"On est méprisés par l'Etat" : au sein de la police scientifique, la réforme des retraites aggrave une situation explosive
L'intersyndicale de la police technique et scientifique appelle ses agents à la grève illimitée. Depuis plusieurs mois, ils dénoncent leurs conditions de travail et réclament un statut similaire à leurs collègues policiers de terrain.
"Mépris. Ce mot est dans la bouche de tous mes collègues", se désole Xavier Depecker, secrétaire national du Snipat, un des trois syndicats de la police technique et scientifique (PTS). Les représentants de ces 2 500 fonctionnaires – dont 1 800 sur le terrain – se disent "méprisés par l'Etat", à qui ils demandent la reconnaissance de la dangerosité et de la pénibilité de leur profession, au même titre que les autres policiers. Ils assurent avoir essuyé "trois annulations de rendez-vous" avec le ministère de l'Intérieur depuis décembre 2018.
A l'entrée dans leur troisième semaine de grève, mercredi 8 janvier, les syndicats de la police scientifique ont rencontré le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Intérieur, Laurent Nuñez. Ce dernier "exclut, même s'il reconnaît que certaines de nos missions sont dangereuses, une intégration à la filière active [celle de la police judiciaire]", regrette Xavier Depecker. Début décembre, le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a promis à leurs collègues des services actifs de la police le maintien de "spécificités" de leur régime de retraite. Pour protester contre cette différence de traitement, les organisations syndicales appellent donc à la fermeture de l'ensemble des services techniques et scientifiques de la police jeudi 9 janvier, date de la mobilisation interprofessionnelle contre la réforme des retraites.
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Incontournables dans les enquêtes
"Ils ont besoin de nous, mais les conditions dans lesquelles on travaille, ils s'en foutent", souffle Xavier Depecker, seize ans de maison, dont huit dans la police scientifique. De plus en plus sollicités sur le terrain, les agents de la PTS sont devenus les conseillers "incontournables" de la police judiciaire, selon le secrétaire national du Snipat.
Avec "un prélèvement par minute effectué sur toute la France", la police scientifique, qui représente 2% des effectifs de la police nationale selon les syndicats, résout un tiers des enquêtes, assure Xavier Depecker. Au nombre d'un à quatre en moyenne, voire six par commissariat, ces policiers en blouse blanche prennent de "plus en plus d'importance dans le règlement des affaires". Présents du début à la fin de l'enquête, ils sont souvent mis à "rude épreuve". "Au fur et à mesure que l'enquête progresse, nous apprenons des informations personnelles sur la victime et ce n'est pas toujours évident à gérer avec distance", confie Xavier Depecker, qui officie dans la région lilloise.
C'est dur quand vous devez effectuer un prélèvement sur une couche-culotte d'un enfant de 2 ans qui a été violé. Ou quand vous devez prélever sur le crâne fracassé d'une victime avec ses proches effondrés autour.
Xavier Depecker, du syndicat Snipatà franceinfo
A cette "dangerosité psychologique" s'ajoute une "dangerosité physique", note-t-il. "Insultés", "pris à partie", "braqués", les policiers scientifiques sur le terrain se retrouvent souvent seuls sur les scènes de délits de petite et moyenne délinquance. Même si les officiers de la police judiciaire doivent les accompagner, "ils repartent sur le terrain dès que nous arrivons", constate Xavier Depecker, qui reconnaît qu'eux aussi sont en sous-effectif.
Le syndicaliste dénonce un manque de réflexion sur la sécurité des 1 800 agents présents sur le terrain. Même si, depuis 2010, les policiers scientifiques portent un gilet pare-balles, ils ne sont ni armés ni formés aux techniques d'autodéfense. Xavier Depecker cite l'exemple d'une de ses collègues qui s'est retrouvée seule, sur une scène de cambriolage, face aux deux délinquants qui s'étaient cachés sous un lit.
"Les astreintes, ça use"
Un "ras-le-bol" renforcé par de fortes contraintes horaires. Disponibles tous les jours, 24 heures sur 24, y compris les week-ends, les agents de la police scientifique enchaînent régulièrement des astreintes nocturnes avant d'attaquer une nouvelle journée de travail. "C'est épuisant physiquement et contraignant pour nos vies de famille", souligne le policier.
Très souvent, j'ai au téléphone des collègues qui songent à partir ailleurs.
Xavier Depecker, du syndicat Snipatà franceinfo
Et puis "nous n'avons pas de recul sur la nuisance de notre métier. Les astreintes, ça use", ajoute le syndicaliste, qui ne se voit pas continuer à ce rythme au-delà de 55 ans.
Alors, pour Xavier Depecker comme pour Michel Brunet, secrétaire général adjoint du syndicat majoritaire SNPPS, la dangerosité et la pénibilité de leur profession doivent être reconnues afin de faire évoluer leur statut de "sédentaire" à celui d'"actif". Ce dernier statut est attribué aux emplois de la fonction publique présentant "un risque particulier" ou "des fatigues exceptionnelles", précise l'administration.
Pour se faire entendre, peu de moyens s'offrent aux agents de la PTS, seuls à bénéficier du droit de grève au sein de la police nationale. "Le seul moyen est la grève, et encore, pas au détriment de nos missions", note Michel Brunet, vingt-deux ans d'ancienneté, dont dix-sept dans "la scientifique". Il rappelle que les policiers scientifiques ne maîtrisent pas leur activité et ne peuvent refuser d'aller sur le terrain quand ils sont réquisitionnés. Ils ne peuvent pas non plus allonger les délais de remise de leurs rapports "car derrière, il y a des victimes et des familles qui attendent", pointe le syndicaliste, qui travaille à Chambéry.
Face à cette situation, les syndicats peinent à mobiliser l'ensemble des troupes, peu nombreuses au sein de l'institution, sans parler des collègues "de la judiciaire", qui n'ont pas la culture de la grève.
"On n'a que le costume et toujours pas le statut"
"Cela fait des années que l'on demande à discuter", explique Michel Brunet, mais "il y a un réel manque de volonté politique". Un déficit de communication qui dure depuis 2010, selon le syndicaliste. Cette année-là, rappelle-t-il, les policiers techniques et scientifiques obtiennent, après leur première grève, leur identification sur le terrain en tant que policiers avec la mise à disposition d'une tenue et d'une carte professionnelle. Mais depuis, "on n'a que le costume et toujours pas le statut", se désole Xavier Depecker.
Il y a une forme d'indifférence de la part de la haute hiérarchie concernant notre profession.
Michel Brunet, du syndicat SNPPSà franceinfo
Son homologue va plus loin en décrivant la police technique et scientifique comme "une variable d'ajustement pour Bercy". Une situation d'autant plus compliquée que jusqu'à récemment, ces agents ne disposaient pas d'un franc soutien de la part des syndicats de police. Mais cela semble changer : Unité SGP FO, un des syndicats majoritaires des forces de l'ordre, a publié récemment deux tracts soutenant leur cause.
Les deux militants syndicaux osent même penser que la mutualisation des équipes de la police scientifique avec celles de la gendarmerie (dont les agents ont le statut d'actifs), actuellement étudiée, pourrait être l'occasion d'harmoniser les statuts. Car "comment gérer, sinon, au sein d'une même hiérarchie, des sédentaires et des actifs ?" s'interroge Michel Brunet.
Déterminés à se faire entendre, les policiers techniques et scientifiques manifesteront le 15 janvier, en direction de la place Beauvau, afin de porter leurs revendications jusque sous les fenêtres du ministre de l'Intérieur.
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