Cet article date de plus d'un an.

Reportage Réforme des retraites : à Guichen, près de Rennes, une première manifestation sans "casseurs" ni "lacrymos"

Article rédigé par Robin Prudent
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Une manifestation contre la réforme des retraites, à Guichen (Ille-et-Vilaine), le 6 avril 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)
Environ 500 manifestants se sont rassemblés jeudi dans cette petite ville bretonne, loin des affrontements parfois violents constatés dans la préfecture du département. Une action locale et familiale pour "montrer que tout le monde est contre cette réforme".

"Macron, t'es foutu, Guichen est dans la rue", crache un haut-parleur, entre le monument aux morts et le salon de coiffure. Environ 500 personnes sont rassemblées sur la place centrale pour manifester leur oppposition à la réforme des retraites, jeudi 6 avril, vers 17 heures. De mémoire de syndicaliste, on n'a pas vu une manifestation dans cette commune de 8 800 habitants depuis vingt ans. Cette fois, Guichen (Ille-et-Vilaine) s'est jointe à la mobilisation nationale qui a réuni "près de deux millions" de participants, selon les syndicats, 570 000 selon le ministère de l'Intérieur.

>> Réforme des retraites : suivez les informations dans notre direct

"Ici, on sait que ça ne va pas tourner à la violence", explique Anne, 60 ans. "Enfin, on espère. Sinon, on s'en va", ajoute l'ancienne aide-soignante en se tournant vers son mari. "A Rennes, tout a été saccagé", souffle Marc, qui fêtera ses 62 ans "le même jour qu'Elisabeth Borne". A moins de 30 kilomètres de Guichen, la préfecture de la Bretagne fait désormais office de repoussoir pour certains opposants à la réforme, inquiets des affrontements de plus en plus violents entre manifestants et forces de l'ordre.

"Pas besoin de prendre de sérum phy"

"On se doute qu'il n'y a pas de casseurs à Guichen", se rassure Samantha. Son mari est allé quelques fois manifester à Rennes, mais sans elle, ni leur fille de 8 ans. "Là, on peut venir en famille", se félicite Mickaël. Leur fille Mélody, emmitouflée dans une doudoune rose, a même croisé ses copines de classe et la maîtresse dans le cortège qui commence à se former. "Pas besoin de prendre de sérum phy dans le sac", sourit Mathéo. L'étudiant de 22 ans a pris l'habitude des gaz lacrymogènes qui embrument Rennes les jours de mobilisation mais trouve "chouette" de pouvoir aussi manifester avec sa mère et sa petite sœur, près de la maison familiale.

Un gamin traverse soudain la foule en s'époumonant "Macron, ta réforme, tu sais où on se la met !" provoquant les sourires des manifestants sur son passage. "Il est bien, cet enfant", lâche une dame en le voyant sautiller.

Mickaël et son fils Louen, dans la manifestation contre la réforme des retraites, à Guichen (Ille-et-Vilaine), le 6 avril 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

C'est le fils de Mickaël, conducteur de bus dans la commune voisine. Ces chants, il les a appris lors d'une manifestation à Rennes. "Au début du mouvement, on y est allés une fois, explique le père, avant de se raviser. Maintenant, je ne veux plus y aller avec lui. Ma belle-mère de 70 ans a pris de la lacrymo... Ici, c'est plus simple."

"Ça fait du bien de voir des forces de l'ordre sympas"

Il est plus de 17h30 lorsque l'un des organisateurs prend finalement le micro. "On ne part pas tout de suite, en accord avec monsieur le maire, pour ne pas gêner le départ des bus scolaires", explique le syndicaliste. Dans la petite ville, pas de blocages ou de barricades. Des gendarmes viennent même discuter de la pluie et du beau temps avec les manifestants, alors qu'une éclaircie repousse le risque d'averse sur le centre-ville. "Ça fait du bien de voir des forces de l'ordre sympas, se réjouit Jacky, 32 ans. Quand il rentre chez lui, c'est sûrement un père de famille comme moi", lance l'ouvrier, avec sa fille sur les épaules.

La famille habite dans le village d'à côté et se rend pour la première fois à une manifestation. L'horaire choisi par les organisateurs tombe à pic. "Pour les pépettes, c'est compliqué de faire grève", explique Jacky. Pour son épouse, Justine, infirmière à l'hôpital, c'est même impossible en journée. "Je suis réquisitionnée d'office", lance la trentenaire. Seul leur ami Guillaume, magasinier, a accepté d'amputer son salaire. "Je suis célibataire, je n'ai pas de famille à charge, alors je peux me le permettre", précise-t-il.

Guillaume, Jacky et Justine ont participé à la manifestation contre la réforme des retraites organisée à Guichen (Ille-et-Vilaine), le 6 avril 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

A quelques mètres de là, Anne-Sophie, quinquagénaire, n'a pas non plus fait grève depuis le début du mouvement. "C'est compliqué financièrement, alors je suis allée manifester à Rennes sur ma pause déjeuner, entre midi et deux. Mais c'est encore mieux à cette heure-ci, se félicite-t-elle. Ça permet de montrer que tout le monde est contre cette réforme, pas seulement dans les grandes villes."

"Je ne suis pas convaincue que l'on soit entendus"

Le cortège serpente désormais la rue du général Leclerc. Derrière les vitres des maisons, quelques habitants observent cette étonnante procession. Une voisine est sortie en peignoir sur un balcon. "Ce n'est pas trop dans la culture ici", explique Franck. Le quadragénaire se réjouit que sa ville prenne part aux manifestations, lui qui avait essayé en vain de mobiliser sur la place de l'église lors du mouvement Nuit debout.

Joël à Guichen (Ille-et-Vilaine), lors d'une manifestation contre la réforme des retraites, le 6 avril 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Un petit tour du rond-point à côté du Super U et les manifestants reprennent la route dans le sens inverse. Sur le bord de la route, Joël, casquette rouge siglée FO sur la tête, compte ses troupes. "On est 530", glisse-t-il en souriant. "Je m'étais fixé la barre de 100 personnes, donc c'est une réussite", se réjouit le retraité, qui a organisé la manifestation. "Bien sûr, j'aurais préféré qu'on soit 2 000 !", ajoute-t-il en riant. Reste que pour une première à Guichen, c'est un succès, alors que sept autres rassemblements étaient prévus jeudi dans le département.

"Même les vieux militants de la CGT n'ont jamais vu autant de manifestations différentes le même jour en Ille-et-Vilaine."

Joël, manifestant à Guichen

à franceinfo

En retournant sur leurs pas, les manifestants semblent eux-mêmes surpris de la longueur du cortège. "Le bouche-à-oreille a bien fonctionné", se réjouit Sarah, enseignante venue avec ses deux fils. Une réussite qui ne l'empêche pas d'être inquiète pour la suite. "J'aimerais bien y croire, mais je ne suis pas convaincue que l'on soit entendus", reconnaît-elle, résignée. Le doute n'est pas permis pour Joël : "La révolution commence à Guichen !"

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.