doivent être recueillies dans un délai de neuf mois. Il s'agit donc d'une procédure complexe qui n'a d'ailleurs jamais abouti depuis son introduction. Une campagne de signatures a bien été lancée pour un référendum contre la privatisation d'Aéroports de Paris (ADP), mais cette proposition de RIP n'avait finalement recueilli que 1,1 million de soutiens. Le gouvernement avait cependant suspendu son projet de privatisation en raison de la crise du coronavirus.
Le Conseil constitutionnel avait en outre émis dans un rapport plusieurs critiques sur la mise en œuvre de ce RIP, en évoquant notamment des problèmes sur le site de recueil des signatures. "C'est un outil qui est fait pour être complexe, mais bon ce serait pertinent de retourner vers les Français", estime Cyrielle Chatelain.
"On réfléchit à cet outil du RIP. C'est faisable, mais est-ce que c'est le bon outil, au bon moment ?"
Cyrielle Chatelain, présidente du groupe écologisteà franceinfo
"C'est une réflexion que nous avons", a confirmé à l'AFP Mathilde Panot. La cheffe de file des députés "insoumis" souligne cependant que "les calendriers sont malheureusement assez éloignés", avec l'examen du RIP par le Conseil constitutionnel dans un délai d'un mois après son dépôt, puis la collecte des signatures. "C'est un parcours du combattant", a-t-elle souligné. "On y est favorable, mais en pratique hélas le RIP est quasi impossible", estime le député RN Jean-Philippe Tanguy.
D'autres y croient "On ne peut pas gouverner contre le peuple, donc le référendum semble être un bon outil. Si on arrive à le mettre en place, avec 60 à 70°% de Français contre la réforme, je pense que la population s'en servira", juge pour sa part Joël Aviragnet. "Ça permet de bloquer pendant neuf mois la mise en œuvre de cette réforme, et peut-être de faire en sorte qu'elle ne voie jamais le jour", a également confié sur Europe 1 la socialiste Valérie Rabault. Cette dernière précise que "si un RIP est déclenché sur les retraites, il faut qu'il le soit avant la promulgation de la loi retraite", pour respecter la Constitution. En effet, l'article 11 précise bien que le RIP "ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an".
La poursuite du mouvement social
A l'annonce du 49.3, plusieurs rassemblements spontanés, émaillés de violences, ont eu lieu jeudi à Marseille, Rennes, Nantes ou Paris. De leur côté, les syndicats ont déjà annoncé de nouvelles manifestations. "Evidemment qu'il y aura de nouvelles mobilisations, parce que la contestation est extrêmement forte, on a déjà énormément de réactions de la part des équipes syndicales", a déclaré jeudi à l'AFP le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger. "Le passage en force avec l'utilisation du 49.3 doit trouver une réponse à la hauteur de ce mépris du peuple", a renchéri le leader de la CGT, Philippe Martinez.
La gauche compte bien faire grossir les rangs de la contestation. Invité de France Inter vendredi, Jean-Luc Mélenchon a ainsi dit "encourager" les "mobilisations spontanées dans tout le pays", comme celles qui se déroulées jeudi, car "c'est là que ça se passe". Il a aussi appelé à manifester à l'appel de l'intersyndicale pendant le week-end et jeudi prochain. Marine Tondelier, estime de son côté que le "49.3 n'existe pas dans la rue", rapporte l'AFP.
"C'est le référendum ou la rue, réclamait le député Joël Aviragnet avant même que l'exécutif tranche en faveur du 49.3. Je suis sûr de la grande colère de la population. Les gens sentent bien que la réforme est injuste, qu'ils se font avoir. Tout cela discrédite la parole politique." Pour Cyrielle Chatelain, le pays se trouve dans un moment politique crucial : "On ne peut pas pleurer à chaque élection sur l'abstention et quand on se retrouve avec des manifestations de cette ampleur, dire au peuple : 'On ne vous écoute pas et on passe en force.' On se retrouve dans un combat entre une très grande partie du peuple et Emmanuel Macron."
De son côté, la majorité va chercher à tourner rapidement la page après cette séquence retraites. "Il faut ouvrir, juste après la réforme, tous les chantiers connexes, sur l'emploi des seniors, la question des droits familiaux, les sujets sur le partage de la valeur...", expliquait cette semaine une cadre de la majorité. Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a déjà commencé à consulter des parlementaires pour son projet de loi sur le plein emploi.
"Une fois la réforme votée, je pense que ça va se calmer dans la rue. Il y aura peut-être de la radicalisation, mais qui ne sera pas profitable au mouvement. On entrera dans une autre phase du quinquennat", prédit un sénateur de la majorité. Il évoque ainsi "une autre histoire, un nouveau souffle", avec la possibilité d'un remaniement du gouvernement.
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