"Gilets jaunes" : cinq questions sur le recours à la force Sentinelle pour la journée de samedi
La mission antiterroriste militaire Sentinelle va apporter un soutien aux forces de l'ordre samedi dans le cadre des manifestations des "gilets jaunes". Mais qu'est-ce que cette mission Sentinelle ? Et à quoi va-t-elle servir ?
"Je vais vous faire un aveu : je me suis demandé pourquoi ça n'avait pas été fait plus tôt." Jeudi 21 mars sur RTL, l'ancienne ministre socialiste Ségolène Royal s'est déclarée en faveur de la mobilisation du dispositif militaire Sentinelle dans le cadre des manifestations des "gilets jaunes". Cette décision a été annoncée mercredi 20 mars en Conseil des ministres par Emmanuel Macron.
"On a à notre disposition cette mission Sentinelle assurée par des militaires et qui ont parfaitement vocation à sécuriser les lieux, comme d'ailleurs nos concitoyens ont l'habitude de les voir", a déclaré le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, à l'issue du Conseil des ministres. Une décision critiquée par certains membres de l'opposition et redoutée par les militaires eux-mêmes. Mais qu'est-ce que cette force Sentinelle ? Et quelles seront les missions de ces militaires durant les manifestations de samedi ?
1C'est quoi cette force Sentinelle ?
L'opération Sentinelle a été mise en place au lendemain des attentats de janvier 2015 en France. Elle représente une mobilisation sans précédent de l'armée sur le territoire national depuis la guerre d'Algérie. Quelque 7 000 militaires, dont la moitié en région parisienne, sont mobilisés et peuvent être déployés pour protéger des sites religieux (synagogues, mosquées...), des lieux particulièrement exposés au risque terroriste ou très fréquentés (lieux touristiques, écoles, gares, aéroports...). Outre ces 7 000 hommes, le dispositif dispose de 3 000 réservistes.
2Quelles seront ses missions samedi ?
Pour ce nouveau samedi de mobilisation des "gilets jaunes", les militaires du dispositif Sentinelle ne seront pas "en première ligne avec les forces de l'ordre", assure le ministère de l'Intérieur à franceinfo. Concrètement, les militaires vont se concentrer sur des "points fixes et statiques", a développé Benjamin Griveaux, pour les sécuriser. Ils pourront aussi patrouiller, a toutefois précisé le gouverneur militaire de Paris, Bruno Leray, interrogé par franceinfo. Le ministère des Armées, contacté par franceinfo, n'a pas souhaité communiquer sur les effectifs mobilisés, mais on sait que les lieux concernés seront "à Paris", selon le colonel Guillaume Thomas, porte-parole adjoint de l'état-major des armées. L'Elysée ou Matignon ne seront pas concernés.
L'objectif est de permettre aux forces de l'ordre, policiers et gendarmes, de se "concentrer sur les mouvements, le maintien et le rétablissement de l'ordre", a ajouté le porte-parole du gouvernement. Ce que confirme Grégory Joron, secrétaire national CRS d'Unité-SGP-FO : "Si les militaires Sentinelle sont sur de la garde de bâtiments, cela va permettre de dégager quelques unités de forces mobiles et cela donnera davantage de mobilité aux compagnies manœuvrantes pour aller sur les points chauds." "Ils n'intègrent pas le dispositif du maintien de l'ordre, les militaires ne sont pas équipés, pas formés pour cela", a insisté le ministère de l'Intérieur.
Ils ne feront pas face aux manifestants.
Le colonel Guillaume Thomas
Pour éviter les risques, une "attention particulière a été portée sur les sites sur lesquels les soldats vont être déployés", assure le général Bruno Leray. Et si la situation devenait tendue ? "Les militaires patrouillent tous les samedis, ils ne se sont pas arrêtés depuis le 17 novembre, les consignes sont les mêmes, tempère le colonel Guillaume Thomas. Par anticipation, on essaie d'éviter de les exposer aux manifestants. Mais si la situation devenait difficile, le premier réflexe serait de rendre compte et de faire intervenir les forces de sécurité intérieure." Selon lui, le risque de bavures ne serait donc pas plus élevé que les week-ends précédents.
Bruno Leray affine le discours : "Ils sont soumis au même cadre légal que les forces de sécurité intérieure et ils ont différents moyens d'action pour faire face à toute menace. Ça peut aller jusqu'à l'ouverture du feu. Ils donnent des sommations. C'est arrivé par le passé, au Louvre ou à Orly. Ils sont parfaitement à même d'apprécier la nature de la menace et d'y répondre de manière proportionnée. [Ce qui peut aller jusqu'à ouvrir le feu] si leur vie est menacée, ou celle des personnes qu'ils défendent, évidemment." "Les militaires ne vont pas se mettre à arrêter les 'gilets jaunes'", a ajouté une source du gouvernement à l'AFP.
3Est-ce une première ?
"Ces ajustements du dispositif ont lieu régulièrement", précise le porte-parole de l'état-major des armées. Le Monde assure que ce n'est pas la première fois qu'une telle disposition est prise. Cela a déjà eu lieu à l'occasion de "différentes manifestations", poursuit le quotidien. Il rappelle notamment qu'en 1992, le Premier ministre, Pierre Bérégovoy, avait fait appel aux militaires pour "dégager des axes routiers bloqués par des camionneurs qui protestaient contre l'instauration du permis à points". A l'époque, 500 soldats, des blindés légers et un char AMX-30 avaient été envoyés sur l'autoroute du Nord, près de Phalempin, afin de permettre le retour à la circulation sur l'axe Paris-Lille, comme le rappelle Le Télégramme.
4Qu'en pensent les militaires ?
Les principaux intéressés ne comprennent pas pourquoi ils sont appelés en renfort. "On n'a rien à faire dans ces histoires de 'gilets jaunes'", témoigne anonymement à franceinfo un militaire qui totalise 14 mois de mission en patrouille. Dans les rangs, c'est l'inquiétude qui domine. "On n'a pas le matériel nécessaire, parce qu'on n'a que des matraques télescopiques et des petites gazeuses à main, comme les filles ont dans leur sac. Après, c'est directement le fusil d'assaut", lance-t-il. Il pointe aussi le manque d'équipements antiémeute comme ceux des CRS.
Enfin, il craint le drame : "Si on se fait caillasser, soit on rentre dans le bâtiment pour se mettre à l'abri, soit on ne peut pas se mettre à l'abri pour X raison. La seule réponse qu'on pourra avoir à ce moment-là, c'est peut-être un coup de gazeuse au début ou un coup de matraque télescopique, mais après, s'il y a trop de monde, oui, malheureusement, il risque d'y avoir des morts."
5Pourquoi cette décision est-elle critiquée ?
Le gouvernement a insisté sur le fait que les militaires de l'opération Sentinelle ne seraient pas engagés dans des missions de maintien de l'ordre face aux manifestants. Mais cette annonce a entraîné une levée de boucliers. "Ce qui m'inquiète, c'est la riposte en cas d'attaque", a commenté Philippe Capon, secrétaire général du syndicat Unsa-Police. Sur Twitter, le député LFI de Seine-Saint-Denis Eric Coquerel s'est interrogé : "Que je comprenne bien ? On en appelle à l'armée pour maintenir l'ordre dans la rue ? Les militaires sont appelés à tirer pour protéger les bâtiments ? Les 'gilets jaunes' sont assimilés aux terroristes ? Cette escalade est irresponsable."
Que je comprenne bien ? On en appelle à l'armée pour maintenir l'ordre dans la rue ? Les militaires sont appelés à tirer pour protéger les bâtiments ? Les #Giletsjaunes sont assimilés aux terroristes ? Cette escalade est irresponsable https://t.co/NMg01y0GdU
— Eric Coquerel (@ericcoquerel) 20 mars 2019
Bruno Retailleau, sénateur LR de Vendée, s'est ému de cette décision auprès du Point : "Les militaires ne sont pas formés au maintien de l'ordre. Ils sont formés au combat, pour tuer et neutraliser (...) [Cette décision] compromet l'armée dans une mission qui n'est pas la sienne, elle risque d'endommager ce lien si particulier en France entre la nation et l'armée."
Lors de l'émission spéciale organisée par BFMTV à deux mois des élections européennes, le ton est monté sur ce sujet entre les participants, notamment entre Jean-Luc Mélenchon, opposé à cette décision, et François Bayrou. "Vous êtes devenus fous ! Un militaire, ce n'est pas un policier", a tonné le député LFI des Bouches-du-Rhône, dénonçant une "surenchère permanente" de l'exécutif. "Je considère que quand vous avez des gens qui terrorisent, qui brûlent, qui mettent à sac... On doit les arrêter", a réagi le président du MoDem, à la surprise de Jean-Luc Mélenchon. "Pour moi, la stratégie de la violence est la pire de toutes parce qu'elle ne nous amène nulle part", a répondu le leader de La France insoumise, pour qui le maintien de l'ordre est "un métier". "Il faut abaisser la température", a-t-il lâché.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.