Climat, transports... La loi d'orientation sur les mobilités est-elle à la hauteur des enjeux ?
Ce texte fourre-tout actualise la Loi d'orientation des transports intérieurs qui date de 1982. Il arrive le 19 mars au Sénat en première lecture.
Des trottinettes électriques à la voiture autonome, elle balaie large et tente d'encadrer tous les nouveaux usages. Après avoir été discutée en commission, la Loi d'orientation des mobilités (LOM) arrive, mardi 19 mars, en première lecture au Sénat. Son objectif : réguler le développement des transports dans un univers révolutionné par les plateformes numériques et l'arrivée de nouveaux acteurs.
Après la révolte des "gilets jaunes", quelques idées hautement inflammables, comme les péages urbains à l'entrée des villes, ont été purement et simplement abandonnées. Mais, à la lecture de ce projet de loi hétéroclite, une question s'impose : la LOM sera-t-elle à la hauteur des enjeux ? Passage en revue.
Relever le défi climatique
Ce qui est prévu. "Les transports sont le premier émetteur de CO2, ils ont un impact direct sur la qualité de l'air que l'on respire. C'est une question de santé publique, quand trois Français sur quatre vivent la circulation routière comme la source de pollution la plus préoccupante. Pour atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050, nous devons nous engager dès aujourd'hui sur la trajectoire de décarbonation des transports", souligne d'emblée l'exposé des motifs de la loi LOM. Conséquence logique, il est prévu de mettre l'accent sur des déplacements plus économes en gaz à effet de serre, tels que les transports en commun, les covoiturage et les mobilités douces.
Ce qui fâche. Plus économe, peut-être, mais loin de la réduction exigée. Selon le tableau de bord établi par l'association écologiste Réseau action climat, le texte ne prend pas en compte l'ampleur du défi climatique. Pour Lorelei Limousin, chargée des transports au sein de l'ONG, le gouvernement ne répond qu'"à 30% à hauteur de l'enjeu" si l'on veut réellement obtenir une "véritable réduction rapide des gaz à effet de serre" et "limiter à 1,5°C le réchauffement climatique".
La militante se demande au passage où est passé "l'engagement du président de la République d'interdire le diesel et l'essence à l'horizon 2040". Cette promesse de campagne, remarque-t-elle, "n'est même pas retranscrite dans la loi, alors qu'il faudrait plutôt viser 2030 si l'on veut limiter à 1,5°C la hausse des températures". Et d'énoncer une des lacunes du texte, à ses yeux :
La LOM fait fi des enjeux climatiques en ne mettant pas fin aux grands projets autoroutiers et aux centres commerciaux en périphérie, qui contribuent à l'artificialisation des sols et encouragent l'utilisation de la voiture.
Lorelei Limousinà franceinfo
Régulièrement dénoncé, le mal n'a jamais été enrayé. "Chaque année, la superficie des zones commerciales périphériques progresse de 3 ou 4%", surenchérit sur son blog le journaliste spécialiste des mobilités Olivier Razemon, avant de lister, à titre d'exemples, une dizaine de projets immobiliers commerciaux de plus de 15 000 m2 prévus en 2019 en périphérie des villes. Auquel on peut rajouter, en région parisienne, le méga-complexe de loisirs d'Europacity, finalement autorisé en décembre 2018 par le préfet du Val-d'Oise, malgré la vive opposition de commerçants locaux et de militants écologistes.
Partager l'espace urbain
Ce qui est prévu. Un inventaire à la Prévert, où l'idée générale est d'"encourager les innovations en matière de mobilité" ... et de pouvoir fixer quelques limites. Au grand soulagement des piétons, les collectivités locales pourront ainsi "réguler" le développement anarchique des trottinettes et autres engins en libre-service qui pullulent sur les trottoirs des grandes villes. Et même les soumettre à un régime d'autorisation préalable, selon des amendements adoptés en commission.
Dans un élan vertueux, il s'agit également d'encourager "les mobilités propres et actives", soit, en bon français, la marche et le vélo, qui ont le mérite de servir à la fois l'écologie et la santé publique. Pour rappel, à en croire les chercheurs de la London School of Hygiene and Tropical Medicine, se rendre au travail à vélo est le meilleur moyen de perdre du poids.
Pour doper le nombre d'amateurs de la "petite reine" et encourager les déplacements domicile-travail en vélo (ou en covoiturage), l'article 26 de la loi LOM instaure ainsi la possibilité pour les entreprises de créer un "forfait mobilités durables (...) d'un montant maximum de 400 euros, exonéré de charges sociales et d'impôt sur le revenu".
Les entreprises et administrations pourront rembourser à leurs salariés et agents une partie de leurs frais, sous forme forfaitaire, de déplacement domicile-travail s'ils utilisent un mode permettant de réduire la pollution comme le vélo ou le covoiturage.
Projet de loi d'orientation des mobilités
Ce qui fâche. Alors qu'il pourrait provoquer "un véritable effet levier" pour le vélo, ce forfait "mobilités durables" n'a pas de caractère obligatoire pour les entreprises, regrette la secrétaire générale du Club des villes et territoires cyclables, Véronique Michaud. Dans ces conditions, selon elle, il sera difficile d'atteindre les objectifs du plan vélo adopté l'an dernier, qui prévoit de tripler la part de la bicyclette dans nos trajets quotidiens d'ici à 2024, en la faisant passer de 3% à 9%.
D'autant, estime Véronique Michaud, que le texte est également trop flou sur le nombre de places de stationnement sécurisées pour les deux-roues à créer dans les gares : "Un espace de stationnement trop lacunaire n'encourage pas assez le vélo dans le transport intermodal. Aux Pays-Bas, 44% des personnes qui utilisent le train pour se rendre au travail viennent à vélo à la gare. Mais le gouvernement avait auparavant investi 200 millions d'euros dans la réalisation de parkings vélo de grandes capacités dans 380 gares. Il avait ainsi obtenu 46% d'augmentation de la pratique du vélo chez les usagers du train."
Réduire les fractures territoriales
Ce qui est prévu. L'enjeu avoué est de "sortir d'une France à deux vitesses" en matière de transports. Les grandes infrastructures nouvelles passeront après la rénovation des réseaux existants, la désaturation des grands nœuds ferroviaires et l'achèvement d'une vingtaine d'axes routiers.
Si les ambitions sont restreintes, il reste à trouver l'argent, alors que 60% des radars routiers censés financer une partie de ces infrastructures ont été mis à mal par le mouvement des gilets jaunes. Pour dégager des ressources pérennes, les sénateurs ont adopté en commission des amendements affectant à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France "l'intégralité du produit de la taxe sur les carburants décidée en 2014", à hauteur de 1,2 milliard d'euros. En principe, donc, l'intégralité de cette somme servira à financer ponts, routes et autres structures nécessaires.
Ce qui fâche. Pour le Réseau action climat, le compte n'y est (toujours) pas. "Se déplacer autrement implique un investissement sans précédent dans les transports publics", argumente Lorelei Limousin. "Or ce n'est pas ce qui se passe, notamment dans le ferroviaire, où des petites lignes ferment sans qu'on cherche à les sauvegarder ou à les rendre plus attractives." En 2018, le rapport Spinetta suggérait effectivement à la SNCF d'économiser plus d'un milliard d'euros chaque année en supprimant les petites lignes, au grand dam des communes dont les dessertes seraient abandonnées.
Développer les bons outils numériques
Ce qui est prévu. Promis, juré, les "autorités organisatrices de la mobilité" (régions et agglomérations) disposeront d'une "boîte à outils" pour fluidifier les déplacements. La ligne directrice consiste à faciliter, "sur l'ensemble du territoire, pour tous les Français", les "alternatives à la voiture individuelle pour se déplacer". Les collectivités devront donc veiller à ce qu'existent partout, d'ici la fin 2021, des applications permettant de trouver le meilleur itinéraire, de payer son trajet et de valider son ticket, comme l'a déjà fait Mulhouse. L'agglomération alsacienne a créé un "compte mobilité" valable pour tous les déplacements ou presque :
#Senat360 Loi #mobilité : l'exemple de Mulhouse pic.twitter.com/8kMm0Q4gFk
— Public Sénat (@publicsenat) 7 mars 2019
Pour perfectionner ces outils, il faut, précise la loi, ouvrir "les données nécessaires au développement de services numériques de mobilités". "Deux types de données seront ouverts", précisait au Journal du Net, en octobre 2018, un porte-parole du ministère des Transports. D'une part, "les données des services de mobilité utiles aux voyageurs (horaires, tarifs, localisation de vélos en free floating…), qui seront ouvertes à tous, accessibles sous format exploitable, en temps réel, au coût de mise à disposition". D'autre part, "les données des véhicules connectés et des assistants de conduite (...) qui seront disponibles de façon agrégée (donc anonyme) pour les gestionnaires d'infrastructure et les forces de l'ordre". Théoriquement, explique NextInpact, la loi obligeait déjà les acteurs du transport (acteurs publics, covoiturage, opérateurs de libre-service) à diffuser "librement, immédiatement et gratuitement" leurs données relatives à leurs tarifs, horaires, disponibilités, incidents, mais son application a été reportée à décembre 2019. La LOM reprend et étend cette obligation d'open data.
Ce qui fâche. Qui disposera de quelles données et pour faire quoi ? De la plateforme Uber au loueur de trottinettes Bolt, des géants américains ou chinois sont à l'affût du gigantesque gateau que représentent les nouveaux services du transport (en libre-service, à la demande, en covoiturage, etc.). Seront-ils tenus, eux aussi, de fournir leurs données ? Seront-ils régulés comme les autres ?
Du côté de grosses entreprises françaises comme Transdev (la filiale "mobilités" de la Caisse des dépôts), l'inquiétude est palpable et on dénonce "un Far West numérique" où certaines sociétés s'affranchissent aisément du bien public. Telle l'application Waze, un service GPS qui s'appuie sur la collaboration de ses utilisateurs, qui a ainsi transformé en enfer Lieusaint, une ville paisible de Seine-et-Marne, dont elle a fait un itinéraire de délestage, y transportant les bouchons, comme le relaie Le Parisien. Des opérateurs indifférents au bien public peuvent-ils continuer à avoir accès aux données publiques de transport des régions ou des métropoles sans respecter l'intérêt général ? Autant de questions qui devraient alimenter les débats au Sénat, avant l'arrivée du texte à l'Assemblée en juin.
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