Réforme des retraites : le recours du gouvernement au 49.3 est-il "anticonstitutionnel" ?
La décision ne figure pas dans le compte-rendu public du Conseil des ministres au cours duquel elle est censée avoir été prise, mais cela ne signifie pas qu'elle est contraire à la Constitution.
Le recours à l'article 49.3 de la Constitution pour faire adopter la réforme des retraites à l'Assemblée nationale, en coupant court à l'interminable débat sur les amendements, est-il "invalidé d'office", car "parfaitement anticonstitutionnel", et donc "illégal", comme l'affirme un post de blog sur Mediapart ? Vous nous avez posé la question dans le live de franceinfo, alors que le Premier ministre Edouard Philippe doit défendre sa décision dans l'hémicycle, mardi 3 mars, devant des oppositions remontées.
Pas de délibération en Conseil des ministres, d'après le compte-rendu
L'article 49 alinéa 3 de la Constitution prévoit que "le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale. (...) Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session." Or, cette délibération n'est pas mentionnée dans le compte-rendu du Conseil des ministres extraordinaire du samedi 29 février au cours duquel elle est censée avoir eu lieu, comme le relève le blogueur dans son billet. Celui-ci en conclut que cette délibération n'a pas existé ; le recours au 49.3 est donc, selon lui, "parfaitement anticonstitutionnel", "illégal" et "invalidé d'office".
Ce Conseil des ministres exceptionnel s'est en outre tenu en plein week-end et non un mercredi, comme à l'accoutumée. La réunion ministérielle était officiellement consacrée à la gestion de l'épidémie de Covid-19 en France. Elle était d'ailleurs précédée d'un Conseil de défense. Rien à voir avec la réforme des retraites. Autant d'arguments en faveur d'une supposée "manipulation", dénoncée par le blogueur.
Cette analyse est erronée. Le Conseil constitutionnel explique en effet dans le commentaire d'une décision rendue en 2016, repéré par Libération, que "l'exercice de la prérogative ainsi conférée au Premier ministre n'[est] soumis à aucune autre condition que celles posées par le troisième alinéa de l'article 49". "L'exigence constitutionnelle réside dans une simple délibération [et non une autorisation] préalable du Conseil des ministres : il faut et il suffit que le sujet ait été évoqué au cours du Conseil, ce que le procès-verbal – et pas nécessairement le communiqué de presse – doit retracer."
Une délibération qui peut être "informelle"
Conformément à l'article 49 alinéa 3 de la Constitution, une délibération en Conseil des ministres suffit bien, confirment les spécialistes du droit constitutionnel interrogés par franceinfo. Guillaume Tusseau, professeur de droit public à Sciences Po, développe : "Le terme 'délibération' doit être entendu de manière assez informelle et n'implique pas des heures de débats, ni un document qui mentionnerait quelque chose du type : 'Le Premier ministre a présenté la motion suivante, selon laquelle il souhaite utiliser le 49.3, le Conseil des ministres a voté par une X voix pour, X voix contre, et X abstentions, etc.'"
En pratique, il suffit que le Premier ministre l'évoque lors de la séance et que le procès-verbal en fasse état.
Guillaume Tusseau, professeur de droit public à Sciences Poà franceinfo
"Ce qui se passe en Conseil des ministres n'est pas public, souligne Guillaume Tusseau, mais on en a des comptes-rendus." Pour autant, que cette délibération ne figure pas dans le communiqué rendant compte de ce Conseil des ministres n'est en rien problématique au regard du droit. "Il n'y a pas d'obligation constitutionnelle d'inscrire dans le communiqué du Conseil des ministres une question, même si celle-ci a fait l'objet d'une délibération, poursuit Philippe Blacher, directeur du centre de droit constitutionnel de la faculté de droit de l'Université Lyon III.
Un compte-rendu n'est pas un procès-verbal
Si elle n'est pas nécessairement retranscrite dans le compte-rendu, la délibération doit en revanche l'être dans le procès-verbal, qui "fait foi", précise Philippe Blacher. Or, "ce procès-verbal n'est pas rendu public". Par conséquent, la délibération "reste secrète". "La délibération n'a pas vocation à informer le Parlement, et plus largement les Français, de l'engagement de la responsabilité du gouvernement sur un texte. C'est le discours du Premier ministre à l'Assemblée nationale qui remplit cette fonction", détaille l'universitaire.
Le communiqué de presse n'a pas à en faire mention pour que ce soit juridiquement régulier.
Guillaume Tusseau, professeur de droit public à Sciences Poà franceinfo
Eric Sales, maître de conférences de droit public à la faculté de droit et de science politique de l'université de Montpellier, reprend ainsi les éléments nécessaires à la validité du recours au 49.3 : "Il faut une délibération du Conseil des ministres sur le sujet, la preuve rapportée par un document officiel daté (un extrait de relevé de décision du Conseil des ministres) et le versement de ce document dans le dossier en défense de la loi par le Secrétariat général du gouvernement dans le cadre du contrôle préventif de la constitutionnalité du texte législatif contesté". Des éléments qui ne sont pas consultables à l'heure actuelle. Même si ce procès-verbal n'est pas consultable, Philippe Blacher estime qu'il n'y a "aucun doute sur la conformité constitutionnelle de l'usage du 49.3 par Edouard Philippe".
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