Rejet, adoption, 49.3... On vous explique les trois scénarios possibles pour la réforme des retraites à l'Assemblée
Le texte sur la réforme des retraites entre dans le sprint final. La commission mixte paritaire (CMP), instance qui réunit sept députés et sept sénateurs, a trouvé un accord sur le projet du gouvernement. Le Sénat en sera saisi en premier, jeudi matin, lors d'un scrutin qui devrait confirmer le vote favorable du week-end dernier.
Le sort de la réforme se jouera jeudi après-midi à l'Assemblée nationale. Passera ou passera pas ? "C'est la question à un euro du moment", lâche un parlementaire LR. "J'avoue ne pas savoir, ça risque d'être compliqué", confie un cadre de la majorité. Car le camp présidentiel ne dispose pas de la majorité absolue à l'Assemblée et leurs seuls alliés sur ce texte, Les Républicains, "ne sont pas fiables entre ce qu'ils disent et ce qu'ils font", dixit un député Renaissance.
L'exécutif prendra-t-il le risque de soumettre son texte au vote des députés, au risque de le voir se faire retoquer ? Ou prendra-t-il les devants en activant l'article 49.3 de la Constitution, malgré le symbole qu'une telle décision représenterait ? En fonction du scénario, l'épilogue du feuilleton de la réforme des retraites peut aboutir à des conséquences politiques très différentes pour la majorité.
1 La réforme est rejetée par les députés
C'est le scénario du pire pour le gouvernement. L'Assemblée nationale n'adopte pas le compromis de la commission mixte paritaire. La réforme des retraites est alors rejetée. "Ce scénario du rejet du texte me semble peu probable, explique Mathieu Gallard, directeur d'études chez Ipsos. Si le gouvernement va au vote, c'est qu'il est sûr de lui." Dans la majorité aussi, on ne peut croire une seule seconde à cette hypothèse. "Ce serait une catastrophe mais ce n'est pas possible", se rassure un parlementaire Renaissance.
"Je pense que l'on arrive quand même à compter pour savoir si on a ou pas une majorité. Si on se fait avoir dessus, c'est un problème."
Un parlementaire Renaissanceà franceinfo
En théorie, un rejet du texte ne signifierait pas forcément la fin de l'examen du texte au Parlement, puisque le gouvernement a la possibilité de repartir pour un tour pour une nouvelle navette entre les deux assemblées. "Mais ce sera très compliqué du point de vue de l'opinion publique, et puis il y a une volonté évidente pour l'exécutif de passer à autre chose, notamment à des sujets plus consensuels", analyse Mathieu Gallard.
Pour autant, l'abandon de la réforme des retraites n'est pas non plus une option pour Emmanuel Macron, qui en a fait l'un des marqueurs de son quinquennat. Sa capacité à réformer le pays en serait lourdement affectée. Le président pourrait alors être tenté par la dissolution, dans l'espoir hasardeux de décrocher une majorité absolue. Du côté de l'opposition, ce rejet serait au contraire vécu comme une immense victoire. Si cela se produit, le socialiste Jérôme Guedj promet ainsi de sortir "le champagne". "Le gouvernement prend le risque et il est battu. Ce serait un camouflet pour Borne et Macron", soutient le député. On entrerait alors dans "une période incertaine" pour l'exécutif.
2 L'Assemblée adopte le texte
C'est le scénario idéal pour le gouvernement. L'Assemblée nationale adopte le texte des retraites, sans avoir besoin de recourir au 49.3, cet article de la Constitution qui lui permet de faire passer un projet de loi sans vote. Depuis mardi, les macronistes multiplient les déclarations laissant entendre qu'il existe une majorité à l'Assemblée sur ce sujet. "Nous sommes convaincus que ce texte a une majorité, parce qu'il permet de répondre aux attentes à la fois de la majorité présidentielle et d'autres", a ainsi déclaré le ministre du Travail, Olivier Dussopt, sur CNews, mardi 14 mars. "Dans cette Assemblée, une majorité existe", a également appuyé Elisabeth Borne lors de la séance de questions au gouvernement.
Certains parlementaires de la majorité y croient, à l'instar de Marc Ferracci, un proche d'Emmanuel Macron. "On va la voter et on va gagner car cette réforme est indispensable pour le pays et ceux qui hésitent la voteront à la fin pour cette raison", assure-t-il. "Je suis confiant, on va y arriver", abonde un autre parlementaire de la majorité, qui prédit une adoption avec une dizaine de voix d'écart. "Le texte sera amélioré en CMP, ça permettra de convaincre les derniers indécis. "
Si la réforme passe sans 49.3, ce sera "certes perçu comme une victoire pour le gouvernement dans les médias mais cela restera symbolique", met en garde Mathieu Gallard.
"Si cela passe, ce sera à une courte majorité et cela n'empêchera pas le fait que l'opinion continuera à y être opposée. Cela peut acter un divorce entre l'opinion publique et les dirigeants politiques."
Mathieu Gallard, directeur d'études à l'institut Ipsosà franceinfo
Si ce scénario venait à se réaliser, la majorité promet de faire profil bas. "On entrera dans une autre phase. Le second quinquennat pourra enfin réellement commencer", promet un macroniste. "On a besoin d'une autre histoire, d'un nouveau souffle et qui dit nouveau souffle dit nouveau gouvernement..." ajoute-t-il. Au contraire, l'opposition s'attend justement à ce que le gouvernement "fanfaronne". "Il y aura un questionnement sur la suite du mouvement, ça peut fracturer le mouvement social", reconnaît Jérôme Guedj. Le socialiste promet néanmoins que les opposants continueront "la bataille".
De façon plus immédiate, un vote positif au Palais-Bourbon conduirait "à une clarification politique", selon le politologue Bruno Cautrès : "Si les Républicains venaient à voter la réforme des retraites, les observateurs en tireront des conclusions. Notamment le fait que les députés LR ont désormais les pieds dans la majorité présidentielle."
3 Le gouvernement sort le 49.3
"C'est le deuxième scénario du pire", affirme Bruno Cautrès. Le gouvernement ne veut prendre aucun risque et dégaine le 49.3 pour faire adopter sans vote sa réforme des retraites. "On serait, de nouveau, dans la thématique du déni de démocratie avec une légitimité politique qui serait considérablement atténuée", analyse le politologue. "On dénoncera l'échec et la fébrilité du gouvernement", promet ainsi le socialiste Jérôme Guedj.
Dans la majorité, certains assurent que "si l'on est trop court, il ne faut pas prendre de risques et dégainer le 49.3". L'option est sérieusement sur la table, même si elle est récusée officiellement par l'exécutif. "Je suis plutôt pessimiste sur le fait que l'on y arrive sans 49.3", confie un macroniste. "Le gouvernement fait du cas par cas pour convaincre les députés indécis, mais c'est trop tard et trop risqué", relève à France Télévisions un député Renaissance.
"On doit annoncer maintenant le 49.3, sinon on va devoir sortir les rames jeudi pour justifier cette décision."
Un député Renaissanceà France Télévisions
Mais d'autres, dans la majorité, craignent les conséquences politiques du déclenchement d'un 49.3 sur un pareil texte. "Ce serait contre-productif, argue un député Renaissance. Compte tenu du climat politique sur ce sujet un 49.3 ne serait pas compris, contrairement aux budgets classiques, même s'il est constitutionnel."
En cas de passage en force, le camp présidentiel devrait, en outre, faire face à "une motion de censure transpartisane". Le gouvernement pourrait-il tomber ? La probabilité est très faible, même si quelques députés LR y mêlent leur voix. "Je n'y crois pas, livre un macroniste. Il y a moins de gens chez LR qui veulent faire tomber le gouvernement que de gens qui veulent l'embarrasser."
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