: Témoignages "Une tradition qui se perd" : quatre professionnels dressent le bilan des étrennes reçues en fin d'année
Un petit geste pour les fêtes, un grand geste pour les personnes récompensées ? En décembre ou janvier, certaines professions ont pour habitude de recevoir des étrennes. Une somme d'argent en guise de reconnaissance pour les services rendus tout au long de l'année. Gardien d'immeuble, facteur, aide-ménagère, auxiliaire de vie ou encore assistante maternelle… Pour tous ces professionnels, les étrennes peuvent constituer un supplément de revenu non négligeable. Notamment en période de forte inflation.
La tradition semble pourtant se perdre, notamment chez les plus jeunes générations. Et pour ceux qui donnent encore une petite enveloppe, "les montants offerts diminuent", commente le Syndicat national indépendant des gardiens d'immeuble, concierges et professions connexes. Une tendance que confirment quatre professionnels interrogés par franceinfo.
Sébastien, 48 ans, concierge à Vénissieux (Rhône) : "Les anciens résidents décèdent, mais leurs remplaçants ne donnent pas"
Un peu plus de 200 euros lors des premiers jours de janvier. Certes, les enveloppes arriveront encore avant la fin du mois, mais de mémoire de concierge, Sébastien a connu meilleur début d'année en matière d'étrennes. "L'année dernière, j'ai reçu 825 euros au total, ce qui représente environ 3% de mon salaire annuel", relate ce gardien d'immeuble, en poste depuis 12 ans. Année après année, il regrette que les sommes versées s'amenuisent. "La première année, j'avais reçu entre 1 400 et 1 500 euros. Ça a bien diminué. Les anciens décèdent, mais leurs remplaçants ne donnent pas."
"Et puis, on a de plus en plus de colocations, et les jeunes ne donnent rien… Ce n'est pas vraiment une question de moyen, c'est qu'ils n'y pensent pas", estime le gardien. Il assure pourtant entretenir d'excellentes relations avec certains jeunes locataires. "Je ne leur en tiens pas rigueur, mais c'est sûr que cela ne m'encourage pas à rendre des services en plus de mon travail. Ceux pour qui je récupère les colis toute l'année et qui ne m'adressent même pas un 'bonne année'… Je me dis que je ne prendrai plus leurs colis."
Résigné, le quadragénaire s'attend à voir disparaître les étrennes avant qu'il n'atteigne la retraite. Pour autant, ne plus rendre service à ceux qu'il côtoie au quotidien est inenvisageable. "Quoi qu'il arrive, je continuerai à changer les ampoules des personnes âgées. Même sans étrennes."
Nathalie, 57 ans, factrice à Lyon : "Certains demandent si on prend la carte bleue"
Avec ses collègues, Nathalie a été déçue de sa dernière tournée des calendriers. "J'en avais acheté quarante pour une centaine d'euros. J'en ai vendu seulement vingt. Cela m'a fait environ 250 euros de gains. Il y a quelques années, je gagnais 800 à 900 euros", raconte la factrice, qui utilise généralement ses étrennes pour gâter ses enfants. "On sent bien qu'à part les personnes d'un certain âge, ça n'intéresse plus du tout", déplore-t-elle.
"Avant, nous étions attendus et bien accueillis. Maintenant, beaucoup refusent [d'ouvrir leur porte], ou alors demandent si on prend la carte bleue", relate-t-elle. Pour la factrice, cette activité s'apparente désormais à une corvée. "C'est devenu un peu désagréable". Elle estime que le confinement a constitué un tournant. "A cause du Covid-19, on a manqué plusieurs tournées [de vente de calendriers], donc les gens ont un peu perdu l'habitude."
Face au désamour des Français pour ces almanachs, Nathalie pense qu'elle a réalisé cette année sa dernière tournée. "C'est la fin d'une époque. Cette année, on s'est tous dits qu'on allait arrêter", se résigne-t-elle. "En plus, quelqu'un est passé sur ma tournée avant moi en se faisant passer pour un facteur. Ça m'a fait râler, mais bon, on ne peut rien y faire, alors j'espère qu'au moins, il a fait bon usage [de l'argent récolté]."
Leslie, 43 ans, auxiliaire de vie à Toulon (Var) : "Un petit mot, un poème ou un dessin me font autant plaisir"
Auxiliaire de vie depuis 15 ans, Leslie a aussi progressivement vu fondre ses étrennes. "J'en avais jusqu'à l'année 2020. Maintenant, ça a complètement disparu", relate-t-elle sans amertume. "Je m'occupe de personnes en fin de vie ou en situation de handicap. Parfois, je fais les papiers administratifs avec elles. Je connais leur situation, alors je comprends totalement" la chute des dons.
Leslie a pourtant fait une croix sur un complément de revenu non négligeable. "Il y a quelques années, je travaillais chez une avocate qui me donnait 200 euros. Sinon, ça dépendait des bénéficiaires : ça tournait entre 50 et 80 euros", se rappelle-t-elle, ajoutant qu'elle utilisait ce complément de revenu pour "faire les soldes".
Si elle ne perçoit plus d'argent, l'auxiliaire de vie reçoit néanmoins des petites attentions de la part des personnes qu'elle aide. "Presque tous continuent à me donner une petite carte avec un petit mot, un poème ou un dessin. Je trouve ça très beau, ça me fait autant plaisir", assure-t-elle. Alors étrennes ou pas, "pour moi, ça ne change rien : je continue de leur offrir à tous un petit cadeau à chacun en fin d'année".
Ophélie, 35 ans, assistante maternelle dans la Vienne : "Cette année, il n'y a rien eu du tout"
Certes, habituellement, Ophélie ne reçoit pas d'argent. "Mais au moins, un petit quelque chose, une petite attention… Mais cette année, je suis surprise : il n'y a rien eu du tout", regrette cette assistante maternelle basée dans la Vienne, qui s'occupe de la garde de quatre enfants au quotidien. "Depuis trois ans que je suis en poste, je n'ai jamais eu d'enveloppe avec de l'argent. Mais je recevais une petite plante, un petit quelque chose qui montre que les parents sont reconnaissants de ce qu'on peut apporter à leurs enfants."
La trentenaire, qui occupait auparavant un poste de secrétaire, continue d'aimer son métier, mais estime que la fin de ces petites attentions est démotivante. "C'est sûr que ça me décourage un peu de continuer à préparer, par la suite, de petites attentions pour la fête des Mères, la fête des Pères, etc." L'assistante maternelle ne jette cependant pas la pierre aux parents. "C'est une tradition qui se perd, c'est dommage. Après, je ne donne moi-même plus d'étrennes au facteur ou aux éboueurs, puisqu'ils ne passent plus", admet-elle.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.