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"Il y aura zéro justice pour nous" : ces "gilets jaunes" blessés n'attendent rien des procédures contre les forces de l'ordre

Dans une interview, le procureur de la République de Paris assure qu'il y aura "des renvois de policiers devant le tribunal correctionnel". Des déclarations qui laissent sceptiques Gwendal et Antoine, deux "gilets jaunes" blessés lors des manifestations. 

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Des street-medics s'occupent d'un blessé lors d'une manifestation des "gilets jaune" à Paris, le 16 mars 2019. (YANN CASTANIER / HANS LUCAS / AFP)

"C'est des mots dans le vent." Au bout du fil, Gwendal Leroy, "gilet jaune" éborgné par un tir de grenade le 19 janvier à Rennes, ne donne aucun crédit à la parole du procureur de la République de Paris. Dans un entretien au Parisien, Rémy Heitz assure qu'"il n'y a aucune volonté de [sa] part d'éluder ces violences ou de les minimiser". Après avoir détaillé le suivi des dossiers visant les forces de l'ordre, le procureur affirme qu'"il y aura des renvois de policiers devant le tribunal correctionnel d'ici la fin de l'année".

Une déclaration qui ne touche pas du tout Gwendal Leroy qui "n'a aucune confiance dans ce procureur". "Il y aura zéro justice pour nous tant que ce gouvernement sera au pouvoir", affirme-t-il. "S'il tient parole, c'est une bonne chose", nuance toutefois Antoine Boudinet, qui a eu la main arrachée par une grenade GLI-F4. Mais cet animateur socio-culturel, aujourd'hui au RSA, ne verse pas dans l'optimisme pour autant.

L'Etat n'a aucun intérêt à nous rendre justice car ça serait admettre qu'il a fait une erreur.

Antoine Boudinet

à franceinfo

La vie d'Antoine Boudinet a basculé le 8 décembre. Le jeune homme de 26 ans se rend à Bordeaux à une manifestation pour le climat qui finit par converger avec la mobilisation des "gilets jaunes". Vers 16 heures, "une montagne de lacrymo" s'abat sur la place de l'Hôtel de ville. "Un objet roule à mes pieds, se souvient Antoine Boudinet. Je pensais que c'était une lacrymo, je l'ai alors ramassée pour l'éloigner de moi mais elle a explosé." Et de poursuivre : "Je n'ai rien senti, le cerveau coupe la douleur. Je me suis enfui en courant. Les 'gilets jaunes' se sont écartés avec des visages d'horreur et j'ai vu ma main qui manquait." Conduit à l'hôpital, il est amputé de la main droite.

Dès le trajet dans le camion des pompiers, j'avais compris. J'ai d'abord eu une phase de déni et puis je me suis dit que c'était inadmissible.

Antoine Boudinet

à franceinfo

Aujourd'hui au RSA après n'avoir pas pu renouveler son contrat de travail dans une école maternelle, le jeune homme doit reprendre ses études à la rentrée. "Bosser dans le social avec une main en moins, c'est faisable", assure-t-il. 

"Niveau financier, c'est l'enfer !"

Gwendal Leroy n'a pas cette chance. Ce cariste de 27 ans, qui se revendique comme non-violent, participe à sa dixième manifestation des "gilets jaunes" à Rennes, le 19 janvier, quand les choses basculent. A la fin de la manifestation, il dit s'être retrouvé seul, le dos tourné aux forces de l'ordre, lorsque "quelque chose tombe et explose". "Ils m'ont tiré une grenade sans sommation et sans raison", assure-t-il. Son œil gauche est touché, il ne verra plus.

Je ne peux plus conduire ni travailler. La dignité en prend un sacré coup.

Gwendal Leroy

à franceinfo

Le jeune homme doit attendre une visite médicale mi-juillet qui lui permettra éventuellement de reprendre le volant. En attendant, "niveau financier, c'est l'enfer". Gwendal Leroy touche 850 euros de Pôle emploi, soit trois fois moins que lors de son précédent emploi. 

Gwendal Leroy, "gilet jaune" ayant perdu son œil lors d'une manifestation des "gilets jaunes", le 19 janvier 2019, à La Forêt-Fouesnant (Finistère).  (FRED TANNEAU / AFP)

Pas question pour autant de se résigner. Gwendal Leroy a porté plainte contre X et contre l'Etat, le 24 janvier, tandis qu'Antoine Boudinet a déposé plainte, le 17 décembre contre Christophe Castaner et Didier Lallement pour "mutilation volontaire". Pourquoi cibler le ministre de l'Intérieur et l'ancien préfet de Gironde, aujourd'hui à Paris ?

Je ne voulais pas attaquer le policier mais les commanditaires car l'Etat est responsable de mes blessures.

Antoine Boudinet

à franceinfo

"La dangerosité des GLI-F4 est reconnue depuis juin 2018. Le ministère a renoncé à utiliser ces grenades mais pas à écouler les stocks, complète son avocat, Jean-François Blanco. Antoine perd sa main pour une raison comptable, c'est la responsabilité directe du ministère de l'Intérieur." 

"Une enquête de police, ce n'est pas équitable"

Son client a été entendu début janvier mais depuis l'enquête piétine. Surtout, Jean-François Blanco demande à ce qu'une information judiciaire soit ouverte afin qu'un juge d'instruction reprenne le dossier en main. "Là, c'est une enquête de police, ce n'est pas équitable", dénonce-t-il. Il n'a pas eu de réponse à sa demande, ce qui ne décourage pas son client. "Ça peut durer plusieurs années, aboutir à un non-lieu mais je me battrai jusqu'au bout", jure Antoine Bondinet. Ce dernier pense que les choses s'accéléreront après la fin du "mandat de Macron". En ce moment, il ne fait pas "une confiance aveugle dans la justice".

Son compagnon d'infortune, Gwendal Leroy, lui, n'a toujours pas été entendu par la justice.

Je n'attends absolument rien de la justice. Les 'gilets jaunes', on n'est rien aux yeux du gouvernement.

Gwendal Leroy

à franceinfo

"Nos vies ont changé pour avoir dit 'non' au gouvernement", conclut-il, résigné.

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